Il s’agit de ma douzième SaintéLyon consécutive. Le temps passe vite, les SaintéLyon défilent sans jamais être les mêmes. Peut-être que ma mémoire vacille aussi car j’ai toujours l’impression que la dernière est la plus difficile à l’exception de celle courue en 2021 où les conditions atmosphériques et esthétiques en avait faites ma plus belle édition ever !
Je mets de côté la dantesque édition 2019 où j’avais dû abandonner complètement frigorifié avec la couverture de survie sous une tente de la Croix Rouge à Saint Genou.
Bref, au fur et à mesure des SaintéLyon on a toujours quelque chose à apprendre et on progresse. Un exemple ?
Et bien, la rédaction de ce douzième récit me permet enfin, vous l’aurez remarqué, de correctement orthographier St Genou et Soucieu auxquels je ne mets plus de « x » en terminaison. Finalement cela commencer à entrer mais il a fallu du temps !
Bon commençons !
SNCF et Score ITRA / Score UTMB Index : la grande pagaille !
Le sas performance, c’est à dire la première vague, est destinée cette année aux coureurs qui se targuent d’avoir un score ITRA général de 580 ou plus. En octobre quand je checke mon score j’ai … tout juste 580, youpiiiiiiiii !
Or « horreur malheur », la dernière mise à jour de mon score global début novembre, après la prise en compte de mes performances sur l’X-Alpine, passe à 579 ! Soit un petit point en dessous de la barrière.
Autre problème : quand je checke mon score UTMB Index (qui fout le box depuis que l’association s’est mise à calculer son propre indice de coureurs en concurrence avec l’ITRA) j’ai 569.
Quoiqu’il en soit je n’ai pas reçu le fameux Email me permettant de prétendre au fameux bracelet vert qui est le sésame d’accès au premier sas, bien que mes 6 dernières SaintéLyon aient été courues avec un score de performance spécifique supérieur à 580.
Dernier avatar : l’annulation de mon premier AR en TGV me force avec un peu de stress à trouver un autre AR pour arriver à Lyon le jeudi soir et en repartir dès 11 heures du matin dimanche. En principe j’ai toujours fini mes STL avant 9 heures du matin donc me permettant de prendre ma douche à La Mulatière dans ma belle famille pour repartir aussi sec (grâce à une serviette) à Oullins pour prendre le métro direction la Part Dieu.
Ma traditionnelle préparation complètement revue
Un point sur ma préparation pré-Saintélyon. Cette année c’est le grand chamboulement dans mon entraînement. D’habitude je cumule les kms en endurance fondamentale. J’ai l’habitude de cumuler les 5 dernières semaines précédentes (hors semaine tapering) environ 500 kms, parfois plus (record de 640 kms en 2016). Or, cette année depuis septembre j’ai axé mon entraînement vers plus de qualité (séances de tempo run) qui m’ont permis de battre mes records sur le marathon de Berlin, 20 kms de Paris et les 10 kms de Paris coup sur coup.
Cette année sur les 5 dernières semaines je n’ai que 260 kms au compteur avec des successions de 5 jours sans avoir couru. Par ailleurs j’ai pour habitude d’aborder les STL avec un poids de forme de 61 kgs, et là c’est plutôt 63 kgs (pour 175 cm). En conséquence j’ai probablement perdu du foncier, mais gagné en force car j’ai plutôt de bonnes sensations dans les descentes. Quand je parle de descentes il s’agit du trottoir qui ceinture le parc des Buttes Chaumont (ma piste d’entraînement parisienne exclusive). En conséquence quand on manque d’entraînement il faut miser sur un atout, mais de taille, à savoir son état de fraîcheur dans lequel on aborde l’épreuve. En gros on pourrait résumer cela par la formule suivante : « j’ai rien foutu à l’entraînement mais au moins je suis en forme ! »
Mes objectifs
J’en ai plusieurs, soufflés à ma femme il y a 1 mois mais qui se sont dégonflés au fur et à mesure du constat de ma sous préparation. Mais à l’heure où j’écris je connais le résultat final donc je peux vous les dévoiler sans avoir peur du ridicule.
Un chrono en dessous de 8h45 (contre 8h50 l’année dernière)
Un top 300 en terme de classement
Un score ITRA supérieur à 600 (contre 580 l’année dernière)
Le Jour J
J’ai le privilège d’être accueilli comme à l’accoutumé depuis ma toute première SaintéLyon en 2010 par l’oncle de ma femme à Villars (à quelques minutes en voiture de ParcExpo de Saint-Etienne) qui vient me chercher à Chateaucreux (c’est la gare) à 18h30. Une soirée royale devant un match de foot de la coupe du monde (l’Argentine au programme) en absorbant comme le veut la tradition un plat de pâtes au beurre. Rituel immuable pour cette 12ième SaintéLyon consécutive.
22H30 il est l’heure de partir pour le départ. 22H45 je franchis l’arche de départ pour me rendre dans les sas…et là il n’y pas un seul coureur à se mettre sous la dent ! Je suis seul pendant de longues minutes à me demander où je dois me placer. Mais où se trouve le deuxième sas ? Celui qui est juste derrière le sas performance auquel je n’ai pas droit ?
Enfin un organisateur qui ne sait pas trop « dans quel état j’ère » m’indique qu’ils vont tirer un ruban ici… à moins que cela ne soit là pour figurer la ligne de démarcation entre le sas performance et le sas de derrière. Bref, c’est un peu le box ! Heureusement il ne fait pas trop froid. Parlons de ma tenue : j’ai juste un juste au corps (une première couche) et ma GoreTex de Mickey (vous savez celui qui ressemble à un sac poubelle en shake dry de 200 gramme mais deux fois plus cher en euros !). Et j’ai toujours mes gants de ski en GoreTex recouvert d’une membrane imperméable. Je suis sujet à la maladie de Raynaud (et non de Renaud « Trin lin lin » ou « Rin tin tin »).
Non je n’ai pas froid au corps…mais je commence à avoir froid aux pieds. Enfin mon sas virtuel commence à se remplir. Et curieusement le sas Performance qui est devant nous connaît un goulet d’étranglement, il n’arrive pas à se remplir malgré un flux continu de coureurs dans la bretelle de délestage.
Je passe rapidement sur le retard du départ en raison du parcours encombré par des voitures aux conducteurs bienveillants à notre égard facilitant la tâche des organisateurs. Donc c’est le départ des élites et du premier sas, qui curieusement ne se vide pas complètement. Va comprendre…
Et c’est enfin le départ de notre vague. Autant le dire c’est assez compliqué car je dois slalomer entre les coureurs, heureusement les routes des faubourgs stéphanois sont assez larges.
Je perds pas mal de plumes dans cette partie jusqu’à Saint Christo car elle me demande pas mal d’efforts pour sortir du pack de coureurs et me permettre de prendre mon envol sans être gêné.
1ère portion : à Saint-Christo au km 17
1h37 de course / cumul de 1h37 depuis le départ
classement : 664
Après le ravito de Saint-Christo il se met à pleuvoir. Une petite bruine nous accompagne, et ceci jusqu’à la fin de la course. Quel bonheur !
Sur cette portion jusqu’à Sainte-Catherine je ne vais pas vraiment voler. J’ai même l’impression d’accuser un peu le coup. Sur la route des crètes, celle où nous attendent traditionnellement des supporters autour d’un feu de bois et des enceintes qui crachent « Born In The USA » de Bruce je ne m’amuse plus du tout comme à l’accoutumée. Limite je fais la gueule alors qu’en général je suis euphorique. Je suis parti trop vite. Et puis le brouillard est de la partie maintenant. Donc autant ce chemin de crète était mon plus beau souvenir l’année dernière sous la neige, autant cette année c’est la galère. La descente sur Sainte-Catherine est tout aussi galère avec cette dernière descente hyper casse gueule avec des gros cailloux qui affleurent au dessus de la boue et qui n’attendent qu’à vous éventrer si jamais vous basculez.
2ième portion : à Sainte Catherine au km 31
1h42 de course sur la portion depuis précédent ravito / cumul de 3h19 depuis le départ
classement : 780
Il est temps de se ressaisir. Après avoir bu mes trois verres de coca traditionnels et mes barres à céréales pour oiseaux en cage et des pâtes de fruits dont il faut au moins 15 minutes pour enlever le plastique transparent qui les recouvrent au risque de se casser les dents…je remonte sur ma selle pour plonger dans le bois d’Arfeuille dans un épais brouillard, les pieds au secs (ie. une boue compacte comme une crème de jour tapisse tous les sentiers). Dans la montée du Rampeau que je confonds avec la montée vers le Signal Saint-André (il me faudra 1 heure pour réaliser ma méprise), il est vrai que je ne reconnais pas bien les lieux mais c’est de nuit avec de la pluie et du brouillard, donc on me pardonnera. Ensuite il y a encore une autre montée que je ne connais pas, une nouveauté avant de revenir sur le parcours plus classique en direction de Saint Genou Le Camp. Cela va pas trop mal au niveau des sensations mais heureux d’être déjà à ce niveau de l’épreuve.
3ième portion : à Saint Genou au km 44
1h44 de course sur la portion depuis précédent ravito / cumul de 5h03 depuis le départ
classement : 605
Comme j’aime les pâtes de fruits ! Et à ce ravito on nous les présente sans le sachet en plastique qui les recouvrait. C’est juste énorme, un grand moment de bonheur offert par les bénévoles. Merci à eux. Je continue mon bonhomme de chemin en continuant à courir, j’ai encore du jus donc tout va bien. « La boue vous va si bien » : telle est la thématique de cette SaintéLyon 2022. Mais j’ai l’équipement qui faut, juste deux couches, donc je ne transpire pas, donc je n’ai pas froid à aucun moment. C’est le début du parcours où j’ai la possibilité d’envoyer et de relancer dans les descentes, sauf que c’est finalement dangereux. Parfois il y a des singles track complètement boueux délimités par des fils de barbelés sur les côtés : on serre les fesses pour ne pas se faire éventrer si jamais l’on chute. Moment de frissons et d’émotions garanties sur la SaintéLyon !
4ième portion : à Soucieu au km 55
1h10 de course sur la portion depuis précédent ravito / cumul de 6h13 depuis le départ
classement : 445
A Soucieu-en-Jarrest on fait le bilan de la SaintéLyon : soit je suis explosé et je ne peux plus courir, soit je peux continuer à courir et c’est gagné, ou presque.
Bilan : je peux continuer à courir mais j’ai mal aux jambes qui sont inflammées un peu partout. Et il faudra faire avec jusqu’à la fin.
On traverse le lotissement comme c’est la tradition, on bifurque à droite et là je n’ai plus trop de souvenirs si ce n’est cette épingle à cheveu en arrivant à Chaponost et là j’ai un vrai coup de mou en arrivant au ravito. Vite mes verres de coca et mes pâtes de fruits, je suis à la recherche de réconfort. Rewards Rewards Rewards WANTED ! Mon striatum est en demande et requiert que je le satisfasse afin qu’il me permette de repartir sur mes jambes en mouvement.
5ième portion : à Soucieu au km 66
1h07 de course sur la portion depuis précédent ravito / cumul de 7h20 depuis le départ
classement : 360
Allez encore un petit effort pour donner l’estocade. Comme c’est dur cette remontée de l’épingle à cheveu sur le bitume. J’arrive à relancer heureusement non sans peine et sans douleurs mais cela avance quand même. Et l’aube pointe son nez très doucement et comme à l’accoutumé en me rapprochant de Sainte-Foy-lès-Lyon j’entends le chant du coq. Incroyable, à croire qu’il m’entends chaque année. Car c’est aussi rituelique que le plat de pâtes chez Yves, j’entends le chant du coq lors de toutes mes SaintéLyon à l’aube..à l’exception peut être de l’année dernière où le coq devait probablement être congelé.
Quand j’arrive au pied des Aqueducs de Bonnant en général j’ai l’impression que pour moi la SaintéLyon est déjà terminée. Ce qui reste à parcourir ce n’est que du bonheur et j’en profite. La grimpette est presque la dernière, on se repose en mettant un pied devant l’autre doucement en mangeant une pâte de fruit, donc pas de quoi s’exciter, il faut profiter. La descente du parc Accrobranche n’est certes pas une partie de plaisir, il faut juste faire attention de ne pas s’éborgner par une branche dans le parcours en serpentin qui n’amuse que les organisateurs (ou le traceur) ; moi pas !
Ensuite c’est la rue de la Navarre où la veille j’ai encouragé les coureurs de la LyonSaintéLyon à 9h20 du matin, rue qui longe la copro de ma belle mère où je loge chaque année. Je fais un coucou en direction de la fenêtre de la cuisine de l’appartement mais il n’y a plus personne. Ma belle mère ayant anticipé mon arrivée à Tony Garnier.
Et ensuite on va profiter de cette descente d’escaliers, le quai de Saône, le pont Raymond Barre toujours magnifique, les derniers serpentins inutiles mais ce n’est pas grave on profitera d’autant plus longuement. On fera le cabotin devant les photographes. Et puis c’est l’arrivée hyper encombrée en ce qui me concerne par des coureurs en train de se prendre en photo devant l’arche : merci les gars !
C’était plutôt compliqué cette année, pas vraiment la plus belle des SaintéLyon mais toujours un grand bonheur.
C’était mon 11ièm maillot de finisher. Place aux chiffres :
Bilan
Chrono final : 8h42
Classement scratch : 305 soit 6% (vs 5303 finishers)
Score ITRA : 604
Classement dans ma catégorie (M3/M4 H) : 10ièm (vs 719 finishers)
« Jamais je ne recourrai un 10 kms, c’est une épreuve beaucoup trop difficile. La souffrance est trop intense. Jamais, plus jamais. »
C’est en substance ce que j’ai l’habitude de dire lorsque l’on aborde la thématique des épreuves de course à pied. Pour moi c’est une épreuve redoutable car l’intensité requise pour l’affronter est juste terrible. Cette douleur dans la poitrine, cette tension sur les tempes, cette envie de vomir à l’arrivée. J’ai jeté l’éponge le matin de deux épreuves de course à pied auxquelles je m’étais inscrit et il s’agissait de deux épreuves de 10 kms (les 10 k du 14ièm et 8ièm arrdt. de Paris) et cela remonte à au moins 5 ans.
Si bien que lorsque Xavier G. me suggère de m’inscrire à trois jours de l’épreuve c’est un grand non catégorique que je lui fournis sans même réfléchir un dixième de seconde.
Or le vendredi 14 octobre je l’accompagne place du Palais Royal retirer le dossard et là je tombe devant le grand panneau du parcours… et cela me fait réfléchir !
Je me rends compte que ce parcours passe à 50 mètres de mon immeuble et ceci à deux reprises. Et là cela fait tilt ! Je me dis que c’est l’occasion ou jamais d’enfin faire participer mes plus fidèles supporters en herbe que sont mes enfants de 5 ans. Mes enfants vont enfin me voir courir. Et cela me mets en joie de les faire participer à la fête. Et cela est sacrément encourageant.
Samedi 15 octobre : je m’inscris.
Préparation / Sensations
Vous me connaissez…que vais-je faire la veille au soir ?
Je vais aller au Starbuck pour : un vanille latte (SANS caféine) et une part de cake au citron. Eh bien non ! Pas cette fois. Je vais me faire à demeure mon propre vanille latte avec ma macération de gousses de vanille dans du rhum que je fais bouillir (1 cuillère à soupe seulement) dans du lait entier. Or je ne m’en apercevrai qu’un peu tard, pour que l’alcool s’évapore complètement il faut faire bouillir au moins 2 minutes le breuvage ce que je ne vais pas faire. Donc j’ingurgite une substance que je trouve sacrément alcoolisée…hips ! D’autant plus que je bois pas une goutte d’alcool depuis plus de 10 ans.
Mais passons…
Dimanche matin : pour le top départ
Il fait plutôt chaud, près de 15 degrés mais il n’y a pas de rayons de soleil. Les conditions atmosphériques sont moins bonnes que lors des 20 kms de Paris.
J’arrive à me faufiler rapidement dans le sas des moins de 40 minutes. Euh non, je n’ai pas le niveau de courir en moins de 40 minutes ce 10 kms. Je vous l’avoue. J’ai un peu menti lors de mon inscription (c’était du déclaratif). Pardon. En fait j’ai besoin de partir le plus tôt possible pour que mes enfants puissent me voir rue Réaumur et rue Montmartre avant qu’ils ne partent à leur séance de natation. Oui pardonnez mon choix ! Et si j’ai fait du tort à quelqu’un en raison de ma lenteur qu’il me pardonne.
C’est parti
Car je ne peux pas courir à une allure de 4:00 le km, ce qui est requis pour courir en 40 minutes. Je n’ai aucune stratégie de course si ce n’est de courir aussi vite que l’on peut sans exploser : c’est toute la difficulté d’un 10 kms justement ! Un long sprint où l’on est vite dans le rouge, mais pas trop sinon c’est la sortie de route.
Mes sensations au départ ne sont pas terribles. La descente du boulevard de la Madeleine est un peu chaotique, je me fais doubler en deux temps trois mouvements par le meneur d’allure 40 minutes escorté par sa cohorte de coureurs qui veulent le suivre. Non ce n’est pas très bon pour le moral car je trouve qu’ils vont vite, beaucoup plus vite que moi.
Ensuite il faut remonter le boulevard de la Madeleine. Je ne trouve pas mon rythme, je vais courir les 5 premiers kms en 4:10 de moyenne…et ceux d’après en 4:10 de moyenne aussi donc tout pareil. Mais avec des sensations très différentes tout au long de la course. Ma première moitié de course j’ai mal au ventre, un peu, beaucoup. J’ai le ventre un peu gonflé, je ne comprends pas bien. Je ne me sens pas aussi svelte et léger que lors des 20 kms de Paris courus une semaine plus tôt. Il faut dire que c’est avec près de +10 degrés de plus que nous courrons ce 10 kms et qui plus est à une intensité légèrement plus soutenue car il s’agit d’un 10 kms. Et sur cette épreuve je vous l’ai dit : « on se met la rate au court-bouillon ». Et je me retrouve dans les derniers de mon sas « moins de 40 minutes » au bout de 2 kilomètres : la honte ! Je me sens démasqué. « Es cou zé moi » !!!! Promis je vais tout faire pour aller plus vite. Las, je n’y arriverai pas. Je resterai à une allure supérieure à 4:00 au km.
Je souffre donc sur cette première partie de parcours un peu alambiquée comme on peut le voir sur le plan entre la rue Tronchet et la rue Caumartin.
Après la rue de Richelieu passé le 5 ièm kilomètre, je me remets en selle, cela va mieux. Et j’ai surtout la perspective de voir ma famille rue Réaumur au niveau de la rue des Petits Carreaux. Youpiiii.
Quel bonheur ! J’ai l’impression d’avoir des ailes qui me poussent dans le dos lorsque je les aperçois tout là bas !
Je sais que je vais les revoir 1 kilomètre plus loin dans le retour de la boucle au niveau de la rue Montmartre et de la rue d’Argout quasiment en bas de chez nous. Cette fois je m’arrête 1 seconde et les embrasse l’un après l’autre à l’instar d’un Franck Leboeuf qui embrasse le crâne de Barthez (comprenne qui pourra). Indice clef : il faut avoir vu la coupe du monde 98.
La descente, puis la remontée de la rue du Louvre sont une vraie épreuve. Et pourtant il ne reste que 2 kilomètres qui en font 10 !
Rue des Petits Champs, cela va mieux comme on pourra le voir en images (au pluriel) avec la Place des Victoires en arrière plan et sa statut de Louis 14.
Et quant au dernier kilomètre qui est une descente de l’Avenue de l’Opéra, c’est splendide. Cela me fait penser à la descente des derniers hectomètres du marathon de Berlin, mais en pire.
Personal Record
Je passe la finish line en 41 minutes 36 secondes (allure de 4:10) soit mon meilleur temps sur ce type de distance.
Formidable parcours, formidable épreuve et expérience.
Qui a dit que je ne recourrai plus jamais un 10 kilomètres ?
Grâce à mon employeur j’ai la chance de participer pour la huitième fois aux 20 kms de Paris dans des conditions optimales ; Celui-ci ayant réservé un espace dédié dans le village des exposants sur le champs de Mars en face de la Tour Eiffel.
Nous sommes 20 collaborateurs de l’entreprise et près de 30 clients/fournisseurs invités à nous retrouver sur les coups de 7h30 sous la tente en ce dimanche 9 octobre 2022. Il fait assez froid : 6/8 degrés environ, il fait encore nuit. Les conditions vont être idéales : un froid sec et ciel azur.
J’ai vraiment confiance, fort de mon record sur marathon (Berlin 2022) deux semaines avant, je suis ici pour battre mon chrono qui date de 2011 en 1h 27min 52s. Je suis à mon pic de forme de l’année et j’ai annoncé la couleur à ma femme pendant la semaine : « dimanche je vais battre mon record sur ce 20 kms de Paris ».
Toujours le même rituel de préparation la veille d’une course : je suis allé au Starbuck de la rue des Petits Carreaux à 50 mètres de chez moi pour ingurgiter mon traditionnel « vanilla latte décaféiné et mon cake au citron » à 18h30. Néanmoins je suis chez moi et je fais une entorse à la règle en mangeant quelques bouchée de mon entremet chocolat (home made by myself !) au praliné noisettes du Piémont…je n’ai pas pu m’en empêcher. Or je ne le sais pas encore mais ce n’est pas bien de ne pas suivre scrupuleusement son process et je vais le payer !
8h : mes collègues (et organisateurs) de cet événement pour mon entreprise nous distribuent le maillot et le dossard. Nous nous changeons, le jour se lève. Il est temps d’aller faire la « photo de famille ».
Il est 8h30, nous allons en grappes en direction du Pont d’Iéna pour entrer dans notre sas de départ.
Les sensations au départ
Je me suis pesé à jeun ce matin : 61.7 kg. C’est un peu light et peut-être traduit un manque de glycogène, je ne sais pas alors dans le doute je vais prévenir ce risque dans les heures qui suivent. J’ai pris un gel avec moi après en avoir ingurgité un premier avant de partir. Oui je ne mange jamais rien de solide les matins de courses rapides sur bitume histoire de prévenir tout risque de « délestage par l’œsophage » (expression plus élégante que les termes de « vomie » / « dégobillage ») durant ces efforts assez intenses.
Dans le sas de départ il est prévu que je prenne un troisième gel juste avant le start pour avoir l’énergie d’affronter ces deux premiers kms qui sont les plus difficiles puisque l’on attaque par une montée jusqu’à l’Etoile.
Autant le dire dans le sas de départ, je me sens léger et j’ai le Guane !
Top Départ
Il est 9h10 et c’est le passage de l’arche de départ.
C’est un peu « le box » au départ. Enormément de monde, goulets d’étranglements, montée sèche qui font que ces 2 premier kms seront les plus lents de toute la course : 4:30 et 4:36 respectivement.
Finalement on redescend en direction du bois de Boulogne et je me remets, presque, en selle. Ce faux plat descendant fait du bien même si…même si ce n’est pas si confortable qu’il n’y parait. Il se passe quelque chose dans mon système digestif qui me gène un peu. Après le 3ièm km Xavier G. me salue alors que je ne l’avais absolument pas vu au moment où je suis à son niveau. Je suis très surpris qu’il puisse courir avec des écouteurs, mais mon ami Xavier est quelqu’un d’assez hors norme (private joke !). Moment très fugitif, 2 secondes à peine, mais qui font du bien. Je suis happé par la descente.
Quelque chose ne tourne pas rond
Je cours les 5 premiers kms en 4:20. Mais comme je l’ai souvent dit, la relation entre un coureur et son système digestif est une histoire compliquée. Cette mésentente est d’ailleurs un des tous premiers motifs d’abandon sur un Ultra. Sur une course rapide sur bitume c’est différent, c’est un motif de flinguage de bons chronos. Si vous avez mal au ventre, vous devez vous arrêter pour de longues secondes, très longues, et parfois des minutes et sur ce type de course c’est terminé vous pouvez dire au revoir à votre espérance de battre votre meilleur chrono. Or après le km 5 j’ai une grande envie d’aller aux toilettes : ce sont mes noisettes du Piémont que j’ai ingurgitées la veille qui me jouent un mauvais tour. Je regarde à droite et à gauche le long de cette longue descente dans le Bois de Boulogne pour éventuellement devoir quitter la piste pour entrer dans un sas de délestage.
Finalement c’est le verre d’eau d’un ravito qui va me permettre de me remettre en selle. En effet, passé le km 10, cela va déjà beaucoup mieux.
En direction de la finish line
C’est rapide un 20 kms ! Je passe les 10 kms en 42 minutes 52 secondes. Et c’est fou de se dire que c’est déjà la moitié et que cette fois « il y a moins de kms restants que ceux que l’on vient de courir » (oui je sais je ne suis pas clair mais je me comprends…). Je n’ai plus trop en tête mes précédents temps de passage mais je sais que je n’ai jamais couru un 10 kms aussi vite, donc je suis rassuré sur le fait que je suis sur le bon tempo pour battre mon record.
J’ai le souvenir d’une rue où l’on a le soleil en pleine tête juste avant de tourner sur la gauche et d’attaquer la longue remontée des quais de Seine.
J’aime bien cette rampe qui descend sur les quais de Seine, c’est un peu comme une rampe de lancement au départ d’une fusée. C’est une nouvelle course qui commence et cela fait du bien de voir la Tour Eiffel en ligne de mire.
Je suis très bien en jambe sur toute cette partie. Je passe dans de bonnes conditions morales et physique le km 15 à une allure de 4:17 sur les 5 kms précédents. Soleil, température, public en délire : tout est au vert. Je ne me sens pas trop mal.
Je suis dépassé par un collègue gérant actions qui est triathlète et qui me dépose comme une fleur ! Il terminera en 1h20 alors qu’il a attrapé la COVID la semaine précédente.
C’est le moment du grand virage traversant la Seine pour se retrouver sur le chemin du retour au niveau du Louvre.
Encore une rampe qui descend et qui nous donne un élan pour les trois derniers kms. Et là il faut y aller « all out » sauf que j’ai déjà l’impression d’être « all out », je ne peux plus accélérer je suis déjà au seuil de mon seuil le plus élevé, c’est à dire le point de rupture où je ne peux plus rien donner de plus que je suis en train de donner. Je suis en totale résistance. Il faut que cela tienne jusqu’à la fin.
Mais cela tient !
Il y a ce faux plat montant de la mort qui tue après le km 19 ! Cette rampe qui vous ramène sur la route après avoir quitté la voie sur berge. Là je suis en apoplexie car il reste au moins 300 mètres avant l’arrivée, juste un peu d’énergie pour lever mon bras devant le photographe et rien de plus sinon je m’effondre.
Finish Line
Et c’est fait.
Chrono de 1h 25min 27secondes (allure de 4:17), record de 2011 battu de 2 minutes 25 secondes.
Pulvérisation de mon précédent chrono.
Confirmation que j’ai vraiment le Guane en ce moment.
Cela vaut bien une petite photo devant la Tour Eiffel.
Il était donc logique que je me fixe pour objectif de casser les 3h 25min et d’enregistrer 3h 24min histoire de compléter la série de manière uniforme. Par ailleurs 3h25 est la limite en dessous de laquelle les coureurs de ma catégorie d’âge doivent franchir l’arrivée d’un marathon si ceux-ci veulent être éligibles à l’inscription (« être candidat » est le terme plus adapté) au marathon de Boston 2024. C’est donc avec une grande motivation que je m’inscris à Berlin dans la foulée de mon Tor des Géants l’année dernière.
Las je ne m’entraîne pas très bien cet été à quelques semaines de l’épreuve. Et plus l’échéance approche, plus je recule à l’idée de courir ce marathon. Si bien que je trouve un prétexte pour ne pas y aller en dégotant l’Ultra Trail Nice Côte d’Azur qui a lieu le même week-end. Et si j’allais dans le Mercantour à la place de Berlin ? Réponse tranchée de ma femme : « Il n’en est pas question ! Tu es engagé à courir le marathon de Berlin, donc tu le courras ». Voilà qui a assez vite clos le sujet et mit fin à mes tergiversations personnelles estivales.
La préparation spécifique
Il n’y a pas de préparation spécifique si ce n’est que je me conforme exactement à l’entraînement des semaines qui ont précédé mon précédent marathon de Berlin en 2019. A l’époque j’avais notamment effectué 7 sorties de 21 kms à 5 heures du matin. Et cette année ce sont bien 7 sorties de 21 bornes sur 7 jours consécutifs que je cumule à une semaine du marathon. Or je note que mes sensations et notamment le chrono sont en assez en deça de ce que j’ai réalisé en 2019. A partir de ces données d’entraînement un simple calcul de règle de trois et j’aboutis à une « fair value » de 3h31 minutes au marathon donc assez éloignée de mon objectif « moins de 3h25 ». Bref, peut être que l’estimation d’un chrono n’est pas aussi mathématique que cela. Mais ce n’est pas très bon pour mon capital confiance.
Prélude
Mercredi 21 septembre 2022, J-4 avant le marathon de Berlin
C’est la première journée OFF (je ne cours pas ce matin) que je m’accorde après avoir couru ces fameuses 7 séances matinales (de 5 à 7h du mat) consécutives de 21 kms.
Je suis frais comme un gardon après m’être levé à 7 heures. Il est 7h15, Je viens d’acheter le pain à la boulangerie, je remonte l’escalier et tout d’un coup je ressens un violent coup de poignard dans les lombaires. J’ai encore très mal en arrivant chez moi. Je dois me rendre à l’évidence, ce n’est pas une douleur qui passera comme cela en quelques minutes, c’est le type de douleurs qui prendra plusieurs jours à s’estomper. Je marche toute la journée comme un vieillard. Le passage de la position assise à la position debout me fait mal, marcher me demande de me contorsionner pour ne pas rendre plus aigue la douleur. Bref à J-4 du marathon j’ai donc le moral au plus bas le soir venu. Mon objectif de « breaking through 3h25 » s’était déjà envolé comme on l’a vu plus haut. Et maintenant je fais le douloureux constat que ce lumbago pourrait bien mettre un terme à ma participation au marathon lui-même.
Cela dit à Berlin j’irai, quoiqu’il arrive.
Berlin : la ville d’Histoires
Berlin, c’est mon quatrième marathon de Berlin consécutif. Pourquoi ?
Berlin n’est pas belle non, mais elle impressionne au sens étymologique du terme. Oui cela laisse une trace de s’y frotter, de s’y intéresser.
J’aime cette ville bien au-delà de son marathon. Une ville d’Histoires, celles des manuels de cours d’histoire/géo, de cours d’allemand au collège et lycée, celles des films sur la seconde guerre mondiale, la guerre froide, celles des reportages télé.
Berlin m’évoque tout cela et beaucoup plus encore…
Reichstag / Nazisme / Juifs / délations / arrestations / déportations / incendies de synagogues / shoah / bombardements / destructions / viols / partage / découpage / secteurs / zones d’occupation / URSS / Berlin ouest / Berlin est / DDR / RFA / RDA / Blocus / Pont aérien / Krouchtchev / Kennedy / chars américains vs chars soviétiques / crises / tensions / le Mur / la Stasi / écoutes / délations / arrestations / emprisonnements / espions / passages à l’ouest / chute du mur / réunification / Bundestag et plus encore…
Berlin, la ville où la réalité a surpassé la fiction dans toute son horreur.
Berlin, la ville que l’on se doit tous d’avoir visité un jour, en pèlerin.
Vendredi 23 septembre 2022
Arrivé dans le nouvel aéroport Brandenburg flambant neuf qui a tant défrayé la chronique pour ses multiples reports d’ouverture (8 ans de retard) et son besoin de « fonctionner à vide avec des vraies fausses valises vides sur les tapis roulants car un aéroport fonctionnel mais qui n’est pas encore ouvert au public doit faire comme si pour être entretenu ». Je regrette celui dans lequel on arrivait avant, l’aéroport de Tegel, qui me faisait tant penser à l’époque des années 70, très vintage. Avec ce nouvel aéroport, je ne suis pas sûr que l’on y gagne au change…au retour le lundi 26 septembre, les services de sécurités seront submergés par les flots des touristes marathoniens comme moi. Cela sera la panique totale chez les employés de l’aéroport et nous serons plusieurs à être à deux doigts de rater notre embarquement.
J’ai pour habitude de loger à l’hôtel toujours dans le même quartier. Celui de la nouvelle synagogue située dans l’ex-Berlin Est. J’aime beaucoup cet endroit, c’est calme, c’est large, authentique, iconique aussi avec cette perspective improbable sur OranianBurger Strasse de la nouvelle synagogue et de la tour de la télévision est-allemande au dernier plan.
10 heures du matin, il est suffisamment tôt pour que j’aille me prendre un cappuccino à The Barn qui est un coffee shop assez typique.
Après avoir cassé la tasse à café de mon voisin de table, et pris en photo le marc de café de la mienne pour la poster sur mon compte Instagram que je n’ai pas, il est temps que je me mette en route pour aller à l’aéroport de Tempelhof pour récupérer mon dossard. Cet aéroport de la démesure (le bâtiment est long de 1230 mètres d’un seul tenant) est historique puisqu’il a été la plaque tournante du Pont aérien permettant aux berlinois de l’ouest de survivre face au blocus imposé par l’URSS en 1948/1949.
Je me rends à Tempelhof à pied et c’est une habitude que j’ai prise, il y a 7 kms de marche (oui Berlin c’est très grand, 8 fois plus grand que Paris). J’aime beaucoup cette traversée qui me prend presque 1h30. Je passe par le fameux Check Point Charlie où il n’y a en soit pas grand chose à voir si ce n’est l’agglutination de touristes qui se prennent en photo parce que c’est…Check Point Charlie.
Et comme je suis un touriste aussi.
Passage de la zone soviétique vers la zone américaine à moins que cela ne soit l’inverse ?
Remise des dossard dans cet énorme hangar de Tempelhof, puis les coureurs font encore la queue, sur le tarmac, pour prendre le maillot de finisher pré commandé (et acheté en sus du prix du dossard à l’inscription). Oui c’est assez surprenant on peut récupérer son maillot de finisher avant même d’avoir commencé la course, comme cela le jour venu pas d’autre choix que de plonger dans la piscine. On doit le courir ce marathon jusqu’au bout car on s’est engagé de facto en s’étant acquitté au préalable du prix du maillot !
A l’intérieur de Tempelhof, le temple de remise des dossardsUn corps de bâtiment long de plus de 1 km, mon grand angle n’est pas suffisant.
En milieu d’après midi je découvre le magnifique quartier de BergmanStrasse dans le prolongement de Viktoria Park dont le nom ne me laisse pas indifférent (comprenne qui pourra). Je retourne dans mon quartier environ 2 heures plus tard, il est 17 heures et j’ai l’estomac dans les talons. Je prends une assiette salé dans mon petit troquet préféré sur Tycholsky Strasse dont le nom rappelle le personnage d’un film bien connu ; Kaizer Söze (trouvera qui pourra).
A 17 heures j’ai faim ! Vite au Kaizer Söze
Je retourne à l’hôtel mais je ne peux pas rester en place malgré mes 15 bornes de marche à pied, je vais refaire 8 kms pour aller au restaurant dont ma réservation est à 21h45 près du quartier de Tempelhof (encore). Je vous avoue que j’en reviendrai par le métro sur les coups de 23h30.
Samedi 24 septembre 2022
Je me réveille à 7 heures pour ma traditionnelle séance de course à pied en endurance fondamentale et mode touriste, histoire de voir si mes lombaires me font toujours mal. Cela passe ou cela casse. C’est l’heure de vérité.
Et après 45 minutes de sortie, j’en conclu que cela passe. La douleur est toujours présente à froid mais c’est supportable et je l’oublie durant ma sortie ce qui est de bon augure pour le lendemain. J’ai même la surprenante sensation d’avoir de bonnes sensations !
Passage devant la fameuse porte durant la sortie de reconnaissance la veille de la course.
La journée qui précède le marathon de Berlin est toujours organisée de la même manière. Elle doit conjuguer ballades / arrêts dans au moins trois endroits sympas pour bruncher (oui 3 fois) et elle se termine à 19 heures au Starbuck de la Porte de Brandebourg non pas pour y faire bombance mais pour terminer mon chargement en sucre et glycogène en prenant mon traditionnel Latte Vanille et cake au citron. C’est le rituel appris lors du marathon de Chicago, et cela m’avait si bien réussi que j’ai réitéré lors des 3 marathons de Berlin qui ont suivi : « marathonien cherche désespérément un Starbuck comme à Chicago référençant un Vanille Latte et un cake au citron ». J’avais attribué la pulvérisation de mon record personnel au marathon de Chicago par cet apport énergétique de la veille. C’est une chance finalement d’avoir franchi la porte d’un Starbuck à Chicago, j’aurais pu tomber sur un restaurant beaucoup moins conventionnel (un restaurant tibétain ou afghan et là…c’était pas gagné d’en trouver un à Berlin).
Bien entendu cette fois j’ai bien précisé au personnel du Starbuck qu’il fallait me servir un café décaféiné dans le Vanilla Latte. Oui, je l’avoue, il m’a fallu des années pour comprendre pourquoi en 2019 j’étais toujours éveillé à 1 heure du matin la veille de mon précédent marathon. Merci Andrew Huberman (il se reconnaîtra) pour avoir évoqué l’effet de la caféine sur le sommeil dans un podcast. Depuis cet été je m’interdis de prendre de la théine ou caféine après midi.
A noter que mon Starbuck pit stop m’a non seulement fourni l’énergie nécessaire pour passer la nuit mais m’a aussi offert une vue imprenable sur la porte de Brandebourg.
De retour à l’hotel je m’endors à 21h30 ! C’est du jamais vu avant un marathon…ni chez moi non plus.
Dimanche 25 septembre 2022 : JOUR J
C’est l’instant de vérité, on n’a jamais été aussi proche de l’échéance.
Le matin d’un marathon je n’en mène pas large en général. Mais cette fois c’est avec un grand plaisir que je me rends aux sas de départ. Je connais le rituel, toujours le même et cela me met en confiance. J’ai très envie de participer à ce marathon, je n’ai aucune appréhension et c’est la première fois que cela m’arrive. La température est plutôt douce, un peu trop. Je suis dans le sas D, celui qui partira en même temps que les élites…mais avec au moins 5 minutes de plus pour franchir la ligne de départ et 1h30 pour la ligne d’arrivée.
Il me faut moins de 20 minutes entre l’hôtel et l’arrivée dans le sas. Les petites foulées me permettent de chauffer les tendons et les muscles mais surtout d’admirer le superbe bâtiment du Bundestag que je contourne pour passer les portails de sécurité.
Toujours cette musique entêtante d’Alan Parsons Project à quelques minutes du départ…thème archi connu (et je vous laisserai deviner lequel).
Je suis dans le sas des coureurs qui ont déclaré avoir couru un marathon en moins de 3h30. Je suis impressionné de voir que pas moins d’un coureur sur trois portent « des chaussures à plus de 250 euros la paire ». Les chaussures à plaque de carbone intégrée je les identifie assez bien par leur aspect en biseau au niveau du talon. Quant à moi je reste vintage avec la sensation de porter des tanks au pied. J’arbore mes UnderArmour dont le modèle (j’en ai oublié le nom) ne m’a jamais convaincu, je pleure toujours mes Apollo SpeedForm qui ne sont plus produites avec lesquelles j’avais couru mes quatre précédents marathons. Je vous rappelle que j’attribue mes 4 précédents bons chronos au Vanilla Latte, au cake au citron ingurgité traditionnellement la veille mais également à mes Apollo SpeedForm que j’avais aux pieds.
Et puis je ne sais pas ce qui se passe. Au start gun je ressens une grande émotion indescriptible. Je dois même lutter pour ne pas pleurer au moment où l’on marche en peloton en direction de l’arche de départ.
Top Départ
Le premier kilomètre est en descente sur l’Avenue du 17 juin tel les Champs Elysées mais en plus court. Comme d’habitude cela part assez vite et je suis entraîné par la foule.
Ma stratégie de course est toujours la même. Mon objectif est de terminer le marathon en negative split c’est à dire un deuxième semi couru plus rapidement que le premier. Pour ce faire je dois gérer toute la première partie de course en ayant la main sur le frein (ou le pied c’est comme vous voulez) en ayant un objectif d’arriver à la mi-course en 1h45 ou légèrement moins. Ensuite après le 27 ième kilomètre j’accélère…si je peux.
Comme je l’ai dit à mes proches qui me suivent en direct live : « Si j’arrive au premier semi en plus de 1h45, c’est que cela va mal. En revanche si j’arrive au semi en moins de 1h44 alors cela va mal aller ! » Autrement dit si j’arrive trop vite à mi-course cela signifie que je me brûle les ailes et que les problèmes sont susceptibles d’arriver plus tard. En conséquence pour arriver à la cible de 1h45 au semi il ne faut pas que je cours à une allure plus rapide que 5 minutes / km. Or ce n’est pas ce qui va se passer…
Revenons en à la course.
Je suis surpris d’avoir de très bonnes sensations dès les deux premiers kilomètres. Je checke mon allure tous les km avec ma Polar RCX5 en appuyant sur le bouton Lap. Et force est de constater que je cours toujours trop vite. Cela dit les sensations sont très bonnes, il m’est très difficile de mettre le frein.
Le premier km est couru en 4:50 et je suis très surpris, le deuxième en 4:57 et j’ai pourtant l’impression de ne pas forcer du tout et d’être hyper à l’aise. Les premiers 5 kms sont courus à une allure moyenne de 4:41, je n’ai jamais démarré un marathon aussi rapidement. Je sais que je dois mettre le frein mais c’est difficile car je ne me sens pas « à l’aise » en courant plus lentement.
Je passe les 5 kms suivant en courant à une allure de 4:52, c’est toujours rapide mais je me sens parfaitement bien. La température est excellente, je m’asperge à chaque ravitaillement. Et justement à noter un bug, mon dossard s’arrache et se détache de deux épingles à nourrices en raison de l’eau dont je me suis aspergé le buste. Je mets au moins 1 minute à devoir presque marcher pour remettre deux épingles à nourrices correctement et attacher à nouveau mon dossard. Ne pas paniquer, je prends ma respiration tranquillement, je me calme et je repars !
Km 15 : jusque là tout se passe bien, et plutôt très bien. L’allure est de 4:52 sur les 5 kms parcourus. C’est toujours plus rapide que les 5:00 que je dois cibler mais que je n’arrive pas à atteindre. Je préfère me laisser porter.
L’ambiance le long des trottoirs berlinois est de plus en plus forte. On arrive dans le quartier que je reconnais qui est celui de Tempelhof. Et enfin l’heure de vérité arrive bientôt nous sommes au kilomètre 20 : allure de 4:54 sur les 5 kms précédents.
Le Semi Marathon : l’heure de vérité
DING DONG !
J’arrive au semi marathon après 1:41:49 c’est très, trop rapide ? Je ne suis jamais arrivé au semi d’un marathon aussi vite. Même à Chicago j’étais arrivé en 1:42:05.
« si j’arrive au semi en plus de 1h45 c’est que cela va mal….si j’arrive en moins de 1h44 c’est que cela va mal aller ! » : c’est ce qui me vient en tête à ce moment là.
Tant pis, je me dis que si je dois le payer plus tard et bien on fera pour le mieux.
J’arrive au cœur de ce marathon avec la traversée du quartier de Wilmersdorf qui est l’ex-Berlin Ouest très populaire. Et j’adore cette partie du parcours. Les sensations sont toujours là au 25ièm km (allure de 5:03). On va dire que c’est à partir du km 27 que cela va commencer à aller un peu moins bien.
Et pour cause on attaque un faux plat montant. Qui a dit que le marathon de Berlin est tout plat ??? Dans ma tête c’est à partir de ce km 27 que je me permets de lâcher les chevaux. Or, je commence à ressentir un début de lassitude dans les jambes … et dans tout le corps. C’est la première fois que je ressens le besoin de devoir me relancer. Autrement dit de devoir puiser quelques ressources au fond de moi pour maintenir mon allure.
Les 29 et 30 ième km me rassurent, ils sont courus en 4:47 et 4:41. C’est en légère descente : l’ambiance est à son comble.
J’attaque la dernière partie de ce marathon après les kms 32 et 33 : je commence à être vraiment dans le dur. Je n’arrive pas à entrer dans « la zone ». Je n’arrive pas à retrouver cette sensation d’accélération où je dépasse tout le monde, où psychiquement je me sens dans un état modifié de conscience comme j’ai pu le vivre lors de mes 4 derniers marathons (Chicago et 3 Berlin).
La magie n’opère plus
Non, je dois me rendre à l’évidence. Cet état modifié de conscience où je plane avec la sensation d’avoir mis le turbo réacteur en dépassant tout le monde comme sur un nuage ne s’est pas enclanché cette fois. Je ne vais pas le connaître.
Disons que je prends conscience que je glisse doucement vers un état où je « suis dans le dur ». J’ai besoin désormais à partir du km 34 de devoir taper dans mes réserves d’énergie et de volonté. Je ressens le besoin de fournir vraiment un effort à chaque foulée.
Un supporter sur la route nous clame au moment où je passe à son niveau qu’aujourd’hui est un grand jour car le record du monde du marathon vient d’être battu ! Et forcément nous n’avons aucun mal à deviner qui en est le détenteur. Kipchoge vient de nous devancer en poussant son propre record du monde à 2h 1min et 9s. Et cette nouvelle est plutôt de nature à me divertir et me permet de penser à autre chose qu’à ma souffrance. Est-ce grâce à ses chaussures Nike avec la plaque de carbone qui lui a permis cet exploit ? Quoiqu’il en soit moi je cours le marathon du record du monde qui vient de tomber sans l’aide de carbone. C’est à inscrire dans mon book personnel ça pour mes petits enfants quand ils auront vu le record du monde tombé sous les 1h55 grâce à l’homologation des chaussures à suspensions magnétiques au dessus du sol !
J’adore ce moment du marathon quand on voit défiler les Kms à partir du km 35 (allure de 4:45) car à partir de là l’arrivée est si proche, si loin. En tous cas on n’a jamais été aussi prêt. J’arrive à maintenir une allure tout à fait convenable sans vraiment être capable de ma projeter vers la finish line. Je prends les kms les uns après les autres dans l’ordre dans lequel ils arrivent.
Ah c’est le km 36, j’attends le km 37… km 37 allez encore un coup de collier avant le km 38. Puis c’est le km 39, je ne sais pas si c’est moi ou si c’est vraiment la foule mais j’entends de plus en plus de bruit raisonner j’ai l’impression qu’il y a une montée en puissance de l’ambiance. C’est juste incroyable je ne vis cela que sur le marathon de Berlin. J’ai l’impression que la foule de supporters se fait de plus en plus compact.
Km 40 (allure 4:44), c’est le moment où l’on entre dans le Berlin « moderne » avec de larges avenues c’est nickel propre moderne comme à Disneyland cette Leipziger Strasse : c’est un boulevard pour les finishers. Je me sens propulsé car à partir de maintenant il faut tout, tout donner. C’est un effort « all out ». Cela passe ou cela casse car je ne sais plus si ma carlingue va me lâcher. Je sens des douleurs inflammatoires dans les jambes depuis quelques hectomètres. Je suis sur le point de rupture, le fil du rasoir mais il faut tenir, il faut tenir. Ces deux derniers kms sont les plus longs du marathon. On ne lâche pas, pas maintenant ! A ce même km 40 je regarde mon chrono : je suis halluciné. Je suis dans les temps de Chicago et peux peut-être battre mon record ever ! Il reste 2 kms et quelques hectomètres, il ne faut rien lâcher, j’ai un peu mal aux jambes, je dois piocher piocher pour ne pas décélérer mais là je suis dans le dur au cube pour maintenir une allure de 4:40 ! Et pourtant je vais courir les deux kilomètres qui restent à l’allure la plus rapide de tout mon marathon soit 4:27 et 4:20 respectivement au km 41 et km 42.
Mais justement la perspective de la Porte de Brandebourg au moment où l’on bifurque sur l’avenue Unter den Linden m’apporte une joie indescriptible mais qui n’est pas suffisante pour masquer ou faire oublier que ma carlingue est près d’éclater.
Cela fait mal au km 42, il reste encore 200 mètres
Passage de la porte : il reste environ un peu plus de 200 mètres en légère descente. On perçoit en contre bas l’arche d’arrivée. Je ne respire plus, je suis en apnée. Les poumons vont éclater de toutes manières, les jambes vont se désarticuler. Il reste 50 mètres, j’ai mal à la tête qui va éclater aussi. Je ne contrôle plus rien, tout est en pilotage automatique.
Il reste 50 mètres à peine.
C’est fini.
3h 22′ 04 » et negative split de 1’34 »
C’est mon « personal record » mais peu importe à ce moment là, je suis un peu étourdi, les endorphines et le bonheur m’envahissent.
Verbier, dimanche 10 juillet 2022 à 10h du matin. Communication avec ma femme.
Ma femme : « C’est formidable ta performance ! Comment tu as fait alors que tu étais malade ? »
Moi : « C’était trop dur, je ne referai jamais cette épreuve. Je suis allé trop loin pour trouver les ressources me permettant de finir. »
Ma femme : « Mais ton classement ne laisse pas transparaître cela, tu as volé ! »
Moi : « Cette X-Alpine n’est plus une épreuve pour moi, même le Tor des Géants est plus facile. Voilà je te le dis solennellement cette X-Alpine était pour moi la dernière. Je te le signe de retour à Paris »
Prélude
Elle m’avait échappée l’année dernière à Bourg Saint Pierre. Et c’est sur ce nouveau parcours conforme au format « 100M de l’UTMB » (M pour Miles) que j’obtiens, en m’arrachant littéralement, cette 4ième étoile que j’étais venue chercher l’année dernière pour ma fille.
Comme toujours j’attaque par les chiffres, comme ça c’est fait.
X-Alpine : 140 Kms et 9300 mètres de D+
Chrono : 32h24
Classement : 61ièm parmi 237 partants =>> soit classement appartenant au 3ièm décile des coureurs au départ.
137 finishers (taux d’abandon de 42%) donc 61ièm / 137 =>>soit un classement appartenant au 5ièm décile des finishers.
Score UTMB Index : 541
Le nouveau profil sans Le Catogne mais ajout de l’X-Traversée en passant par le col des Chevaux
Dans la croyance en « l’effet rebond »
Autant l’avouer tout de suite. J’arrive à Verbier dans la nuit du jeudi au vendredi 8 juillet dans un état que je qualifie de convalescent. Je sors tout juste d’une infection. Je ne dirais pas que j’ai retrouvé « le Guane ». Je ne cours plus depuis 1 semaine. J’ai très peu de foi dans la méthode Coué. Pourtant je crois en « l’effet rebond » dont on parle dans les magazines bien attentionnés. Il y est fait mention qu’après être tombé malade le sportif retrouve un état de forme supérieur à celui qu’il avait avant l’épisode infectieux en raison du repos forcé que lui impose sa maladie. Et bien moi en arrivant à Verbier j’ai envie d’y croire !
Je mise tout sur mon repos forcé. Et peut-être que sur un malentendu…
Vendredi 8 juillet midi
Je suis au Chables pour prendre mon dossard. Il n’y a à proprement parlé personne en dehors de bénévoles. Le retrait s’exécute en 5 minutes. Je salue Ryan Baumann ancien finisher de l’X-Alpine. J’essaie de lui soutirer des secrets de sa réussite, histoire de me faire gagner des places. Mais las… Il n’y en a pas. Le secret c’est surtout qu’il a des qualités athlétiques exceptionnelles que je n’ai pas et donc que je ne peux rien en tirer. Le choix de ses gênes sur catalogue pour devenir un bon UtraTraileur c’est prévu pour le siècle prochain, encore faut il que les parents le veuillent bien.
Je télétravaille de ma chambre d’hôtel. Je fais des choses passionnantes en mangeant des pâtes. Et j’essaie de faire des siestes pour optimiser l’effet rebond. Je n’arrive pas à m’endormir même si je m’y emploie en déployant tous les dispositifs : je ferme les yeux, je me détend, je ne mange pas trop (erreur !), je mets de la musique (pas non plus une bonne idée ça).
Il ne se passe rien si ce n’est que je suis bien fatigué à 21h10, heure à laquelle je prévois de prendre une douche avant de revêtir la tenue de combat de « l’UltraTraileur qui croit fermement en l’effet rebond ».
Top départ
Il est 22 heures. La température est exceptionnelle : une douceur qui caresse la peau. Il est prévu un temps magnifique tout le WE. Nous sommes très peu sur la ligne de départ (237 coureurs). On a de l’espace, aucune bousculade, personne qui veut se retrouver au premier rang parce que c’est très important pour lui de commencer par un sprint et d’exploser au 100ièm km. Que des Ultra traileurs raisonnables et raisonnés (c’est une expression très usitée par les temps qui courent) sur une course qui n’est pas du tout raisonnable. A ce propos les organisateurs dans leur discours de départ nous ont demandé expressément de juger si nous trouverons ce nouveau parcours plus difficile que l’ancien. Verdict à l’arrivée si on y arrive !
On attaque par la traversée de Verbier en passant devant le W. C’est un faux plat montant déjà casse pattes pour moi. Et je me sens déjà très mal. Cela part beaucoup trop vite. J’ai le souffle court d’un petit vieux. Je n’aime pas du tout le rythme que m’impose le peloton. Et puis le dénivelé semble calmer les ardeurs des plus audacieux. Nous sommes en rang d’oignons et nous mettons à marcher dans la pente. Un quartier de lune au-dessus de nos tête. Et j’en viens à la première anecdote qui va me faire un bien fou.
J’entends derrière moi un runner qui dit en substance : « Eh bien cela change ici, ce n’est pas comme au Refuge Barmasse où tu pénètres et il n’y a personne ». Et moi de répondre, « Le Refuge Barmasse ? Sur le Tor des Géants ? ». Et le runner qui s’exclame après avoir vu mon prénom sur mon dossard qui est dans mon dos : « Grégory c’est toi ! Mais ce n’est pas vrai, c’est moi Thibaut ».
Et là je tombe de mon arbre ! Et c’est avec une joie non dissimulée que je retrouve mon « Thibaut recherche désespérément » que j’ai vu pour la dernière fois sur la finish line du Tor des Géants ! C’est mon compagnon de galère d’un certain jeudi matin non loin du refuge Cuney alors que je viens de pleurer toutes mes larmes après avoir passé une nuit d’enfer. Quel bonheur de le retrouver. Comme je l’envie de savoir qu’il retourne sur le Tor cette année comme d’autres compagnons croisés l’année dernière. C’est surprenant comme cette épreuve, qui laisse aussi tellement de stigmates, vous attire encore et encore dans son antre tel un aimant comme si nous étions attirés par le chant des sirènes en sachant pertinemment que c’est aussi pour vivre des moments de souffrance intense.
Ce nouveau parcours nous fait passer sur un très beau chemin de crête qui surplombe Verbier. Le ciel est magnifique et c’est avec des sensations légèrement retrouvées que j’arrive au premier ravito tout là haut perché. C’est le premier moment de grâce. Et il y en aura d’autres.
Ravito Savoleyres à minuit 19 après 02h17 de course : Km 12.5 / Cumul D+ 1217 / clt. 145
Je prends mon temps à chaque ravito. Je bois de la Rivella du Coca, je mange une barre, une banane et surtout je remplis mes flasques car il fait chaud. Il s’ensuit la descente extrêmement roulante sur sa première moitié avec de larges chemin de 4*4 en direction de Sembrancher. Nous quittons très vite les paysages d’alpage pour les sous bois éclairés de nos frontales. La descente est longue, est longue, très très longue qu’elle n’en finit pas. N’ayant pas le Guane pour les raisons précitées en introduction je sens quelques faiblesses dans mes jambes. Je dois redoubler d’attention pour ne pas me prendre les pieds dans les rigoles d’eau qui traverse ce chemin hyper roulant. Le chemin traverse parfois une route bitumée. Et il nous arrive de nous perdre, c’est à dire de continuer sur la route et de manquer la bifurcation qui conduit à un sentier qui coupe les lacets. J’ai dû perdre au moins 10 à 15 minutes à jardiner à deux reprises. Oui les montres GPS peuvent servir, la mienne ne me donne que l’heure mais elle le fait avec une telle fiabilité que je ne peux m’en défaire. Et enfin voici Sembrancher qui m’est familier pour être le premier ravito de l’ancien parcours. Celui qui est au pied du Catogne.
Ravito Sembrancher à 02h41 après 4h38 de course : Km 29.6 / Cumul D+ 1388 / clt. 167
Toujours le même rituel : on remplit les flasques à raz bord, je bois de la Rivella, du Coca, je mange du chocolat, je prends des barres. Et c’est reparti pour 2000 mètres de D+ en ayant pour point de mire la Cabane d’Orny à 2820 mètres d’altitude (point culminant de la course). La montée jusqu’à Champex Lac n’est pas technique, j’avance assez lentement et je passe un très mauvais moment avec un gros problème gastrique. Mon ventre se gonfle comme un ballon de baudruche. Cela me brûle, j’ai particulièrement mal. Je suis contraint de marcher très très lentement. Je suis à la limite de rechercher un coin dans l’herbe pour m’allonger sur le côté et attendre que cela passe. Dans ma tête je passe en revue tout ce que j’ai pris au ravito de Sembrancher et je coche d’une croix tout ce qu’il ne faut plus prendre : chocolat / Rivella / Coca (pourtant on le donne aux nourrissons qui ont des problèmes gastriques) / bananes …. et ben il ne reste plus grand chose de permis au prochain ravito. Je dois prendre mon mal en patience. Et puis cela passe en quelques dizaines de minutes durant lesquels je suspecterais même un cancer de l’estomac. Soyez indulgent il est plus de 3h du mat et il est prouvé que c’est le moment de la journée (la nuit) où l’on est le moins lucide.
Ravito Champex Lac à 04h23 après 6h20 de course : Km 37 / Cumul D+ 2138 / clt. 152
Au ravito certains coureurs sont en peine et demandent la navette de retour. Moi je me sens bien. Je commence à avoir froid. Je mets la Gore Tex et longe le lac. Nous sommes bientôt entre chien et loup, on perçoit au-dessus des crêtes des massifs qui nous surplombent une lumière qui devient de plus en plus « bleutée » : l’aube pointe son nez. Et en parlant de massif il s’agit bien du massif du Mont-Blanc que nous allons gravir en nous dirigeant vers la cabane d’Orny, il s’agit de la plus grosse difficulté de cette X-Alpine à savoir +1400 mètres de D+ mais sur un terrain très compliqué : deux murs dans un pierrier.
Et il s’agit de mon deuxième moment de grâce : le levé de soleil en gravissant Orny. J’ai beaucoup de mal à monter, je n’ai pas le guane qui ne veut pas revenir, j’ai le souffle court, je manque de puissance dans la montée. Mais ce n’est pas grave, c’est beau et c’est tout ce qui compte.
C’est la sixième fois que je gravis Orny et en moyenne c’est bouclé en 2h50 (et après avoir essuyé les 1900 mètre de D+ du Catogne !), or cette fois-ci je vais mettre 3h12 mon plus mauvais chrono. C’est bien la traduction d’un état de méforme, « d’un jour sans ».
On commence par le pierrier de la mort qui tue, celui qui mène au col Breya. C’est un mur et très souvent on a besoin de ses mains pour grimper/contourner d’énormes blocs de pierre. On avance tout doucement, sans jamais s’arrêter. J’ai toujours le souffle court et je me remémore cette antienne : « Ne crains pas d’être lent, crains d’être à l’arrêt ». Alors tant que j’ai la force de mettre un pied devant l’autre, je continue inlassablement, poussé pour ne pas dire propulsé par la beauté des paysages qui m’entourent. Et c’est un réel plaisir de les voir s’illuminer au fur et à mesure que les rayons du soleil naissant les frappent. C’est ce qui distingue les expériences vécues par les traileurs de celles des randonneurs. Les traileurs sont sur le chemin 24/24 leur permettant d’être au rendez vous de configuration de lumières extraordinaires qui durent quelques dizaines de minutes alors que les randonneurs sont encore dans leur refuge en train de prendre le petit déjeuner ou encore en train de dormir. Et malheureusement après l’heure du rendez vous, il est trop tard.
Après le col Breya le parcours nous offre un peu de répit sur un chemin longeant le flanc de montagne. Il est assez court ce chemin, juste ce qu’il faut pour reprendre nos esprits…et attaquer le dernier mur en direction de la cabane d’Orny.
Orny 8 juillet 2022 / 7h30
Ravito Cabane d’Orny à 07h31 après 9h28 de course : Km 46 / Cumul D+ 3600 / clt. 134
Et on attaque la descente, très technique « de la mort qui tue » en direction de Saleinaz puis de La Fouly. J’ai pour habitude de mettre autant de temps sur cette portion du parcours que j’en ai mis pour faire Champex / Orny c’est à dire 2h50. Las, cette fois je vais encore signer mon plus mauvais chrono : 3h12 quand je pénètre au ravito de La Fouly. Mes jambes sont faibles, je dois redoubler de vigilance pour éviter la chute fatale dans un pierrier. Et bien que l’on soit au petit matin, le soleil cogne sur le casque. Entre temps je salue d’un coup de chapeau le couple de retraité à Saleinaz qui attend les coureurs avec de l’eau devant un abreuvoir car il est impossible d’arriver à la Fouly sans avoir rechargé ses flasques depuis Orny. Je n’ai pas de bonnes sensations mais ce n’est pas grave j’en ai pris mon partie et puis je suis là avant tout pour profiter du paysages et saluer les très nombreux randonneurs qui viennent en sens inverse. Ils sont nombreux car nous sommes sur le parcours du TMB (Tour du Mont Blanc) entre Saleinaz et La Fouly attirant en cela de très nombreux visiteurs, pour ne pas dire pèlerins, en sac à dos.
Ravito La Fouly à 10h43 après 12h41 de course : Km 61 / Cumul D+ 4013 / clt. 115
Je prends mon temps à La Fouly et je vais désormais prendre du bouillon vermicelles à chaque ravito et franchement cela change la vie ! C’est pour moi une grande découverte. J’ai besoin de salé. Je n’en peux plus des sucreries. Et c’est tout ragaillardie que je quitte le ravito pour attaquer l’ascension en direction du col Fenêtre avant de bifurquer vers le col du Grand Saint Bernard.
Et cette fois je remplis mes flasques bien à fond. Et pourtant je me fais un peu peur, encore et encore comme chaque année, en ayant la crainte de manquer d’eau d’ici le ravito prévu dans plus de 3 heures sous un soleil de plomb.
Je ne peux pas dire que je passe un grand moment sur cette ascension. Toujours cette chappe de plomb sur ma tête, les jambes qui ne veulent pas fournir toute la puissance voulue, j’ai vraiment du mal à m’arracher. Après le col Fenêtre on redescend quelque peu, le ciel se couvre et le vent se lève. J’ai hâte d’arriver au ravito du Grand Saint Bernard, la température a chuté. A peine je pénètre sous la tente que j’ai envie de m’en extirper, il fait froid, le vent me glace. Vite, je remets ma Gore Tex.
Ravito Grand Saint Bernard à 14h05 après 16h03 de course : Km 75 / Cumul D+ 5399 / clt. 76
La montée vers le col des Chevaux n’aura jamais été aussi laborieux en 5 éditions. Je me traîne et me fais dépasser par de nombreux traileurs ce qui n’est pas dans mes habitudes dans les cols. En général je suis plutôt un bon grimpeur qui gagne des places dans ces configurations. Le Guane n’est toujours pas là…n’a jamais été aussi absent. J’aime beaucoup la descente en direction de Bourg Saint Pierre avec son barrage des Toules. C’est un moment de répit après la dangereuse descente du pierrier. Le paysage redevient plus pastoral avec des « prés aux vaches ». Cela dit je n’arrive pas bien à relancer, je cours quelques dizaines de mètres puis je dois marcher, je cours encore quelques dizaines de mètres, et je dois marcher… Au bout d’un moment c’est assez lassant, lorsque je suis le long du barrage, je ne fais que marcher en compagnie d’un groupe de 3 coureurs. Et puis dès que je leur dis que nous sommes « à moins de 15 minutes de BSP…si on court » tout d’un coup tout le monde se met en mouvement pour courir les deux derniers kms. Enfin cela ne dure pas non plus très longtemps car il y a une petite montée juste avant de pénétrer dans le village. Mais on sent comme un sentiment de délivrance. A BSP j’ai décidé de prendre mon temps et de bien manger…ce que j’ai laissé dans mon sac de change qui attend tous les coureurs.
Ravito Bourg Saint Pierre à 17h02 après 18h59 de course : Km 90 / Cumul D+ 5820 / clt. 92
J’ouvre mon sac de change pour y trouver un tupperware de fusili, de la pâte à tartiner crème de noisettes du Piémont que je me suis confectionnée moi-même et également un cookie (home made of course !). Et je ne sais pas ce qu’il se passe cela me requinque comme jamais !!!! J’avale tout (les pâtes) et les quelques cuillères à café de pâte à tartiner me font un bien fou. J’ai l’impression que je viens de changer de moteur à BSP ! Il s’agit de 20 minutes d’arrêt mais j’ai l’impression que je ne suis plus le même en sortant. J’attaque la montée vers la Cabane de Mille avec de nouvelles jambes. La température est encore élevée mais j’arriverai assez vite en altitude où le petit vent apportera sa fraîcheur.
Je monte d’une traite jusqu’à la cabane de Mille, rien à dire c’est propre comme trajectoire. Le guane est revenu. D’ailleurs mon chrono est pile poile celui que j’ai toujours réalisé sur ce parcours c’est à dire 2h45 peu ou prou.
Ravito cabane de Mille à 19h54 après 21h51 de course : Km 101 / Cumul D+ 6875 / clt. 81
Et voilà que commence le nouveau parcours de cette X-Alpine nouvelle formule, nouveau format 100M « by UTMB ». Je vais découvrir de nouveaux paysages, nouveaux sentiers, j’ai hâte de passer sur cette fameuse passerelle qui surmonte un glacier que je n’ai vu qu’en photo dans les magazines 🙂 !
Et ce chemin en direction de Brunet va être pour moi une pure merveille. Cela sera mon troisième moment de grâce. Le parcours est extrêmement alpin. Je serai complètement seul jusqu’à Brunet sans croiser qui que ce soit. Le soleil est couchant, le massif montagneux en face de moi est en train de se parer de couleurs chamarrées, violet, rose, cuivrée c’est selon. Mais c’est juste splendide ! C’est pour vivre des moments de grâce comme celui-ci que je cours ces épreuves et malgré les souffrances et les efforts requis, quels beaux moments de récompense.
Les photos ne rendent jamais ce que l’on peut voir de ses propres yeux immergés totalement dans ce décor. Je suis seul mais roi du monde !
C’est trop court…j’arrive déjà à ce qui semble être la cabane Brunet, la lumière va bientôt disparaître.
Ravito cabane Brunet à 21h43 après 23h40 de course : Km 110 / Cumul D+ 7124 / clt. 74
Et quel accueil à Brunet ! On me porte mon sac pour que je puisse prendre ma frontale. On me demande si tout va bien. Je suis chouchouté par des bénévoles très prévenants. Moi je vais rester ici. En fait je ne le sais pas encore, ici c’est le paradis avant l’entrée en enfer…
Je ne fais pas trop attention à ce qui nous attend. Je vois rapidement sur le topo qu’il y a deux petits cols avant une énorme descente vers Lourtier. Et c’est plutôt cette descente infernale qui me fait peur et retient toute mon attention, envahit mon esprit. Or j’ai bien tort de ne pas mesurer la difficulté qui m’attend, surtout en pleine nuit. Car devant soi il reste deux ENORMES difficultés que je sous estime complètement et qui vont me flinguer en plein vol.
Il fait nuit, la paysage est (ou tout du moins était) minéral. C’est très très alpin…mais dans quelques minutes on n’y verra plus rien ou tout du moins seulement ce que le faisceau de notre frontal voudra bien nous dévoiler. « Espace rétréci, difficulté endurcie » auteur inconnu.
Le chemin est escarpé, technique. Pour l’instant c’est du plat. Il fait noir. Cela me semble assez simple jusqu’à maintenant… jusqu’à devoir grimper. Et là cela grimpe de manière assez sèche. Et là je ne comprends plus ce qui m’arrive. Je lève un peu la tête et là horreur j’aperçois à un niveau beaucoup beaucoup trop haut des lumières de frontales qui me font comprendre que c’est une paroi, un mur, IMMENSE que l’on doit grimper. Je n’avais absolument pas réalisé, je n’étais pas psychologiquement préparé. Je prends un coup de bambou derrière la nuque tel que j’en ai rarement eu sur un Ultra. Je suis en train de traverser le pire moment de souffrance de cette épreuve. Sur les derniers hectomètres je suis à l’agonie. Non Grégory, non tu ne vas pas lâcher…cela serait la première fois que tu marques un arrêt sur une ascension, non, non, pas maintenant. Et pourtant mettre un pied devant l’autre sur cette pente qui doit être à au moins 25/30 % requiert de devoir piocher en moi de l’énergie que je n’ai plus. J’entends la voix de ce bénévole en haut de ce col infernal qui encourage le coureur qui est devant moi. Je lève la tête et horreur je n’y suis pas encore, si proche la voix…si loin la lueur de la frontale. Allez encore allez encore, j’ai l’impression de cracher mes poumons, je suis à deux doigts de craquer. Non tu ne t’arrêteras pas, pas maintenant, pas pour la première fois, tu ne signeras pas une première fois. Encore un pied devant l’autre. Je suis dans un autre espace temps, et puis…j’arrive enfin devant ce panneau qui marque le col. Je me retourne pour en connaître le nom, le nom de cet infâme : le col d’Avouillon. Le col qui a failli avoir raison de moi ! Je sens les endorphines d’en avoir fini. J’ai besoin de discuter avec le bénévole. Je lui demande ce qui reste à parcourir et puis elle est où cette fameuse passerelle ? Il fait nuit noir, devant moi que du noir et quelques lueurs de lucioles. Ce sont les frontales mais dont je ne comprends pas du tout la répartition. Il y en a partout, c’est complètement dispersé. Il m’explique,
« Tu vois tout en bas les trois frontales ? »
« Euh oui pas bien… et alors ? »
« Et bien c’est la passerelle. »
« Ah ! et ensuite c’est bientôt fini ? Mais c’est où Panossières ? »
« Ensuite cela monte, gentiment pour 300 mètres de D+…attention assez raide au début »
« Pas comme le col d’Avouillon quand même ? »
« …… » silence gêné.
Je ne demande pas mon reste et j’y vais. La descente est hyper technique. On ne voit rien c’est bien simple. Je perds un peu les rubalises. Un vrai jeu de piste. J’entends le brouhaha d’un énorme torrent que l’on ne voit pas, bien entendu. Alors on l’imagine. A quoi ressemble-t-il ? Je ne sais pas. Il y a un peu plus de monde désormais, je croise des coureurs. Et puis enfin je me retrouve devant le panneau de la fameuse passerelle tant attendue. Aucun éclairage public ici. Seule la lueur de ma frontale me permettra d’éclairer le plancher en grillage au dessus d’un vide, mais quel vide ? On ne voit rien du tout. On entend un énorme torrent qui semble passer en dessous.
La traversée de la passerelle est une aventure à elle toute seule. Le noir le plus profond m’enveloppe propice à toute l’imagination possible. Cette passerelle est très mobile. Il nous a été rappelé de ne pas courir sur celle-ci. Comment? Les ingénieurs n’ont pas calculé l’impact du passage de coureurs de l’X-Alpine ? C’est rassurant. Et franchement en imaginant le gouffre en dessous de mes pieds et en étant légèrement balloté par le tablier mobile alors que je suis tout seul sur cette passerelle et dont je ne vois pas le bout, je n’en mène pas large. Mais elle mesure combien cette passerelle ? Et si elle se rompt je m’accroche à quoi ? Oui c’est complètement absurde les films que l’on se fait, complètement irrationnel mais pourtant c’est plus fort que moi. L’adrénaline coule vraiment dans mes veines et mes pulsations augmentent ! C’est assez instinctif et animal comme sensation, cette sensation de peur irraisonnée, que je ne peux pas raisonner. J’ai vraiment les jambes qui flageolent ! Et c’est donc avec un soupir non dissimulé que j’arrive au bout.
Youpiii c’est fini ?
Non il reste les fameux 300 mètres de D+ à priori pas compliqués. Disons c’est ce que je pense. Mais c’est quoi ces coureurs qui redescendent ? Je vois des lueurs de frontales de coureurs dans le sens contraire du parcours que je m’apprête à emprunter. Je ne comprends rien. Ils abandonnent ?
Je commence une ascension, cela monte, cela monte. Et là je me fais surprendre une nouvelle fois. C’est un chemin de crête droit dans la pente. C’est une montée à 30% qui me cisaille les jambes net. J’ai le souffle court une nouvelle fois, je suis complètement surpris par ce qui m’arrive. Il faut une nouvelle fois piocher. Je n’ose pas lever la tête pour prendre le risque de voir des lueurs de frontale suspendues dans les airs me donnant une idée du mur qui reste à franchir. Autant ne pas savoir dans ces conditions dantesques. Mettre un pied devant l’autre et serrer les dents constitue pour moi la meilleure stratégie de gestion de course d’un coureur à l’agonie qui ne comprend pas bien ce qui lui arrive. NB : « le coureur à l’agonie » c’est moi. Je me souviens qu’à cet instant je me dis que le mur « Lourtier / La Chaux » c’est pour les minettes. Et que ce mur a trouvé son maitre : c’est le mur de Panossières.
Après ces quelques encablures de souffrance me voilà arrivé sous la tente de Panossières. Il faut que je reprenne un peu mes esprits…
Ravito cabane de Panossières à 00h14 après 26h11 de course : Km 117 / Cumul D+ 8015 / clt. 68
Autant le dire, je me suis fait surprendre, cueillir, tabasser par ce que je viens de vivre depuis Brunet. Franchement là je ne comprends pas bien ce qui m’est arrivé. Je suis un boxeur groggy. C’est à ce moment, sous cette tente de Panossières, que je me dis que cette X-Alpine nouvelle formule sera pour moi la dernière. J’en prends l’engagement et je suis prêt à signer. Où se trouve le papier et le stylo s’il vous plaît ?
Il faut repartir pour reprendre la descente très longue m’a-t-on prévenu en direction de Lourtier. Et franchement j’ai hâte à ce moment de me retrouver au pied du mur Lourtier/La Chaux qui est un mur pour les minettes à côté de ce que je viens de vivre c’est sûr !!! Et le pire c’est ce que c’est vrai. Car ce mur à venir je sais que je vais le carboniser. Cela ne peut pas être pire que ce que je viens de vivre.
C’est parti pour la descente. Mais c’est quoi ce parcours, on revient sur nos pas ? On ne voit rien du tout. A quel moment on bifurque vers Lourtier ? J’aime bien les parcours qui revienne sur leurs pas mais je n’ai pas du tout l’intention de me retrouver sur la passerelle en ayant manqué l’embranchement.
Franchement le balisage est juste indigent. Je suis obligé de demander à un coureur de l’X-Traversée pour comprendre à quel moment je dois bifurquer sur la droite. Et ensuite on voit très mal les rubalises. Je suis contraint de me mettre à l’arrêt à deux ou trois reprises pour être sûr que je ne me suis pas égaré.
Finalement après quelques hectomètres de dénivelés négatifs le chemin est sans ambiguïté. C’est d’ailleurs assez drôle ce chemin le long d’un cours d’eau longeant une paroi rocheuse. Jusqu’à Lourtier je vais descendre en compagnie d’un runner très sympatique avec qui j’échange des anecdotes d’Ultra. Ce runner, je ne saurais jamais comment il s’appelle. Car sur toute la descente je jouerai le rôle d’ouvreur et n’aurai aucun moyen de jeter un œil à son dossard. Au bout d’un moment la descente se fait hyper technique dans un single track qui commence à fortement me lasser. Je commence à en avoir plein les chaussures de runnings de cette descente qui n’en finit pas. Et à un moment donné, je suis obligé de m’arrêter pour reprendre mon souffle, mais surtout un peu d’envie de continuer.
Oui autant le dire j’en ai marre et ne le cache auprès de mon compagnon traileur. Cela fait du bien d’ailleurs de l’exprimer. Je n’en peux plus de cette X-Alpine. Après Fionnay on marche l’un à côté de l’autre sur la route, cette partie étant plate. Un panneau indique « Lourtier 55 minutes » : cela calme direct, comme si j’en avais besoin. Je lui dis que cette épreuve est la plus dure que j’ai jamais faite. Il me confirme en me disant : « Oui avec l’Echappée Belle ». Et à ce moment je prends bonne note dans mon carnet imaginaire des TO DO or NOT TO DO : « Ne jamais s’inscrire à l’Echappée Belle ». Je prends plaisir à discuter avec lui en mangeant une barre au chocolat cacahuète qui m’apporte du réconfort. A ce moment là moi j’ai besoin de comfort food, je ne dirais pas non à des pancakes ni à des cookies, ni à du mauvais chocolat et même du Nutella c’est pour vous dire !!! Ceux qui me connaissent et lisent ces lignes doivent tomber à la renverse 🙂 Tout me va pourvu que cela m’apporter des calories et du sucre, je ne suis pas disposé à faire le difficile. Vous constatez à quel niveau de déperdition je suis.
Ravito de Lourtier à 03h05 après 29h02 de course : Km 129 / Cumul D+ 8039 / clt. 61
Avec mon compagnon on arrive finalement plus rapidement à Lourtier que ce qui était indiqué sur le panneau pour randonneur. Et là je vais m’attaquer non pas au mur mais à la marmite de « risotto made in Lourtier » et là franchement cela mérite bien une pause avant d’attaquer le mur à minettes. Je reprends deux bonnes assiettées de risotto avec des grains de riz qui croquent bien sous la dent. Moi je le trouve formidable ce risotto pas assez cuit dont les grains de riz vous plâtrent la surface des dents. Tout me va ! Je dis à mon compagnon que je suis prêt à être premier de cordée pour attaquer le mur et surtout qu’il ne s’en fasse pas. Après col d’Avouillon et Panossières, le mur Lourtier / La Chaux et ses 1200 mètres de D+ sont juste une formalité. On devrait l’engloutir en un peu plus de 2 heures.
Et j’attaque prêt à donner l’estocade à cette X-Alpine. Et très vite je perds derrière moi mon compagnon. Je monte à un train d’enfer. Et je peux le dire à ce moment là de la course j’ai retrouvé le Guane ! Et cette montée je vais en faire une bouchée « one shot » pliée en 2 heures et 7 minutes soit un chrono tout à fait en ligne avec mes précédents temps sur ce parcours (2h18 / 2h04 / 2h01 lors de mes trois précédentes éditions de finishers).
NB : A noter que contrairement aux autres éditions, ce mur est franchi lors d’une deuxième nuit blanche consécutive, j’avais vraiment le « Guane retrouvé » !
Ravito de La Chaux à 05h12 après 31h09 de course : Km 135 / Cumul D+ 9242 / clt. 62
C’est presque en vainqueur que j’arrive à La Chaux où l’on est accueilli toujours par le même gérant. C’est assez sympa de revoir toujours la même tête. Je n’ai pas trop envie de traîner. Je ne veux qu’une chose : EN FINIR.
Le jour se lève, je peux ranger la frontale. Le long de ce cours d’eau il faut un froid de canard. Je me gèle grave. Vite vite, mais à quel moment on bifurque à gauche ? C’est très long ce chemin, je veux quitter ce cours d’eau qui me refroidit comme si je courrais le long de la banquise.
Et c’est enfin parti pour le plongeon en direction de Verbier. Bon je connais par cœur ces circonvolutions dans le sous bois où les racines menaçantes sont là pour vous arracher le pied vous empêchant de rallier Verbier pourtant située à 3/4 kms.
Et là mauvaise surprise…. le parcours de la fin de course a été sensiblement rallongée pour des circonvolutions totalement inutiles dans des sous bois pour nous faire prendre la route et passer devant le W ! Une fin qui n’en finit plus et qui n’apporte absolument rien par rapport à la traditionnelle fin beaucoup plus directe et intéressante sous le télésiège ou télécabine. Alors que je suis super en jambe je vais mettre 10 minutes de plus que d’habitude pour faire cette descente sur Verbier.
Et c’est bientôt fini.
Personne dans Verbier et j’adore cette ambiance de réveil matin. Je suis seul, mais roi du monde. Je savoure les quelques hectomètres qui me restent dans Verbier. Je croise un seul piéton. Il est 6h30.
Je vois le photographe là bas sous l’arche. Les endorphines commencent à m’envahir, je suis à point, prêt pour le décollage.
Finisher
4 ième étoile
Epilogue
Oui, message à l’attention des organisateurs : ce nouveau format d’X-Alpine est BEAUCOUP plus difficile que le précédent.
A ce jour de retour à Paris, je n’ai encore rien signé.
« L’Ultra Trail où l’on vient pour manger ! » (citation d’un copain ancien finisher de la Trans Aubrac)
Quel bonheur de revenir en Aubrac après deux années vierges de compétition pour les raisons que l’on sait.
C’est ma sixième participation consécutive à cet UltraTrail que j’affectionne particulièrement. Principalement pour deux raisons : tout d’abord parce que c’est le premier UltraTrail auquel j’ai participé et également parce qu’il est formidable sur de nombreux points. On ne le court pas seulement pour la beauté des paysages mais également pour la gastronomie et son ravito 3 étoiles.
La préparation
Cet Ultra se positionne 6 jours après avoir terminé en finisher (j’aime les tautologies) l’ISTRIA 100 (récit ici) soit après un 100 miles. J’ai fermé les oreilles pour ne pas entendre les cris de ceux autour de moi qui étaient susceptibles de me dissuader d’enquiller deux Ultras avec si peu de jours d’intervalle de récupération. Et je loue ma femme de m’avoir donné le feu vert pour vivre deux belles aventures. En fait pour la petite histoire j’étais inscrit depuis longtemps à la Trans Aubrac. Et puis ma femme me donne l’opportunité d’aller courir l’ISTRIA 100 comme ça, sur un coup de tête. Et quand votre femme est toute disposée à s’occuper de vos jumeaux de 4 ans sur deux week-end d’affilé, vous ne réfléchissez pas, il faut dire OUI. Il n’y a pas d’autres alternatives.
Pour en revenir à la récupération. J’ai deux choses à dire. La première est de considérer que 6 jours sont suffisants pour la récupération musculaire des quadriceps dont les courbatures durent 48 heures. Ce qui constitue un atout : on s’aligne en conséquence avec des jambes en béton lors de la deuxième épreuve puisque le travail de destruction/reconstruction des fibres musculaires est achevé. En revanche, l’inconnue a plutôt trait à la récupération de la fatigue due à la nuit blanche qui a suivi le départ de l’ISTRIA 100 le vendredi précédent. Et force est de constater que c’est un peu juste. Les nuits qui suivent une nuit blanche pour moi sont plutôt hachées. Durant cette semaine il m’a été impossible d’ouvrir l’œil vers 5 heures du matin comme j’en ai l’habitude pour aller faire mon petit jogging de 1h30. Je n’avais pas prévu d’en faire avant le jeudi. Las, c’est bien sans aucun kms de récupération (à une époque on parlait de séance de décrassage) que j’arrive en Aubrac le vendredi 16 avril 2022 à 16 heures par avion à Rodez.
Les heures se succèdent assez vite. Je suis à Saint Geniez d’Olt dès18 heures et je dois vite aller récupérer mon dossard.
Comme j’en ai maintenant l’habitude je dîne chez Antoinette pour manger des crêpes. Cela me réussit très bien d’autant que celle au sarrasin et gésiers de canard est juste fabuleuse.
En revanche ce qui me réussit moins bien c’est la nuit qui précède le départ programmé à 6 heures du matin à Bertholène à 40 minutes de route de St Geniez d’Olt. Une navette nous attend à 4h15 pour nous conduire au départ. Il faut en conséquence se réveiller à 3h30. Cela fait une nuit très courte. Le problème est … qu’à 1 heure du matin je n’ai toujours pas fermé l’œil. C’est terrible une insomnie la veille d’une course. J’ai connu cela sur ma première X-Alpine (soldée par un abandon récit). J’ai dû dormir quelques dizaines de minutes et j’ai malheureusement besoin d’un réveil pour m’extirper du sommeil. Cela commence mal. Et ce n’est pas fini.
L’hôtel dans lequel je loge organise un petit déjeuner pour les coureurs de l’Ultra. Et je ne sais pas pourquoi j’y prends part alors que c’est une entorse à mes principes de préparation d’avant course. Et là je ne sais pas ce qu’il se passe. Cela dérape. Je craque pour un croissant, et après le croissant sur la brioche locale (la fouace aveyronnaise). Argghhh ! Je précise qu’en principe j’ai pour habitude de partir avec l’estomac plutôt léger. Cela m’a toujours réussi.
Navette à 4h15, arrivée à Bertholène à 5h dans le gymnase rempli de coureurs. Et une voix familière est diffusée à travers les enceintes, il s’agit de la voix de Patrick Montel qui est sur l’estrade en tant qu’invité animateur. C’est assez drôle de le voir ici sur une course de la Trans Aubrac où nous courrons en moyenne à 5 km/h alors que j’ai le souvenir de l’entendre commenter les courses de Carl Lewis et Ben Johnson au JO de Séoul. C’est ce qui s’appelle le grand écart.
Et nouvel écart gustatif de ma part. On découpe sous mes yeux ébahis un gâteau à la broche. Quelque chose s’active dans mon cerveau. Le circuit de la récompense se met en marche et me pousse irrésistiblement à tendre la main pour prendre 2 ou 3 morceaux (je crois que c’est 4 en fait). Puis après avoir engloutis cela je retourne une nouvelle fois vers ce comptoir pour en prendre encore plus. Mais pourquoi personne n’est là pour m’attacher à un mat ? Bref c’est ce qui s’appelle le gros Binge. En Croatie j’employais l’expression « hostile la nature ! » (voir récit), ici c’est plutôt « hostile la nourriture ».
6 heures c’est le top départ
Nous montons au pied du château de Bertholène qui est en haut d’un piton rocheux pour atteindre le sas de départ. Il fait un peu froid, nous avons tous enfilé notre coupe vent, je n’ai pas vraiment le moral avec tout ce que j’ai ingurgité. J’ai la sensation de ne pas être vraiment dans l’ambiance. Et c’est le feu d’artifice qui embrase la château. C’est parti. Le départ est toujours magnifique accompagné d’une musique assez entêtante. C’est pour moi l’heure de vérité ces premiers hectomètres car je n’ai pas couru du tout, (du tout !) depuis le passage de la ligne de finisher samedi dernier sur l’ISTRIA 100.
Cette première partie est hyper roulante. Des chemins de 4*4 sur du plat et légers faux plats. Cela part toujours très très vite. L’aube est là, la lumière est belle. Je me réchauffe. Premiers arrêts : pipi/rangements de ma gore tex… Je suis parti les flasques vides comme j’en ai toujours l’habitude car je sais tenir 2h40 sans boire. Mais en l’espèce c’est une erreur car l’air est très sec et comme je me suis goinfré de viennoiseries mon estomac a besoin de liquide pour digérer tout cela. Je trouve finalement le temps long jusqu’au ravito de Saint Cômes d’Olt.
Ravito 1 : St Côme d’Olt / 2h39 depuis le départ / km 10 / cumul D+ 190 / clt. 191
Il est 8h44 du matin. Cela commence à cogner sur le casque. Evidemment à chaque ravito c’est le rituel des 3 gobelets de Coca qui font ici un bien fou. Et je n’ai vraiment pas faim. Je remplis au max mes flasques. Moment toujours extrêmement désagréable lorsque l’on se met de la crème solaire qui sent aussi mauvais. Et dès la sortie du ravito c’est le premier grand coup de mou. Mon estomac est gonflé comme un ballon : j’ai l’impression que les viennoiseries que j’ai encore dans l’estomac viennent de tripler de volume avec l’ajout du liquide que je viens d’ingérer. Mes flasques que je porte sur le torse pèsent 1 litre et me lestent vers l’avant. Bref, j’ai l’impression de peser le poids d’un tank. Je me fais déposer par des dizaines de coureurs (des solos comme des nombreux relayeurs qui filent comme des flèches puisqu’ils viennent de prendre le relais à St Côme). Je suis habitué désormais à ne plus prendre ombrage de ces coureurs qui vous dépassent, certains vous disent « bonne course » sur un ton condescendant qui en dit long. Et justement je choppe dans mon viseur le numéro de dossard d’un de ces jeunes loups qui me dit « bonne course » sur un ton un peu ironique en volant littéralement. Je me dis qu’il est assez risqué d’avoir ce type d’attitude vis à vis des autres coureurs, surtout maintenant, et d’avoir trop confiance en soi. En effet un Ultra c’est LONNNNGGG, il peut se passer BEAUCOUUUUUUP de choses. Et en l’occurrence je dépasserai au km 75 en début de soirée ce même jeune homme quasiment à l’arrêt (en train de marcher) qui me dit qu’il ne peut plus descendre les pentes car ses quadriceps sont en feu. Oui, à ce moment là on fait moins le malin.
Cette partie jusqu’à Laguiole est particulièrement difficile, c’est selon moi la partie la plus compliquée de cet Ultra. Car ce n’est qu’une succession de faux plats, petits « raidars » dans les sous bois. Mais on traverse des lieux magique comme cette Abbaye de Bonneval.
Ravito 2 : Abbaye de Bonneval / 4h16 depuis le départ / km 32 / cumul D+ 1150 / clt. 252
Au niveau du classement c’est effectivement la dégringolade comme j’ai pu le constater durant la course. Je n’ai pas arrêté de me faire dépasser. Mais peu importe, tant que je suis capable de mettre un pied devant l’autre, je continue. J’ai toujours cette citation en tête : « Ne crains pas d’être lent, crains d’être à l’arrêt ». J’ai du mal à relancer, j’ai une vraie fatigue, envie de dormir. J’ai l’impression d’avoir un casque sur la tête. Lors de mes 6 Trans Aubrac à ce stade de la course je n’ai jamais été aussi mal. En bref, « je n’ai pas le guane ! ».
Ravito 3 : La Vitarelle / 5h52 depuis le départ / km 42 / cumul D+ 1891 / clt. 215
Cela ne va toujours pas mieux. Mais cette fois je prends plaisir à discuter avec un coureur. On a des discussions de CAP et puis très vite on arrive sur des sujets improbables comme le danger de l’usage des écrans/tablettes par les enfants/adolescents et comment gérer ces situations qui mènent à l’échec scolaire. Je ne sais plus vraiment comment on est arrivé à dériver sur ce sujet qui, il faut le dire, me tient à cœur et m’inquiète étant le père de jumeaux de 4 ans. C’est un peu plus profond que le sujet concernant l’usage ou non de la machine à laver pour ses chaussures de runnings (cf. Tor des Géants).
Je me remets un peu en selle sur cette partie de course. Comme quoi sociabiliser sur une course apporte du réconfort et change les idées. On se sent mieux.
On traverse néanmoins des chemins de pierre complètement engorgés de boue qui ralentissent énormément la cadence. Concrètement je m’aperçois assez vite que mon objectif de terminer à St Geniez juste avant le début du JT de 20 heures présenté par Jean Claude Bourret est d’ores et déjà hors d’atteinte et qu’au mieux du mieux j’arriverai à la fin de la présentation de la météo d’Evelyne Dhéliat.
Ravito 4 : Laguiole / 7h40 depuis le départ / km 53 / cumul D+ 2194 / clt. 176
Il est 13h46. J’avais prévu 13h, je suis totalement dans les choux. Et même pour arriver au début du prime time du samedi soir cela va être très compliqué. Je récupère mon sac de change et ma boîte de brownies que je vais engloutir et arroser tout cela d’un mélange coca + eau minérale. J’ai pour tradition en sortant de ce gymnase surchauffé de téléphoner à ma famille en marchant (pour ne pas dire en titubant) et en traversant la fameuse forge à couteaux Laguiole. C’est le moment où je partage mon état de souffrance en donnant un peu le change : « Oui oui je vais bien. » / « C’est formidable » / « Je vais prendre mon temps pour contempler le paysage ». Dans les faits je suis « explosé » mais cela ne se dit pas et puis je sais également que rien n’est immuable, surtout sur un Ultra. Les choses évoluent assez vite.
On attaque la plus belle partie de cet Ultra : les plateaux de l’Aubrac. Mais pour cela il faut quand même grimper un peu. La température a bien baissé, le vent est assez fort et surtout il joue le rôle d’un réfrigérateur. C’est le passage vers la station de ski. A noter qu’il s’agit de la troisième édition qui comporte un changement de parcours assez significatif par rapport à mes trois premières participations, comme je le regrette. En effet il n’y a plus cette ascension vers ce pic, ce promontoire exceptionnel (voir les photos ici extraits de mes précédents récits) où j’écarte les bras comme pour embrasser ce paysage. Pour la petite histoire, un peu triste, le propriétaire de ces terres n’accepte plus que la Trans Aubrac traverse son territoire sans…recevoir une contrepartie au passage. Ce que les organisateurs lui ont toujours refusé.
Le ciel est assez couvert et le vent est glacial pour les supporters assistants qui sont emmitouflés, et pour certains dans des anoraks. C’est ainsi que je reprends un peu de jambe dans les faux plats et arrive plutôt en bonne forme dans le temple/le saint Graal de cette Trans Aubrac à savoir le Buron des Bouals qui contient ce fameux ravito 3 étoiles !
Ravito 5 : Buron des Bouals / 11h10 depuis le départ / km 77 / cumul D+ 2946 / clt. 146
Il est 17h16 : moment du tea time !!! Cela dit c’est la première fois que je vais aussi peu manger à ce ravito exceptionnel confectionné par un chef pâtissier. Je n’ai pas faim et n’ai vraiment pas envie de me tirer une nouvelle balle dans le pied alors que je retrouve quelques bonnes sensations. Ainsi mon arrêt se limitera à prendre un fond de bol de soupe au vermicelles, deux demi tranche de farçous (toutes petites j’vous jure !!) et des morceaux de saucissons. Car il faut bien le dire « dans le saucisson tout est bon ! ». Et c’est vrai que j’ai une envie irrésistible de salé, je mangerais bien une entrecôte ! Je ne m’attarde pas, je repars…et après avoir fait 100 mètres je me dis qu’il faudrait que je prenne encore des tranches de saucissons tellement cela me fait un bien fou cette chose là !
La partie qui vient est très belle. J’avance à un assez bon rythme, ce n’est pas non plus aussi rapide qu’en 2016 où j’ai le souvenir d’avoir couru même dans les faux plats montants. Mais la difficulté est quand même présente en raisons de tourbières qu’il est parfois impossible de contourner : et splash ! Il est inutile de jouer à l’acrobate. Autant mettre les pieds dedans en veillant à ne pas y laisser ses chaussures.
Et je sais que cette toute dernière montée le long des deux burons (voir photos) sonne la fin des plateaux de l’Aubrac.
Et on amorce la forte descente. J’aime particulièrement cette partie où je retrouve mes jambes pendant environ 1 heure. Ce sont des pistes assez larges où je cours assez rapidement.
Ravito 6 : Cascade de Lacessat / 12h47 depuis le départ / km 88 / cumul D+ 3131 / clt. 127
Il est 18h52. Après cette partie qui était rapide on va attaquer la deuxième difficulté de cet Ultra. La traversée du sous bois et ses deux raidillons de la mort.
La partie en sous bois est beaucoup moins drôle. Je prends un grand coup sur la tête (ie : entendre « je suis crevé »). Impossible de relancer sur ce single track. Et puis il y a toujours cette partie de « traversée du Mékong » qui est plus détrempée que jamais. Nous ne sommes pas des runners mais des soldats avec le couteau entre les dents en trains de trouver un passage, les pieds dans l’eau et en se tenant aux branches des arbres. Pas simple pour nous autres Rambo !
La voila la première pente « droit dans le pentu ». Sur les premiers 10 mètres il faut parfois mettre les mains car il s’agit bien d’un mur de terre que l’on nous demande d’escalader. Et autant le dire je n’ai plus du tout de jus. J’ai pour habitude sur ces parties de plutôt bien m’en sortir mais en l’espèce je dois actionner le pilote automatique et surtout ne pas lever la tête pour ne pas voir le reste de la pente.
Moment de grâce lorsque les rayons du soleil à l’horizon donnent des teintes chaudes (jaunes/oranges) au paysage. Les descentes sont assez raides et sollicitent énormément les quadriceps qui peuvent être en feu si on n’a pas été suffisamment entraîné. L’ISTRIA 100 m’a permis justement à mes muscles de passer la phase de destruction/reconstruction des fibres une semaine plus tôt si bien que les descentes ne me font plus rien (« même pas mal ! »). Ce qui n’est pas le cas du jeune coureur auquel j’ai fait allusion plus haut dans ce récit. C’est ainsi que l’on arrive dans ce très beau village de fond de vallon à la tombée de la nuit.
Ravito 7 : St Martin de Montbon / 14h35 depuis le départ / km 98 / cumul D+ 3462 / clt. 118
Il est 20h41. C’est foutu pour arriver à temps pour voir la présentation de la météo d’Evelyne Dhéliat.
Cela dit la tombée de la nuit à ce moment du parcours a quelque chose de magique. Avec deux autres coureurs nous mettons nos frontales avant cette toute dernière bosse au milieu de laquelle nous attendent beaucoup de supporters. Et là un spectacle incroyable nous attend : exactement dans l’axe de notre single track derrière les supporters qui nous attendent à sa cime un disque lunaire de toute beauté, énorme se lève juste au-dessus de l’horizon montagneux. Hallucinant ! Quel bonheur. Après tous ces efforts c’est un vrai cadeau et une réelle gratification d’assister à de telles configurations où la météo (ciel cristallin) se conjugue avec un improbable positionnement des astres.
J’ai beaucoup de plaisir à poursuivre sur le plateau qui nous attend. J’ai pour habitude de courir assez vite sur cette partie. J’ai retrouvé mes jambes et puis, je sais que c’est bientôt la fin. J’en connais presque par cœur tous les recoins et rebondissements au sens propre comme au sens figuré. Dans la nuit je dois juste faire très attention à ne pas tomber, cela m’est déjà arrivé au même endroit. Cela serait trop bête si proche de l’arrivée.
Dernière descente, très raide vers le lit du Lot. Il reste quelques kms de plats le long de la rivière avant de croiser le premier bâtiment de St Geniez d’Olt. Il s’agit d’une énorme bâtisse dont on peut voir la cheminée à travers la fenêtre.
Et puis les derniers hectomètres, cet étrange traversée de camping juste avant le contournement du gymnase de l’arrivée. Et pour finir cette entrée dans cette salle archi blindée, surchauffée, bruyante. C’est fini, finisher.
Cela dit je ne m’attarde pas ici, je n’ai qu’une envie, prendre mon sac et repartir. Dans cette salle qui doit bien contenir plusieurs centaines de coureurs/assistants/membres de famille le bruit est insupportable pour moi. C’est une foire. Et après une telle course dans la nature c’est bien la dernière chose dont j’ai envie. J’ai besoin de poursuivre cette journée de quiétude. Je repars très vite à pied pour le centre du village et m’attabler 15 minutes plus tard, seul dans le silence à la terrasse de cette crêperie « Chez Antoinette » pour déguster cette excellente crêpe de gésiers de canard. Je vous l’ai dit en préambule : la Trans Aubrac on y vient pour manger !
Synthèse et chiffres
Chrono : 15h40
Classement : 106 ièm parmi 475 partants =>> soit classement appartenant au 3ièm décile des coureurs au départ.
365 finishers (taux d’abandon de 23%) donc 106/365 =>>soit classement appartenant au 3ièm décile des finishers.
Un Ultra Trail dont je n’avais jamais entendu parlé jusqu’à ce que Loïc J. me fasse part de son inscription un mois avant la clôture.
L’istria ? C’est où ? Spontanément je localise ce lieu dans les Pays Baltes. Or après quelques recherches je comprends qu’il s’agit d’une péninsule qui appartient à la Croatie. Une avancée de terre dans l’Adriatique à quelques encablures de Venise.
« Quelle est la capitale de la Croatie ? »
Ma réponse : « Euh…. »
J’adorais jouer au jeu des capitales quand j’étais jeune et j’étais incollable ! Cela dit je n’y ai plus joué depuis mon adolescence et il faut bien le dire : avec l’éclatement des empires dans les années 90, le jeu s’est considérablement complexifié !
En effet, j’en suis resté à la version vintage des années 80 :
« Yougoslavie ? »
ma réponse => Belgrade !
ou encore :
« U.R.S.S ? »
ma réponse => Moscou !
Donc, concernant la capitale de la Croatie j’ai dû me renseigner au préalable…
L’inscription à l’ISTRIA 100 m’a permis de me remettre à niveau au moins concernant le nouveau découpage – hyper compliqué – des nouveaux états de l’ex-Yougoslavie. Concernant l’ex-U.R.S.S cela attendra que l’on y organise des Ultra Trails, ce n’est pas à l’ordre du jour manifestement.
dialogue imaginaire :
« Je participe à un Ultra qui s’intitule l’ISTRIA 100. »
« ouhaouuu, 100 kms c’est hyper dur ! »
« Euh, « 100 » ce sont des miles »
fin du dialogue imaginaire.
Le Parcours en quelques mots
168 kms (format 100 miles)
6560 mètres de dénivelé positif
46 heures max cut off
Au km 100 c’est comme s’il restait ensuite une SaintéLyon (citation de quelqu’un qui se reconnaîtra)
Mon état de forme
Oui je me sens plutôt au faît de ma forme.
Après 5 semaines d’arrêt de la course à pied en février pour infection j’ai repris le 28 février et totalisé depuis 450 kms environ dont 230 kms sur les seules deux dernières semaines en courant tous les jours environ 1h40 chaque matin. Mon dernier 100 miles remonte à loin en fait. Il s’agissait de l’UTMB lui-même en 2017.
Petit nota bene à l’attention des coureurs d’Ultra ci-dessous. Les autres lecteurs peuvent sauter le passage qui ne les intéressera pas. Il a trait au libellé de la course et notamment son suffixe « by UTMB ». C’est quoi cet addendum ?
« By UTMB » c’est quoi ce truc ?
Depuis cette année, l’association UTMB Mont-Blanc fédère et accorde une licence « by UTMB » (une trademark qui a pris beaucoup de valeur) à une liste d’Ultra Trails soigneusement choisis dans le monde. Ces épreuves (une vingtaine pour l’instant) font partie du circuit « UTMB World Series » qui comprend les courses qui sont désormais les seules à fournir aux finishers les crédits leur permettant de participer à la loterie des 3 Ultras de l’UTMB Mont-Blanc à Chamonix (l’OCC, la CCC et la grande UTMB Mont-Blanc). En d’autres termes, si l’on veut participer au tirage au sort d’une des courses de l’UTMB, et bien on doit impérativement au préalable avoir été finisher d’une des courses du circuit « UTMB World Series » pour être crédité de « running stones ». Les « Running Stones » sont des « tickets de loterie » permettant de participer aux courses de fin août à Chamonix (auto proclamé capitale du Trail Running). Plus on obtient de running stones plus on augmente ses chances d’être tiré au sort. Voilà pour le concept.
Notons que cette fameuse License « by UTMB » accordée aux organisateurs de ces courses s’accompagne de critères/contraintes de qualités de services qui sont offerts aux participants. Ainsi : les organisateurs d’UltraTrails de la liste (bénéficient d’une forte promotion) les coureurs (qui bénéficient d’une qualité de prestation au top et des « running stones » pour le tirage au sort) et l’association UTMB Mont-Blanc (qui ne publie toujours pas ses comptes) : TOUT LE MONDE IL EST CONTENT !
Récit de course : enfin !
Jeudi 7 avril 2022 (veille du départ de la course)
J’arrive à l’aéroport de Trieste en Italie dans l’après midi. Un chauffeur (réservé via le site de l’organisation de la course) me conduit jusqu’à la petite cité balnéaire d’Umag. Il est 17 heures. Bon autant vous le dire, Umag c’est très moche. Cela ressemble à une de nos ville balnéaire construites à la hâte dans les années 60/70 chez nous (je ne citerais pas de noms). Mon hôtel (réservé via le site de l’organisation) est ultra moderne, il est situé à 3 kms du centre ville et du centre sportif. Dans ce dernier sont localisés à la fois la piste d’athlétisme sur laquelle figure l’arche d’arrivée de la course ainsi que la halle expo de remise des dossards. Je m’y hâte dès 17 heures pour prendre mon dossard et faire contrôler le matériel obligatoire (standard d’exigence correspondant à la licence UTMB cf. supra). Nous sommes très peu, il faut dire que sur la course 100 miles (dont le numéro de dossard est de couleur rouge) nous ne sommes que 245 inscrits (pour un numerus clausus fixé à plus de 500) et que nous ne serons que 185 à prendre le départ. Pour la première course de la toute première saison des « UTMB World Series » c’est ce qui peut s’appeler un flop. Mais c’est tant mieux pour les coureurs évidemment. Quel confort ! J’assiste à la présentation des élites dont notre français Alexandre (alias Casquette Verte qui terminera 8ièm) et je rencontre en chair et en os un correspondant Wa, Loïc J., avec lequel je corresponds depuis 2019 et qui terminera 21ièm.
Je file manger des pâtes dans un restaurant italien, et ce n’est pas bon.
Ensuite c’est direction l’hôtel pour préparer mon sac de change qui me sera restitué à mi-course et tout le matériel.
Dodo de qualité moyenne. C’est très médiocre, je me réveille fatigué.
Il est vendredi 8 avril 2022 au matin
Mes petits déjeuners à l’extérieur de mon domicile sont toujours les mêmes : scramble eggs, un thé, un peu de pain.
Je dois filer au plus vite au centre sportif pour laisser le sac de change qui me sera remis à mi-parcours. Il est 8h30, il fait déjà chaud. L’aller retour, à un rythme de marche rapide, fait 6 bornes. Cela peut sembler un peu insensé le jour de la course mais c’est ce que j’ai l’habitude de faire tous les matin après mon petit déjeuner à Paris. Il ne m’est pas possible de retourner travailler sans traverser le Palais Royal, Jardin des Tuileries, Concorde, et retour par le Palais Royal (soit 5 bornes de marche). Donc je conserve le même rythme le jour de la course dont le départ aura lieu l’après midi même si celle-ci fait 165 kms. Je dois faire vite car je suis en télétravail ce matin dans ma chambre d’hôtel au frais.
Il est prévu une conf call avec le directeur des gestions pour nous présenter un changement de process qui doit apporter transparence et simplicité. Et ce qui répond à cette définition doit pouvoir être présenté en moins de 30 minutes, c’est d’ailleurs le slot qui est prévu dans les agenda de tous les membres de l’équipe à laquelle j’appartiens.
C’est ainsi qu’après 2h30 de conf call il ne me reste plus beaucoup de temps pour terminer mes tâches opérationnelles de la journée. Je ferme l’ordinateur à 12h30, je troque ma chemise pour ma panoplie de traileur couleur Schtroumpf en clin d’œil (et ce n’est pas une blague) à la Squadra Azzura, eu égard à mes origines transalpines ainsi qu’à la passion que portent les membres de ma famille au football.
J’ai donc 3 kms à faire à pied, je m’arrête en chemin dans le même restaurant italien pour manger un plat de tagliatelles au beurre bien dégoulinant. Oui, on peut le dire, la nourriture ici c’est un drame, même pour un plat de pâtes au beurre.
14h30 départ du bus qui nous mène au départ de la course à Labin aux antipodes d’Umag. Le parcours de l’Istria 100 ressemble à une grande diagonale traversant de part en part la presqu’île. Le voyage en bus va durer presque 1h30. Je suis toujours impressionné quand je vois ce que nous arpentons en bus par l’idée qu’il va falloir faire le chemin inverse, à pied, et avec du dénivelé qui plus est ! On a envie de dire au conducteur de ne pas aller aussi loin car nous, les runners, on va devoir tout se refaire dans le sens inverse en passant par la montagne. Nous commençons à emprunter des lacets qui me brassent un peu l’estomac. Et là je pense à ma fille 4 ans qui, impatiente d’arriver à destination quelle qu’elle soit (jardin public, cabinet du médecin, station de métro etc..) a pour habitude systématiquement d’user de l’expression « On arrive à quelle heure ? ». Et bien cela sera 16h, soit 1 heure avant le départ effectif.
Le village de Labin est haut perché sur un rocher (et cela sera une constante pour tous les villages que nous allons traverser durant la course), avec un surprenant puits de mines en périphérie.
Nous attendons 1 heure et il fait assez froid à Labin. Le ciel est couvert, aucun rayon de soleil.
le départ d’une course de quartier
17 heures : Top départ
Et l’on commence par une bonne descente. On part vite, trop vite. J’ai les jambes un peu flageolantes. Le sentier est jonché de grosses pierres. C’est assez technique mais mes SpeedGoats EVO sont vraiment exceptionnelles sur ce type de terrains. J’attaque par le talon et l’amorti de la chaussure fait le reste.
On sent que le climat va être assez menaçant. Il était temps que l’on se mette en mouvement car la température baisse assez vite.
Ravito 1 : Plomin km 15.5 / D+ cumul 486 / 1h45 depuis le départ / 75ièm au clt.
Il est 18h45. Nous sommes redescendus au niveau de la mer. Il s’agit d’un port industriel. Le vent vient de se lever. J’ai besoin de boire car je pars toujours les flasques vides. Toujours le même rituel de boire 3 gobelets de coca. Je remplis mes flasques, prend une banane et c’est reparti.
Nous avons une côte de 700 mètres de D+ qui nous attend. Franchement cela va me faire du bien, les montées quand on est un peu fatigué, et bien moi je trouve cela reposant. Le paysage est sec, de la garrigue.
Le vent souffle de plus en plus fort. De plus en plus menaçant, des volutes de brouillards commencent à freiner l’ascension. Je suis toujours en T-Shirt et il va falloir penser à mettre la Gore Tex. Nous sommes entre chien et loup et le vent commence à donner des coups de gifles et, ce n’était pas prévu il y a même quelques petites gouttes de pluie. Franchement ce n’est pas une partie de plaisir. J’en profite pour mettre tout de suite la frontale.
La descente en direction du ravito suivant se fait alors de nuit. J’aperçois en contrebas des lumières entourant une grande surface noire. Qu’est-ce que c’est que cette plaine noire ? Je croise déjà un coureur qui me dit qu' »il est flat ». Déjà. La descente est très technique sous les arbres qui semblent être des pins. Zut, la pluie commence à se faire sentir. Un coureur me croise, on s’arrête tous les deux en même temps. Moi c’est pour mettre mon pantalon imperméable, lui c’est pour changer sa frontale qui est en panne. Il me demande de l’éclairer. Merci la liste du matériel obligatoire de l’UTMB qui requiert deux frontales ! Il est italien et doit avoir au moins 60 ans. Il me dit qu’il est en peine car il n’a pas de batterie de rechange pour sa deuxième frontale alors qu’il anticipe de passer une deuxième nuit sur le parcours. Las, le matériel obligatoire impose bien d’avoir également une batterie supplémentaire pour chacune des 2 frontales ce qu’il n’a, semble-t-il, pas compris ou respecté. Je ne peux rien pour lui car si je lui prêtais ma Misti (ma lampe BU) il ne pourrait pas l’utiliser car elle requiert un unique serre-tête que je me dois de conserver sur la tête pour mes 2 frontales. Je ne peux que lui conseiller lors de la deuxième nuit de suivre des coureurs et de rester dans leur sillage. Nous courrons un peu ensemble et je le laisse derrière moi.
Et tout d’un coup la délivrance et une surprise nous attend. Nous sommes au bord de la mer dans une magnifique cité médiévale. Quel cadeau ! Le parcours suit une ruelle longeant de très belles maisons datant au moins d’un siècle, le flot de la mer me berce. Il fait beaucoup plus chaud. A peine quelques piétons, nous félicitant. C’est très beau.
Ravito 2 : MOSCENICKA DRAGA km 35 / D+ cumul 1451 / 4h54 depuis le départ / 79ièm au clt.
Il est 21h54.
Toujours le même rituel, banane et trois verres de coca. Cela fait plaisir de voir du monde, et des bénévoles. Car depuis Plomin je cours pratiquement seul. Il y a un coureur sur un lit de camp, je crois que c’est terminé pour lui. Je prends quelques carrés de chocolat. La portion à venir est la plus difficile en terme de D+. Je dois me préparer à 1400 mètres de D+ one shot ! C’est la plus grande ascension de la course. Alors ce n’est quand même pas Le Catogne (1900 D+) de l’X-Alpine non plus mais quand même à ce stade de la course en pleine nuit j’appréhende un peu.
Et la pente devient très très raide. Mais comme dit plus haut, je monte en me reposant. Toujours en mettant un pied devant l’autre, je gagne en altitude et puis tout d’un coup le vent violent refait surface comme par magie. C’est très bruyant. Il commence à faire froid, la Gore Tex me protège. Mais cela se gâte. Le brouillard revient. Je suis seul et je ne sais plus ce qu’il se passe. Je ne perçois plus les rubalises qui me permettent de rester sur le parcours. Je ne sais plus quelle direction prendre, enveloppé par le brouillard. Je n’ai pas de montre avec le parcours téléchargé, la mienne ne me donne que l’heure (et elle le fait bien). J’ai une montée d’adrénaline qui coule dans mes veines, les pulsations montent. Vent violent qui fait du bruit, brouillard, je suis déjà perdu….hostile la nature non ? Je vais attendre quelques minutes avant qu’une lampe frontale vienne dans ma direction. Ce coureur a-t-il une montre GPS ? Bingo ! Je suis sa trace. Il n’est pas seul, nous allons être trois à poursuivre l’aventure. Cela continue de monter assez fort dans un sous bois de pins, puis plus rien. Nous sommes sur un chemin de crète balayé par le vent. Enfin, le sommet se signale par un panneau de randonneur. Nous commençons la descente en direction de Poklon. J’ai besoin de souffler un peu.
Ravito 3 : POKLON km 52 / D+ cumul 2883 / 8h38 depuis le départ / 76ièm au clt.
Il est 1h38 du matin.
Autant le dire je me sens rincé depuis le précédent ravito de Moscenicka Draga. Je ressens une fatigue, envie de dormir. Une sensation jamais ressentie dès la première nuit d’un Ultra. C’est surprenant pour moi. Sur le Tor il m’avait fallu attendre au moins deux nuits blanches pour me sentir fatigué (au sens d’envie de dormir). Cette sensation inédite je ne la comprends pas. N’ai-je pas assez dormi les nuits précédentes ? Bof, ni plus ni moins que d’habitude.
La descente qui suit, je ne m’en souviens plus vraiment.
Ravito 4 : BRGUDAC km 67 / D+ cumul 3117 / 10h48 depuis le départ / 73ièm au clt.
Il est 3h48 du matin.
Pas de grands souvenir de ce ravito si ce n’est qu’à la sortie lorsque je regarde le panneau qui figure dans tous les ravitos et qui indique le chemin qui reste à parcourir ainsi que le D+, je me dis qu’il reste à parcourir une TransAubrac à savoir environ 100 kms et 3400 de D+. Finalement ce n’est pas si difficile.
J’ai le souvenir que les sentiers qui suivent et que je fais de nuit sont principalement des chemins de 4*4 assez roulants. J’arrive relativement bien à relancer malgré cette fatigue qui m’est tombée dessus et dont je ne me débarrasserai finalement jamais. Je ne me souviens pas vraiment des quelques côtes que l’on doit surmonter et que je redécouvre en regardant ex-post le profil en rédigeant ces lignes.
Ravito 5 : TRSTENIK km 85 / D+ cumul 3884 / 14h08 depuis le départ / 61ièm au clt.
Il est 7h08 du matin.
Le petit jour. Au sortir de ce ravito je vais suivre une traileuse hyper forte et trapue, elle a plus de 55 ans au moins. Elle est impressionnante. On ne se parle pas, on est je pense elle comme moi complètement flingués. Le paysage que l’on traverse au levée du jour est magnifique et me fait penser au paysage provençale que l’on peut arpenter autour de la Montagne Sainte Victoire. Dommage qu’il n’y ait aucun rayon de soleil (la lumière est juste blanche) car c’est magnifique, sec, de la garrigue avec des herbes sèches couchées de couleur très claire (presque blanc comme de la neige). Je suis le sillage de la coureuse, elle semble plus en jambe que moi, je ne suis pas capable de prendre la relève. Nous allons nous suivre, nous croiser, enfin nous parler…jusqu’à 18 heures mais nous ne le savons pas encore.
Ravito 6 : BUZET km 99.9 / D+ cumul 4287 / 16h46 depuis le départ / 69ièm au clt.
Il est 9h46 du matin quand nous atterrissons sur la terre ferme de la petite ville de Buzet. C’est vraiment une étape importante, presque la délivrance car la nuit a été très dure. Le fait que cela soit un grand ravito, qu’il symbolise un peu la fin de la première partie de ce trail et notamment le fait de laisser derrière soi la majorité du D+ rassérène … même si c’est une illusion. Car le plus difficile est en fait à venir. Pour l’instant je profite des derniers hectomètres d’ici le ravito pour appeler ma femme, faire une vidéo pour mes proches sur Wa.
Toujours pas un seul rayon de soleil. Dans mon sac de change je retrouve mes brownies fait maison, des barres de blondies (toujours home made) que je déguste et découvre pour la première fois car c’était un peu la récompense que je me réservais si j’atteignais Buzet. Je déguste deux énormes plats de pâtes au beurre (des Penne) qui me rappellent mes ravitos du Tor des Géants (je ne prenais que cela en plat chaud). J’arrose cela de verres d’eau. Et c’est donc la panse bien remplie que je décide de repartir. Je pense être resté à ce ravito au moins 20 minutes.
Faisons le point :
Il reste la distance d’une SaintéLyon et avec le dénivelé d’une SaintéLyon, cela devrait le faire ça non ?
Oui mais…cela n’est pas si simple que cela.
Tout d’abord ce qui reste à courir va s’effectuer de jour (et donc avec une température plus élevée) et avec au préalable dans les jambes 100 kms et 3600 de D+ derrière soi. Donc, non les conditions ne sont pas vraiment les mêmes.
Je sors du ravito toujours habillé de mon pantalon imperméabilisé, je n’ai plus ma Gore Tex. Et puis très vite le soleil fait son apparition, comme par enchantement alors que cela n’était pas vraiment prévu par la météo.
Je vais être assez vite assommé par la température et le soleil. Je dois impérativement ressortir mes lunettes de soleil que je ne pensais pas remettre, je dois me couvrir tout ce qui dépasse autour du visage : les oreilles et la nuque. Mettre de l’écran total sur tout le reste car je sais que je risque de cramer. Cette matinée est assez difficile et les deux ascensions qui suivent sont pour moi harassantes. Je vais me laisser dépasser plusieurs fois. Ma vitesse ascensionnelle n’a jamais été aussi lente. J’ai l’impression de peser le poids d’un tank. Avec la coureuse slovène on commence à échanger quelques mots. Elle va courir l’UTMB cette année après s’être qualifiée sur une course très difficile dans le Val d’Aran. Sur la deuxième ascension on souffre tous les deux, on ne parle plus. J’ai toujours mon pantalon qui commence à me faire transpirer mais j’ai la flemme de m’arrêter et de l’enlever. Je continue même si cela m’incommode. Oui cela peut paraître étrange mais il faut savoir qu’après plus de 110 kms de course et presque 20 heures passées le moindre geste requiert des ressources que l’on n’a plus en réserve quitte à supporter une gêne. C’est une attitude irrationnelle mais assez classique sur un Ultra, enfin pour moi.
Lors de la deuxième deuxième descente on aperçoit en contrebas un énorme lac et un ravito là bas tout au bout. La température est probablement au dessus de 25 degrés. C’est quasiment insupportable. Cela cogne !
Ravito 7 : BUTONIGA km 117 / D+ cumul 5072 / 19h51 depuis le départ / 54ièm au clt.
Il est midi 51 minutes.
Franchement je n’ai pas envie de rester trop longtemps au ravito. Je décampe vite fait. Il fait trop chaud. Je continue le long d’une rivière et je fais le constat que je suis complètement rincé, totalement vidé d’énergie. Je me traîne, incapable de relancer. Je mets un pied devant l’autre. Limite je jardine. Je m’arrête enfin pour enlever mon pantalon imperméable que j’avais conservé jusqu’alors. Oui je sais c’était déjà très inconfortable depuis au moins 2 heures. J’ai perdu ma slovène. Je suis au fond du trou à ce moment là de la course, le moral est au plus bas. Il reste sur le profil de course encore 4 bosses d’environ 400 mètres à peine de D+ chacune. Je cuis littéralement sous le soleil, je suis très loin de me douter que dans moins de 4 heures … se prépare une tempête de grêle.
Il y a deux ascensions. Elles se terminent de mémoire par deux très beaux jolies villages. Au vue des boutiques et restaurants que l’on longe je comprends que la grande spécialité locale est la truffe. Le long d’une magnifique terrasse de restaurant on en hume l’odeur qui s’exhale des assiettes des clients. Je ne peux goûter mais cela semble être une tuerie ! Finalement on doit bien manger ici.
Nous savons depuis quelques jours qu’il est prévu de la pluie en fin de journée sur le parcours, c’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’avais déjà endossé ma panoplie anti-pluie dès la première nuit. Ce qui n’était pas prévu c’était le plein cagnard de début d’après midi. J’avais même hésité à prendre la crème solaire pensant qu’elle était inutile. Le ciel s’obscurcit assez nettement, le vent violent est de retour lorsque j’arrive sur cette longue route bitumée me conduisant à Livade, huitième ravito.
Ravito 8 : LIVADE km 132 / D+ cumul 5722 / 22h36 depuis le départ / 49ièm au clt.
Il est 15h36.
Il commence à faire très froid tout d’un coup. Je remets tout mon équipement anti-pluie du pantalon à la Gore Tex, je mets immédiatement la capuche. La température a probablement chuté d’environ 10 degrés. On se caille grave.
Dans l’ascension du col on aperçoit des nuages noirs comme de l’encre qui viennent dans notre direction. C’est comme dans un film, la noirceur des nuages ferait presque penser au champignon atomique. Le vent commence à être très violent. Nous atteignons le sommet où la violence du vent nous empêche de courir. Il faut lutter pour pouvoir avancer. Et soudain on sent des gouttes…non ce ne sont pas des gouttes de pluie, mais de la grêle. Et c’est la tempête. J’ai hâte que l’on redescende le plus vite possible pour être à l’abri au moins du vent. J’ai la trouille de me prendre une tuile sur la tête lorsque l’on longe quelques bâtiments en ruine. Le chemin de la descente n’est pas très technique. Et pour se prémunir du froid et du vent autant courir le plus vite possible. Face à l’adversité je retrouve mes jambes, l’adrénaline vient de couler dans mes veines, les pulsations cardiaques montent en flèche. La température doit être en dessous de 10 degrés. Et bien le froid me fait courir comme un lapin. La grêle se transforme en une forte pluie balayée par le vent. Cela commence à bien m’angoisser car ma grande crainte est d’être mouillé et de finir sous une tente (de la croix rouge) pour cause d’hypothermie. La toute dernière bosse se fait dans cette angoisse. J’ai également endossé mes gants de ski avec une double protection en Gore Tex. Je ne les quitterai plus jusqu’à l’arrivée. Cela me donne un style de boxeur runner mais c’est pour moi le seul moyen de rester au sec. Et j’arrive en toute fin d’après-midi dans l’avant dernier ravito dans un magnifique village en pleine tornade qui doit probablement être charmant et magnifique quand il fait beau. Il s’agit de Groznjan : hyper typique du pays mais je n’ai qu’une envie : quitter cet enfer et en finir.
Ravito 9 : GROZNJAN km 148 / D+ cumul 6426 / 25h13 depuis le départ / 48ièm au clt.
Il est 18h13 quand je pénètre dans la tente. Le vent souffle tellement qu’il crée un bruit d’enfer sur les bâches. Dehors il pleut des cordes. Donc loin d’être un refuge je trouve que l’endroit est dangereux. Moi cela me fout la trouille. Et si les pylônes qui soutiennent les bâches n’étaient pas assez solides et se détachaient. On se prendrait la structure sur nous et on serait blessé. J’imagine les gros titres dans le journal local du lendemain : « une tempête fait s’effondrer une tente de ravitaillement sur les personnes abritées, plusieurs blessés ! ».
Je prends mes jambes à mon cou et préfère affronter la tempête de vent et pluie plutôt que de me prendre un pylône sur la tête. Je me colle à la roue d’un autre coureur. Je sais qu’il n’y a que 7 kms d’ici le prochain ravito et que le parcours est en légère descente jusqu’au prochain bourg. J’ai légèrement froid avec mon T-Shirt recouvert de ma Gore Tex de Mickey (super légère en Shake Dry qui ressemble à un sac poubelle). Je n’ai pas le choix : pour me réchauffer il faut que je cours, et vite.
Or je vais vivre les 45 minutes les plus intenses de cet Ultra. Nous sommes 3 ou 4 coureurs à envoyer du lourd sur un chemin de 4*4. Nous allons nous relayer pour courir assez vite et de manière assez intense comme si une meute de chiens était à nos trousses. Cela requiert pas mal de concentration et d’attention pour ne pas faiblir, ne pas craquer et ne pas lâcher. L’effort est intense. Et à un moment donné le parcours emprunte un single track dans la bruyère, on ne peut vraiment courir car il y a de nombreuses pierres. Et c’est tant mieux car je commençais à lâcher prise. Je me retrouve seul, lâché par deux autres coureurs qui faisaient partie des formats plus courts (et non de la 100 miles) dont le départ était plus en aval. Enfin on arrive dans un autre village Buje. Mais la pluie et le vent sont toujours de la partie, la luminosité a fortement baissé. Il est aux alentours de 19h30… et je cherche la signalétique pour arriver au ravito. Et ce ravito je vais passer à côté de lui sans m’en rendre compte. Je ne serai pas pointé. Je me retrouve sur la route bitumée en descente et toujours pas de ravito. Je m’inquiète, mais il est où ce ravito ? Zut je ne vais pas être pointé, je vais être éliminé ! Je ne vais quand même pas revenir sur mes pas et refaire 500 mètres. En fait à ce moment là je me raisonne en me disant que le ravito a probablement été supprimé d’autant que je ne comprends pas l’intérêt d’en mettre un 7 kms seulement après le précédent. Donc je continue plutôt confiant.
La pluie s’est arrêtée mais le terrain, très boueux, est un vrai chantier. Il reste environ 10 bornes qui me semblent interminables. Il faut très souvent s’arrêter pour éviter de patauger. Manifestement c’était le déluge quelques heures plus tôt. La nuit tombe. Il reste une TREEEEES longue ligne droite dans la boue jusqu’à ce qui semble être des lumières de lampadaires de notre ville d’arrivée, Umag. C’est interminable, combien de temps reste-t-il. « On arrive à quelle heure ? » me dirait ma fille de 4 ans. Je dois zigzaguer entre les mares de boue. Parfois on n’a pas le choix et les chaussures pèsent des tonnes car complètement encastrées par de la boue qui cimentent les semelles. C’est atroce. Enfin j’arrive sur le bitume d’Umag à quelques centaines de mètres de la piste d’athlétisme de la délivrance, je prends mon temps pour frotter mes semelles crottées contre le trottoir. Et à ce moment un coureur me dépose d’un coup d’un seul comme une fusée là dans les derniers hectomètres ! Quel manque de civilité, alors que j’ai été sa locomotive dans les 10 derniers kms.
Il se remet à pleuvoir quelques gouttes au moment où j’arrive sur la piste en tartan du terrain d’athlétisme. Je franchis la ligne.
40 ièm finisher de cet « Istria one hundred miles ». Il est 20h48. Une seule envie : me doucher.
En quelques chiffres la synthèse du résultat
Chrono : 27h48
Classement : 40 ièm parmi 185 partants =>> soit classement appartenant au 3ièm décile des coureurs au départ.
125 finishers (taux d’abandon de 32%) donc 40/125 =>>soit classement appartenant au 4ièm décile des finishers.
Score ITRA : 582
Rideau, 7 jours plus tard il est prévu de courir les 105 kms de l’Ultra Trans Aubrac (pour le récit cliquer).
Merci
A ma femme qui m’a permis de vivre cette aventure.
A mes supporters : mon frère Fab, Sylvain et François toujours connectés sur LiveTrail.
Bravo à l’organisation et aux bénévoles : c’était au top et tout à fait d’un niveau de classe « by UTMB » bien sûr…
Et voilà c’est dit et c’est fait. Cette édition 2021 est la plus belle que j’ai eu la chance de courir. Elle me permet d’obtenir mon dixième maillot de finisher. Et quel plaisir de participer à cette « doyenne des courses natures » !
Les chiffres, rien que les chiffres pour commencer
Pour ceux qui n’ont pas envie de lire le récit voici les chiffres.
Je termine cette SaintéLyon qui cette année aura pour calibration 78 kms de sentiers et de route ainsi qu’un peu plus de 2000 D+ en 8 heures et 50 minutes à la 280 ième place sur 4073 finishers et 4656 concurrents au départ soit dans les 7% des finishers (et 5% dans ma catégorie M1/M2H). Soit à une allure de 6 minutes 48 secondes au km. Le score ITRA est de 592.
Il s’agit de mon 10ièm maillot de finisher de la STL non consécutif…
Voilà, place au récit.
Le psychotage
C’est devenu un rituel désormais pour moi. J’ai besoin que chaque année les choses s’organisent toujours de la même manière jusqu’à un point tel que même les repas des dernières 24 heures doivent être calibrées toujours de la même manière, année après année. Oui, je sais c’est grave, et je ne me soigne pas.
Mais la vraie inquiétude à laquelle je fais face est de savoir comment me vêtir étant donné les prévisions météorologiques. J’ai toujours en tête cet abandon pour hypothermie en 2019 et je sais que la pluie battante requiert un matériel spécifique pour prévenir ce risque. Donc c’est avec la même obsession d’un adolescent qui checke son compte instagram toutes les 10 minutes en mal de reconnaissance, de likes et de décharges de dopamine que je checke quant à moi mon application préférée à savoir « MétéoFrance » pour actualiser toutes les heures l’icone de la météo sur les communes de St Etienne / St Christo / St Catherine et Soucieu en Jarrest. Or, l’affichage des icones « neige et pluie » en même temps me laissent perplexes. C’est de la neige ou de la pluie ? Pourriez vous trancher SVP Monsieur Météo ? Et si c’est de la pluie, est-ce de la pluie fine ou pluie battante ? Car de cette réponse découle le choix de prendre, ou pas, une membrane Gore Tex de 400 grammes (et autant en euros) que je mettrais dans mon sac à dos de 400 g également. Soit un delta de poids à porter de près de +1 kg ! Or, depuis plusieurs éditions je cours très léger sur la SaintéLyon étant donné l’impact important du poids à transporter sur la performance.
Finalement le jour J je vais me résoudre à ne prendre aucun risque de me retrouver détrempé. Il semble, selon mes appli d’IA et d’analyse de datas à réseaux de neurones qu’à Soucieu la pluie succédera à la neige au petit matin au moment de mon pointage. Donc, si cette pluie est forte je sortirai de mon sac à dos de 11 litres Salomon ma « Gore Tex Arc’Téryx de la mort qui tue et me rend invincible » (testée et approuvée sur le Tor des Géants).
En revanche pour le reste de la course je m’habille de la manière suivante : Un haut à manche longue technique (hyper classique) que je recouvre d’une membrane Gore Tex à la Mickey. C’est quoi un « Gore Tex à la mickey » ? Et bien se dit de ces troisièmes couches de moins 100 grammes vendues fort chères (plus de 100 euros) dont on vante les mérites en toutes circonstances atmosphériques. Mon conseil ? Ne pas croire tous les chants des sirènes du marketing. Quant au bas qui recouvre mes jambes, il s’agit d’un textile imperméable ample acheté à peine quelques euros chez Decathlon et qui s’avère être le meilleur achat que j’ai jamais réalisé. C’est testé et approuvé par votre serviteur sur l’UTMB et le Tor des Géants. La frontale ? C’est une bombe, puisqu’il s’agit d’une Kiska de la marque Stoots qui remplace une marque de frontale bien connue qui m’a toujours causé énormément de dommages en raison de son manque de fiabilité chronique (batteries défectueuses, batteries que l’on pense chargées et qui ne le sont pas, difficulté à changer les batteries avec des doigts gelés sur le col Entrelor…).
Très belle photo d’un sapin de Noël qui n’a pas encore allumé sa frontale.
Les 24 heures qui précèdent
Je passe assez vite sur le TGV Paris/Lyon qui a 3h30 de retard le vendredi soir alors que j’avais prévu de dormir dès 22 heures. Finalement c’est dodo à partir de 1h du matin mais je me réveille à 8h45 juste le temps d’aller rue de Navarre (au km 2 après les escaliers) en face de la copro de ma belle mère pour encourager, avec mon bonnet à pompon flaggé STL, les coureurs de la LyonSaintéLyon (et notamment mon pote Sylvain) en leur souhaitant de les revoir au même endroit le lendemain dans le sens du retour.
Après un passage au Kitchen Café pour une assiette salée, retrait des dossard à 10h30 à la Halle Tony Garnier, un coucou à Etienne l’organisateur de l’excellente Trans Aubrac, l’achat d’une lampe de secours chez Stoots, d’un gobelet plastique rétractable et me voilà de nouveau chez ma belle-mère à la Mulatière pour engloutir des quenelles lyonnaises à la sauce béchamel. Certes la sauce en question, dans l’absolue (je ne parle pas spécifiquement de celle de ma belle-mère excellente cuisinière), ne contribue pas à la notoriété de la gastronomie française dans le monde par sa légèreté : il s’agit de lait bouilli lesté par un empois d’amidon. En revanche elle remplit parfaitement son rôle de vous tomber sur l’estomac (parfois jusqu’aux talons) pour vous permettre à la fois de vous fournir l’énergie dont vous allez avoir besoin pour fournir un effort intense mais également pour vous assommer suffisamment pour aller faire une sieste au plus vite. C’est ce que je fais sur les coups de 14 heures pour environ une bonne heure !
Ensuite direction Villars par le train Oullins/St Etienne Châteaucreux où je suis accueilli comme un roi par Yves et Lulu pour une soirée 3 étoiles près du feu de cheminée comme le veut la tradition. Quel bonheur et réconfort. Après la traditionnelle pasta, le petit dodo direction les sas de départ à 10 minutes de voiture.
Top départ peu avant minuit
Et c’est parti sous les flocons de neige. J’attaque cette portion pas très jolie jusqu’à Sorbiers. Je préférais le parcours d’origine du début des années 2010. Je m’en sors assez bien, les sensations sont bonnes. La température est idéale, je n’ai pas froid (limite chaud), et ne transpire pas évitant ainsi d’avoir le textile détrempé. Autant le dire j’ai vraiment le « guane » (private citation). Et c’est l’arrivée au ravito de Saint Christo qui se fait quand même attendre.
Bilan de la portion Saint Etienne / St Christoau km 18
Temps de course de la portion : 1h49
Cumul depuis le départ : 1h49
Classement : 633
Mon rituel à chaque ravito est toujours le même : deux à trois verres de Coca Cola, une madeleine, une barre de céréales pour les oiseaux (je crois que cela va me donner des ailes). Et je ne reste pas plus de 3 à 4 minutes.
Nous attaquons la plus belle portion de cette SaintéLyon selon moi. La montée vers Sainte-Catherine. Les rebords des chemins sont complètement enneigés, les reflets des frontales contribuent à donner une atmosphère unique que l’on ne peut connaître que…sur une SaintéLyon. Non je suis désolé de dire que les appareils photos n’ont pas le sensibilité de nos pupilles. Sur ce fameux chemin de crête, certes balayé un peu par le vent je vais connaître le plus beau moment de cette longue nuit. J’ai l’impression de voler, d’être léger, comme si cette neige qui me vaporise m’aidait à être en suspension dans les nuages. Le plaisir est MA-XI-MAL. Et toujours ce regroupement de personnes depuis l’année 2010 postées près d’un feu à côté d’une camionnette avec des enceintes qui diffusent, à ce moment je ne sais plus quel titre (en 2018 c’était Guns n Roses), mais je les adore car ils contribuent à mon bonheur. Rendez vous l’année prochaine ! Et c’est la descente, toujours aussi périlleuse sur Sainte-Catherine.
Bilan de la portion St Christo / Sainte Catherineau km 32
Temps de course de la portion : 1h47
Cumul depuis le départ : 3h36
Classement : 510 (gain de 123 places)
Ensuite je vais quand même être moins euphorique. J’accuse un peu le coup. C’est mon gros coup de mou. Je me sens un peu lourd. J’ai du mal à relancer. Le paysage est toujours aussi fabuleux, et il me permet de trouver l’énergie de continuer. Les descentes sont techniques et périlleuses. Juste après le Signal Saint André dans les 20 premiers mètres de la descente je manque de glisser et de me faire très mal après une de ces rigoles qui traverse les sentiers. A noter que ces paysages de sentiers de sous bois curieusement enneigés éclairés par nos frontales lors de la montée du Signal sont juste féeriques, un décors de cinéma digne du film du Seigneur des Anneaux (et seule la participation à la SaintéLyon peut offrir ces images…je me répète).
En revanche la toute première descente après le Signal est extrêmement dangereuse car très technique. On manque de chuter sur d’énormes cailloux qui affleurent le tapis de neige et de glace.
Lors du croisement de la route goudronnée qui amorce la remontée vers le chemin qui serpente pour nous mener au ravito de St Genou je fais une chute arrière en raison de la couche de verglas qui est sur le bitume. J’atterris assez mal sur mon pouce de la main gauche qui se retourne et qui me fait un mal de chien pendant de longues minutes. Mais finalement rien de bien méchant et nous voilà très bientôt au ravito où j’avais abandonné pour hypothermie en 2019.
Bilan de la portion Sainte Catherine / St Genouau km 45
Temps de course de la portion : 1h39
Cumul depuis le départ : 5h15
Classement : 414 (gain de 101 places)
Il est près de 5 heures du matin et je reprends des couleurs après avoir connu une montée jusqu’au Signal assez laborieuse. Je sais qu’il y a une majorité de descente à partir de maintenant. Je cours pratiquement seul désormais. Cela signifie que l’on a tout intérêt à avoir une frontale qui soit fiable et qui ne se mette pas à clignoter comme cela a pu m’arriver lors d’une précédente édition avec cette marque que je renie. Nous sommes seuls dans les descentes dans les sous bois.
J’attends l’heure de vérité. C’est quoi cette « heure de vérité ». C’est ce ravito de Soucieu où l’on a l’habitude de dire que la SaintéLyon commence réellement là. En fait il faut comprendre qu’il s’agit du point à partir duquel tout se joue : soit on a encore de l’énergie pour courir sur la partie la plus roulante après 6 heures d’effort soit on entreprend alors de poursuivre au rythme de la « marche des macchabées » sur plus de 20 bornes…et la route est alors longue, très longue jusqu’à Lyon…
Alors vient pour moi l’heure de vérité sous une pluie fine sur les coups de 6 heures du matin.
Bilan de la portion St Genou / Soucieu en Jarrestau km 55 et 1740 mètres de D+
Temps de course de la portion : 1h39
Cumul depuis le départ : 6h30
Classement : 374 (gain de 40 places)
Au ravito j’ai envie de salé. Du pain, du pain !!! Enfin. Je ne reste pas longtemps après mes 3 verres de Coca-Cola, du pain et c’est reparti illico de ce gymnase. Et je suis heureux de constater que j’ai encore des jambes pour courir après la traversée de ce lotissement. Il va falloir que je me mette dans ma bulle d’autant que la pluie est un peu plus forte. Néanmoins la « Gore Tex de mickey » qui a l’esthétisme d’un sac poubelle me suffit, ma Gore Tex Arc’téryx à 400 grammes quant à elle restera dans mon sac jusqu’à l’arrivée. Elle était inutile mais psychologiquement elle m’a procuré du réconfort.
Et c’est parti pour 2h20 de souffrance douce jusqu’à Lyon. J’ai la tête dans le guidon pour cette portion de plats/faux plats et de délivrance après la montée des aqueducs de Beaunant. Chaponost arrive assez vite, c’est la portion durant laquelle la pluie sera la plus forte. Je trouve très étrange ces 200 mètres avant le ravito où l’on voit cette double file sur la route avec les coureurs revenant dans l’autre sens (car sortant du ravito on revient sur nos pas sur la route goudronnée pour contourner un sentier détrempé et non praticable).
Bilan de la portion Soucieu en Jarrest/ Chaponost au km 65 et 1857 mètres de D+
Temps de course de la portion : 1h00
Cumul depuis le départ : 7h30
Classement : 333 (gain de 41 places)
Il reste un tout petit peu plus de 12 kms. J’aime beaucoup cette portion où il faut soutenir l’effort jusqu’à la montée de Beaunant. Ensuite c’est comme si c’était gagné, et puis il y a cette traversée de St Foy-lès-Lyon que j’adore (je m’y suis marié !), le jour se lève doucement. Au moment où je plonge sur la route de St Foy, j’entends le coq chanter. Je bourrine et puis je manque de me faire renverser par une voiture qui fonce sur la route de St Foy (juste avant la montée sèche de la côte des aqueducs). Incroyable, personne de l’organisation pour réguler la circulation au croisement de cette route carrossable ! Je vois deux bénévoles qui ont l’air de jouer à la coinche de l’autre côté de la route juste le long de la barrière, j’ai envie de leur hurler dessus mais n’en ai pas la force car j’ai besoin de mes dernières ressources pour attaquer la montée à plus de 30%.
Les circonvolutions dans le parc accrobranche sont probablement très drôles quand on n’a pas 70 kms dans les pattes. On remonte sur La Mulatière, la fameuse rue de Navarre que je connais si bien (mes enfants également) et puis cette descente d’escaliers que je saute littéralement, l’adrénaline est déjà à un niveau élevé, l’épingle à cheveux sur le quai de Saône plutôt lugubre et coupe gorge jusqu’à l’escalier montant. Le magnifique Pont Raymond Barre surgit, fendant une ambiance de grisaille et de crachin qui me pousse à me sentir euphorique. Je trouve magnifique même le pont de la Mulatière et le musée des Confluences (c’est tout dire). Encore des circonvolutions dans le Parc de Gerland cette fois, j’accélère pour consommer mes dernières ressources.
Et je vole pour mon dixième maillot de finisher. C’est fini et c’est écrit, il s’agit de ma plus belle SaintéLyon et je suis conscient qu’elle sera difficile à dépasser en beauté.
Epilogue
11 ans séparent ces deux images entre mon premier maillot de finisher et le dernier
Qu’est-ce qui a changé en 11 ans ? A vous de trouver.
Oui vous avez trouvé si vous répondez : « les murs du salon de ma belle-mère ! ».
Qu’avez-vous avez gagné ?
Une invitation à venir déjeuner et déguster son plat de quenelles lyonnaise à la sauce béchamel.
Il s’est écoulé quelques jours depuis que je suis revenu de Courmayeur. Il n’est pas facile de rassembler les éléments disparates de souvenirs lorsque l’on n’a dormi que 5 heures en 5 jours surtout lorsque l’on connait le rôle clef du sommeil dans la mémorisation des faits. Ainsi lorsque je regarde le profil de course et le nom de tous les checkpoints je ne suis pas capable d’avoir une image en tête correspondant à toutes ces étapes. Ainsi je vais tenter de vous livrer un récit qui n’est certainement pas exempts d’approximations, d’erreurs ou même de souvenirs reconstruits. Néanmoins avant de vous livrer ma vision de ma course, faisons parler les chiffres qui eux sont des faits objectifs non sujets à modifications.
Les voici :
Données techniques de la course
Tor des Géants 330 : c’est le nom de la course depuis 2010
Kms réels selon données GPS précises : 349 kms
Dénivelés positifs et négatifs (c’est une boucle) : 30 800 mètres
Une barrière horaire finale à Courmayeur de 150 heures après le départ
La performance globale du peloton de coureurs
712 coureurs
431 finishers
soit un taux d’abandon de 40%
Ma course en quelques chiffres
Départ de Courmayeur à midi le dimanche 12 septembre 2021 en vague 2
Arrivée à Courmayeur à midi et 1 minute le vendredi 17 septembre 2021
Soit 120 heures et 1 minute de course
Classement : 117 ièm sur 431 finishers (soit 27%) sur 712 coureurs au départ (soit 16%)
Le mi-parcours symboliquement représenté par le pointage au refuge Coda a été passé le mardi 14 septembre à 11h50 soit presque 48 heures après le départ de Courmayeur.
Cumul du temps d’arrêt aux 6 Bases Vie : 20 heures (soit une moyenne de 3h20 dans chaque BV).
Voilà pour les chiffres bruts qui ne souffrent pas de défaut de mémoires, place au récit.
Samedi 11 septembre
C’est le jour du retrait des dossards ainsi que du fameux sac jaune flanqué du numéro qui nous permettra de faire transporter par l’organisation pas moins de 12 kgs de matériel, du moins en ce qui me concerne, de base vie en base vie (6 BV au total).
De retour à l’hôtel il me faut au moins une heure pour le préparer correctement et m’assurer que tout ce dont j’aurai besoin durant la course y figurera. Je termine mon sac de change et commet ma première erreur. Comme je n’ai plus de place dans ce sac de change jaune bourré à craquer je sacrifie les deuxièmes couches chaudes que je laisse dans ma valise qui restera à l’hôtel. Il ne m’en reste qu’une, celle que je garde dans mon sac à dos. Je n’ai donc plus de back up le cas échéant et cela me fera défaut. Ensuite c’est reparti pour 30 minutes de marche à pieds jusqu’à Dollone pour la dépose du sac de change.
De retour à Courmayeur je suis déjà bien fatigué d’autant que ce jour là le soleil tape sur le casque. Le soir c’est dîner en compagnie de Marc L. qui courra également le Tor le lendemain. Au menu de ce soir : deux plats de Tagliatelles absolument succulents qui font du bien au moral. Car il faut le dire, cette course j’en ai peur. Tellement peur que je n’arrive pas à trouver le sommeil, il est 1 heure du matin et je n’arrive pas à fermer l’œil. Rétrospectivement je me dis que j’avais bien raison d’avoir aussi peur.
Dimanche 12 septembre
Petit déjeuner à l’hôtel : scramble eggs et un thé. Je pensais faire une petite sieste à partir de 8h, las je suis trop fébrile, finalement je me rends au départ de la première vague de 350 coureurs prévue à 10 heures. Belle ambiance conviviale, c’est vraiment agréable les petits pelotons et de se hisser dans un public plutôt sporadique qui permet à chacun de voir le spectacle. Je retourne vite à l’hôtel un peu excité et incapable de me détendre. Je me change et arbore ma tenue de combat.
Check out à l’hôtel et je laisse ma grosse valise de voyage que je retrouverai, si tout va bien, le vendredi suivant. Et je me dirige à 11h30 en direction de mon sas de départ pour cette deuxième et dernière vague.
Me voyez vous en deuxième ligne ?
Midi tapante sous un soleil éclatant : top départ
A venir la Portion 1 : Courmayeur / Valgrisenche
54 kms à parcourir
D+ : 4586
D- : 4287
Etape parcourue en 10 heures (9h59 pour être précis)
Cette première portion attaque par une montée du col d’Arp sous le cagnard. Je monte régulièrement, c’est le seule ascension où deux ou trois coureurs avec des bâtons remontent à mon niveau. Je peux dire que plus personne ne me dépassera sur toutes les ascensions de col à venir. C’est une de mes forces d’avoir une vitesse ascensionnelle plutôt au-dessus de la moyenne, je ne m’arrête jamais pour reprendre ma respiration, probablement en raison du fait de ne pas utiliser de bâtons, ce qui est exceptionnel au sein du peloton car tout autour de moi je ne vois que des coureurs pourvus de bâtons…
C’est déjà le drame
Suite à ce col s’ensuit une longue descente sur un chemin absolument pas technique et où je commets une erreur qui aurait pu me coûter très cher. Je chute et percute assez violemment le sol avec le genou et le haut du coude droit qui est en sang. Je fais un petit tonneau en roulant sur mon sac à dos. En me relevant le genou me fait un mal de chien. J’ai une très grosse frayeur : simple hématome ou blessure plus grave ? Y a-t-il de la casse ? Les premières foulées me font très mal et font monter mon « stressomètre » à un niveau élevé. Je me dis que c’est déjà le premier avertissement, et ceci dès la première descente, et qu’il faut que j’intègre : « ne pas courir comme un dératé dans les descentes, il n’y a rien à gagner ».
La montée vers le Passo Alto (ou Col du Haut Pas) est longue sur un sentier jonché de cailloux tout d’abord en sous bois. J’y croise de très nombreux randonneurs qui en descendent et qui félicitent les coureurs. Puis le cadre se fait beaucoup plus minéral, paysage lunaire avec des lacs. C’est magique et c’est pour ce type de paysage que je me suis inscrit au Tor.
La température commence à baisser à mesure que le soleil disparait, ça y est on a quitté le monde « civilisé » pour les grands espaces délaissés. J’atteins le col du Passo Alto (2860 mètres) à 18h30.
J’ai la pèche, profitons en car cela ne va pas durer, c’est une évidence dans un Ultra. Une petite descente dans un pierrier, pour ne pas dire un vrai chantier, où je ne brille guère, je me fais allégrement dépasser. Et mon genou est là pour me dire que je lui ai causé du tort. Donc je fais attention sur chaque appui. Et tout d’un coup j’entends une voix derrière moi : « Monsieur Molinaro Grégory ! », « je suis Vincent M. » Ce n’est pas vrai, c’est lui ! Il faut savoir que dans l’univers de l’Ultra il arrive que l’on communique sans ne s’être jamais rencontré en vrai, mais exclusivement via les réseaux sociaux (RS). Et Vincent M. fait partie de ces connaissances avec qui j’ai beaucoup échangées. La surprise vient du fait que j’ignorais qu’il courrait le Tor. C’est énorme ! On s’arrête ensemble au ravito de Promoud -magnifique point de vue à cette heure ci entre chien et loup -. On décide de repartir en même temps sans aucune concertation, chacun devant aller à son rythme. Mais finalement je lui prends la roue et reste derrière lui jusqu’au col Crosatie (2829 mètres). Il fait nuit. La montée est splendide, nous nous retournons et percevons les frontales des coureurs derrière nous en train de descendre le Passo Alto : moment de grâce. Il y en aura beaucoup d’autres. Il s’ensuit la descente sur la première BV de Valgrisenche. J’y pénètre seul à 22h59. Je décide après avoir récupéré mon sac jaune de manger – et toujours beaucoup – avant d’aller me coucher et tenter de dormir sur un lit de camp. Las, c’est juste un échec. Je perds mon temps, je m’énerve de le perdre car il y a quand même un chrono. Je décide de fermer mon sac, de le restituer et de repartir. Le moral baisse un peu après avoir si mal géré cet arrêt.
BILAN à la BV de Valgrisenche : Arrêt de 1 heure à la BV de Valgrisenche
Zéro dodo malgré une tentative d’assoupissement
Bien mangé et bien bu
A venir la Portion 2 : Valgrisenche / Cogne
56 kms à parcourir
D+ : 5030
D- : 4897
Etape parcourue en 14 heures 24 minutes
C’est ce qui restera pour moi comme la plus belle des étapes. La plus dure aussi mais c’est également le cœur et le joyau de ce Tor (avis personnel). Cette portion est constituée de 3 gros et grands cols magnifiques. Le Col Fenêtre, le Col Entrelor et le Col du Loson. Je vais prendre un très grand plaisir à les gravir. La conjonction d’une nuit cristalline, d’une météo magnifique le jour en font une étape qui va rester gravée dans ma mémoire et demeurera mon plus grand souvenir de ce Tor (avec le Col Malatra bien sûr…). Cette étape est très simple : il suffit d’enchaîner 3 cols les uns après les autres, du plus simple au plus difficile pour respectivement : 1300 mètres de D+ (Col Fenêtre) / 1345 mètres de D+ (Col Entrelor) et 1871 mètres de D+ (Col du Loson) suivi ensuite de 1500 mètres de D- pour arriver à la BV de Cogne. J’attaque de nuit le Col Fenêtre sans grande difficulté, la nuit est magnifique, le haut de l’ascension est très minéral et technique mais je prends un grand plaisir. Il s’ensuit une descente sur Rhème notre Dame de 1209 D- où le refuge est fermé mais dont le ravitaillement organisé sous une tente nous permet de manger des pâtes comme cela sera la coutume pour 9 ravitos/10. J’attaque le Col Entrelor que je vais boucler en 2 heures exactement soit une vitesse ascensionnelle de 650 mètres/heure. Au milieu de l’ascension je vais ressentir une très vive émotion, celle procurée par le fait d’éteindre ma frontale pour contempler le ciel étoilé qui en quelques secondes révélera une voute superbe le temps que l’œil accommode. C’est magique et je me remémore ce qu’Yvan (le speaker aux lunettes vertes et à la grande barbe) nous a dit lors du départ : « regardez autour de vous avec les yeux d’un enfants ». Les larmes me coulent sur les joues car la conjonction de l’effort fourni pour grimper le col et la beauté du ciel qui s’éclaire d’étoiles une fois la lampe frontale éteinte me prend à la gorge. Cette vive émotion va m’étreindre pendant plusieurs minutes. Et je dois quelque peu reprendre mes esprits dès que je remonte quelques coureurs pour ne pas qu’il s’inquiète de mon état qui pourrait suggérer que je suis souffrant (alors que je plane). Les derniers centaines de mètres de dénivelés vont très vite me calmer car la pente d’Entrelor devient hyper technique – « droit dans le pentu » – à un point tel que nous sommes obligés d’être à 4 pattes pour arriver au sommet. Je n’ai jamais connu une ascension aussi raide dans les derniers hectomètres. Le Catogne ou Orny peuvent aller se rhabiller (cf. l’X-Alpine)… Il s’ensuit une magnifique descente au levé du soleil où nous longeons un ou des lacs.
J’arrive au ravito d’Eaux Rousses sur les coups de 7h45. Il y fait chaud sous cette tente, j’y rejoins Marc L. (parti lors de la première vague). Je prends mon temps : messages Wa avec ma tribu de supporters, coup de fil à ma femme, avec un bon bouillon de pâtes. Il est temps de repartir pour le troisième col avec 1871 mètres de D+ (le Col du Loson). Et finalement ce dernier col dépassera en difficulté le Col Entrelor surtout que nous allons en grimper les derniers hectomètres en plein cagnard. Le début de la montée est magnifique et se fait en pente dans une forêt de sapin. Très vite le paysage se fait beaucoup plus alpin et minéral, le passage dans les alpages est assez rapide et on attaque la partie minérale qui est la plus abrupte. Le soleil tape et brûle dès 11 heures : crème solaire XXL + lunettes de glacier + visière de casquette. J’utilise tous les dispositifs pour me protéger du soleil qui n’est pas mon ami. Je dois passer le col sur les coups de midi je pense.
Il s’ensuit une extraordinaire descente qui me fait contempler un des plus beaux panoramas que j’ai en mémoire de ce Tor. Je regrette amèrement de ne pas avoir pris plus de photos car la configuration météorologique en fait un cadre somptueux qui n’est pas sans me faire penser au désert de la Namibie dans sa partie minérale. Je pointe au refuge Vitterio Sella à 12h47 où je me fais prendre en photo par un couple de retraités français qui attendent le passage de leur fille.
Je m’arrête au refuge pour prendre et reprendre un bon plat de pâtes, toujours des pennes blancs (sans sauce tomates). Puis il reste encore 1300 mètres de D- d’ici la BV de Cogne, une descente interminable.
Et lorsque l’on entraperçoit Cogne dans la vallée, on se rend compte qu’il ne s’agit pas de Cogne (mais d’une autre commune) et qu’il reste encore près de 4 kms sur le plat… Il fait très chaud, cela cogne sur le casque (oui c’est facile à trouver mais à ce moment de la course on a déjà les capacités cognitives très réduites). A la BV de Cogne, je vais voir un médecin pour soigner ma plaie au-dessus du coude qui s’est infectée, il me demande de prendre une douche (ah je n’avais pas prévu ça !), je prends une douche qui fait un bien fou finalement, je remets le même maillot (je n’ai pas envie de faire trop de bruit en sortant tous mes sachets en plastique ziploc du sac jaune dans la salle de repos dans laquelle je suis stationnée). Je fais une tentative pour m’allonger sur un lit de camp, je perds un temps dingue à dérouler mon sac de couchage Millet, ainsi qu’à remettre de l’ordre dans mon sac. Je m’allonge 30 minutes pour me rendre compte que je n’arriverai pas à dormir. Donc je me relève, je range une nouvelle fois mon sac. En bref je « jardine » : très belle expression qui désigne le fait de gesticuler tout à fait inutilement. C’est donc bien vexé que je ferme mon sac avec la conscience d’avoir bien perdu mon temps.
BILAN à la BV de Cogne :
Arrêt de 2 heures 30 minutes à la BV de Cogne
Zéro dodo malgré une tentative d’assoupissement
Bien mangé et bien bu
Moral : déçu donc pas vraiment au plus haut
A venir la Portion 3 : Cogne / Donnas
46 kms à parcourir
D+ : 2626
D- : 3908
Etape parcourue en 11 heures 00 minutes
Il est 16h55 lorsque je quitte la BV. Au moins il ne fait plus trop chaud et la température va vite baisser. La montée est très lente jusqu’à la Fenêtre de Champorcher. Et encore de magnifiques lumières de coucher de soleil. Ce col est très singulier par le fait d’être traversé par un énorme poteau porteur de lignes à haute tension. Et franchement loin de dégrader le paysage cela lui confère un rendu très singulier de fin du monde, digne d’un roman d’anticipation, je ne sais pas pourquoi. Mais je ne dirais pas que c’est laid. Arrêt au refuge Sogno avec toujours un accueil royal : je prends des pâtes et encore des pâtes pour attaquer la fin du col qui sera finalement très rapide avec l’aide de la frontale car la nuit vient de nous tomber dessus. Je regrette de ne pas avoir pris des photos de cette ascension de col sur sa première partie : est-ce l’effet « ligne à haute tension considérée comme dégradant le paysage » ? Il fait désormais nuit et je sais qu’il me reste cette « interminable » descente vers Donnas située au point le plus bas de ce Tor (330 mètres d’altitude). C’est un peu décourageant de savoir qu’il faudra juste après remonter à 2800 mètres d’altitude. N’y pensons pas. Je cours seul sans avoir quiconque ni devant moi, ni derrière moi. J’arrive au refuge Dondena (ou Chardonney ?) juste après minuit et j’y rencontre plusieurs coureurs. Une question me taraude : dois je enfin essayer de dormir ? Je n’ai pas vraiment sommeil mais le fait de me retrouver dans un lit bien douillet devrait m’aider à y parvenir. L’accueil à l’italienne est génial dans ce refuge : un plat de pâtes, encore un autre… et je pose la question : est-ce que je peux dormir ? La gérante du refuge me dit qu’il n’y a pas de problème et me conduit dans une chambre où je suis seul : quel bonheur ! Des draps, des couvertures bien épaisses. Je vais dormir comme un loir. Elle me demande pour combien de temps. Je lui dis « 1 heure » ! C’est toujours un « gros box » de se changer, enlever ses chaussures, son pantalon long, mettre ma deuxième couche chaude avec capuche pour me sentir comme dans un cocon. Il me faut au moins 10 bonnes minutes pour me préparer à me coucher. Et une fois que je suis sous les chaudes couvertures, j’attends en fermant les yeux. 10 minutes ? Rien. 15 minutes ? Rien ne vient… je commence à stresser et mes pulses commencent à monter. Et je me pose la question : « qu’est ce que je fais là dans un lit ? » Finalement au bout de 50 minutes je me lève sans avoir dormi une seule minute. Comme il est difficile de devoir se rhabiller ! Ceci d’autant plus qu’une fois dans le couloir du refuge on ressent une froidure qui glace le corps. Je ne me suis pas reposé mais qu’est-ce que j’ai froid maintenant, voilà ce que j’ai gagné ! Grégo, bien joué ! J’ai bien perdu 1 heure sous un drap pour rien. La gérante est surprise de me revoir, je lui dis que je n’ai pas réussi à dormir et qu’il vaut mieux pour moi de repartir dans la nuit bien froide. Quel bonheur ! C’est reparti pour la descente sur Donnas en solo. Il s’écoule 2 ou 3 heures qui me semblent interminables.
Sur la voie romaine à Donnas
Finalement j’arrive à Donnas à 3h56 en ayant rejoint les coureurs que j’avais croisés au refuge précédent et qui m’avaient conseillé de dormir. Je vais retenter le coup de dormir… Ah ah ah, je ris jaune. Je vais encore jardiner dans cette BV encore quelques heures. Je vais encore jouer au personnage du roman picaresque « Grégo fait du trail » dans l’épisode intitulé « Grégo jardine dans la BV ». Qu’est-ce que je suis mal organisé, c’est juste pathétique. J’ouvre mon sac, il y a plein de matériel dedans et plein de sacs ziploc avec des habits, des batteries, des gels, je pourrais presque ouvrir un commerce. J’ai pourtant une feuille de procédure mais elle n’est pas vraiment adaptée. Je sors les batteries, il y a un spot dans la BV près du PC course pour les brancher, ce qui est remarquable de la part de l’organisation. A quoi bon d’avoir emmené sa batterie de recharge dans le sac de change jaune d’autant que je ne sais pas m’en servir ? Je vais d’abord me restaurer : plat de pâtes et encore un plat de pâtes. Je bois, je mange, je prends une douche et à cette heure là je suis tout seul dans les vestiaires. Et si je décidais de dérouler mon sac de couchage ? Je vais tenter un dodo qui ne viendra pas, comme d’habitude. Un léger assoupissement, en fait j’ignore si j’ai vraiment perdu conscience. J’en ai marre, je décide de tout ranger dans mon sac et de repartir. C’est assez pathétique, je refais mon sac trois ou quatre fois, il tombe en se vidant presque complètement par terre. Je n’ose pas regarder autour de moi de peur de croiser un regard narquois se gargarisant de me voir aussi maladroit. J’ai l’impression d’être un personnage d’un film de Jacques Tati.
Encore du temps de perdu alors que le chrono s’égrène toujours au même rythme. Mais qu’est-ce que je fous là ?
BILAN à la BV de Donnas :
Arrêt de 2 heures 40 minutes à la BV de Donnas
Quelques minutes de dodo non identifiées ? Je n’en sais trop rien.
Bien lavé (douche), bien mangé et bien bu
Moral : il remonte surtout après avoir pris un cappuccino à Donnas
A venir la Portion 4 : Donnas / Gressoney
57 kms à parcourir
D+ : 6058
D- : 5027
Etape parcourue en 18 heures 40 minutes
Je traverse Donnas sur les coups de 6h45 du matin et j’aperçois à un rond point un bus dont le panneau lumineux au dessus du parebrise du conducteur indique la direction de Gressoney. Pourquoi ne pas le prendre et m’éviter tout ce dénivelé et toutes ces heures de course ? La ville « industrielle » (?) qui n’est pas très belle s’éveille. Et là j’aperçois une lumière au bout du tunnel. Un café !!!! Un café ouvert !!! Une envie de prendre un cappuccino envahit tout mon être ! J’entre dans ce café comme si j’ouvrais une parenthèse dans cette course, un moment de liberté à moi, que je m’accorde. J’entre, mets mon masque et arrive au comptoir. Tout de suite les personnes attablées fixent le regard sur moi, sur mon dossard. Une italienne d’un certain âge me demande si c’est difficile. Je ne vous le fais pas dire ! Je commande un cappuccino que la dame aura l’amabilité de m’offrir en passant le message à la gérante derrière son comptoir. Je la remercie chaudement. Elle me laisse tranquille sans me poser plus de questions. Elle comprend mon besoin d’isolement pour déguster seul mon breuvage. 5 minutes hors du temps, hors de la course. Je repars avec des ailes. Je suis seul pour toute l’ascension à venir en direction du refuge de Coda qui figurera la moitié du parcours de ce Tor. Je ferai l’ascension tête baissée. Les derniers hectomètres pour atteindre le refuge sont très alpins, mais le temps se couvre très méchamment, on aperçoit des volutes de nuages très très vilains annonciateurs de brouillard et de perturbations. J’arrive au refuge sur les coups de 11h45 ce mardi. C’est la mi-parcours de ce Tor et je suis en course depuis exactement 48 heures (rappel : je suis parti dimanche à midi). Une tente a été installée le long du refuge de Coda, on se gèle grave car il y a un méchant courant d’air qui passe dans la tente. Je commande un bon bouillon de pâte et encore un autre pour me réchauffer. J’ai du mal à décoller, les 7 à 8 coureurs qui étaient là quand je suis arrivé sont déjà partis et moi je suis scotché à mon banc telle une moule à son rocher. Il faut se faire violence, de toutes façons je me gèle donc il faut se mettre en route pour se réchauffer. Le chemin est encore long d’ici la BV de Gressoney et le soleil a disparu. L’après midi va être très compliquée, je le sens. Et une heure plus tard, le sommeil – tant attendu – me tombe dessus d’un coup d’un seul durant la suite de mon périple. Enfin, je suis flingué ! Le sommeil se déploie et s’abat sur moi finalement après 48 heures de course. Au moins c’est toujours ça d’appris, c’est une bonne leçon, « attendre d’avoir bien sommeil avant de vouloir aller se coucher ». Les heures qui suivent sont un vrai chemin de croix car je dois lutter contre des paupières qui tombent. J’ai une démarche d’ivrogne qui titube, je me prends des cailloux. Je vois un épouvantail, une sorcière sur le bord du sentier. Tiens donc ! Enfin les hallucinations dont j’ai tant entendu parler, je n’avais jamais expérimenté cette sensation. Au moins c’est fait, la case est cochée. OK je comprends mieux de quoi il s’agit quand on évoque des hallucinations quand on est très fatigué et que l’on n’a pas dormi depuis plus de 50 heures. Le champs de vision est rétréci, et en périphérie le cerveau projette des images sur les éléments qu’il perçoit ; gros cailloux, grosses pierres. L’image prend forme comme si un projecteur formait l’image sur un support (comme des cailloux) telles les images projetées lors de la fête des lumières de Lyon. L’image formée n’apparaît que quelques dixièmes de secondes en périphérie du champs de vision et dès que l’on tourne la tête pour voir l’image dans l’axe des yeux, alors la représentation disparait. C’est assez divertissant, parfois cela fout un peu la trouille, car autant le dire la méchante sorcière ne faisait preuve d’aucune bienveillance à mon égard !
Dans ma marche de macchabée j’ai pour objectif de dormir dans le prochain refuge : le refuge della Barma. Je vais y rester presque 2 heures. Et autant vous le dire tout de suite : je ne vais pas encore réussir à dormir mais je vais bien m’y refroidir encore et encore. Je mange très bien dans ce refuge, encore un bouillon avec des pâtes et encore un bouillon. En fait j’ai l’impression que le fait de manger me requinque bien plus qu’une petite sieste. Néanmoins je demande une chambre, c’est encore tout un cinéma pour me déshabiller, je ne peux pas mettre ma couche chaude qui est mouillée (j’ai évoqué l’erreur de n’avoir qu’une seule couche chaude ayant laissé les autres à l’hôtel, c’est stupide). Je décide de me coucher uniquement avec mon T-Shirt. J’ai un peu froid, il y a quelqu’un dans la chambre qui a la chance de bien ronfler. Je vais fermer les yeux, m’assoupir, mais je n’arrive pas à dormir. Au bout de quelques dizaines de minutes je décide de me rhabiller. J’ai froid, je vais vite dans la salle de vie qui est chauffée. Je décide de repartir, tout penaud et le moral en berne de n’avoir pas encore réussi à dormir alors que j’étais complètement flingué en entrant. Tant pis. C’est reparti, je suis bien isolé mais au-delà de cela je me sens tout petit, pas vraiment à ma place, je me sens amateur sur cette course, inexpérimenté, imposteur. Je n’ai plus vraiment de souvenirs de ce qui se passe ensuite. Je crois que je passe le col du Loup en étant tiré par deux coureurs « père et fils » qui enchaînent la PTL et le Tor. Et puis ensuite je me retrouve seul encore pour la descente de nuit vers le refuge de Niel. J’ai vraiment un trou de mémoire de plusieurs heures. Premier souvenir : je vois un panneau qui indique « La Grubba dans 15 minutes ». Il s’agit de l’établissement qui est dans le refuge de Niel. Attention cela va être « the REFUGE » nec plus ultra de ce Tor. Et celui-là on ne peut pas l’oublier. Cela va me remonter comme un coucou. J’arrive au refuge Niel à 21h42. Une ambiance d’enfer attend les coureurs ! Tout d’abord cela ne ressemble pas à un refuge mais à la véranda d’un restaurant grand luxe. Je suis accueilli comme un roi par un bénévole qui est aux petits soins avec moi. Il me demande tout ce dont j’ai besoin, il me sert la meilleure polenta de tout le parcours du Tor. C’est juste incroyable. Une ambiance de folie car les bénévoles en nombre supérieur à celui des coureurs à ce moment là nous encouragent comme si nous étions des stars du foot. C’est donc complètement requinqué que j’attaque l’ascension qui vient tout en téléphonant à ma femme. C’est un grand moment. Je monte assez vite comme si j’avais des turbo réacteurs aux fesses. Tout ça pour arriver à Gressoney à 2 heures du matin avec une pèche d’enfer. Dans cette BV les bénévoles sont en nombre supérieur aux coureurs présents. A noter que l’on croise les coureurs du Tor des Glaciers dont les sacs de change de couleur bleue sont entassés sur l’estrade de la salle principale. Je prends la décision de me faire traiter mes ampoules par une masseuse. On me dit de revenir dans 20 minutes…pfuiii qu’est-ce que je vais faire pendant 20 minutes, se rendent ils compte que nous participons à une course avec un chrono ? Je reviens 20 minutes plus tard, or c’est trop tôt, encore 20 minutes d’attentes. Je perds mon temps et cela me stresse. Finalement une masseuse s’occupera de moi. Je suis à deux doigts de m’endormir sur la table de massage. Je suis surpris du soin qu’elle apporte à mes ampoules. Elle les enroule comme pour les momifier avec un strappe qui recouvre la quasi intégralité de mes deux pieds. Mais ce n’est pas vraiment ce que j’ai demandé. J’ai l’impression d’être une jeune fille chinoise dont on a enrubanné les pieds. Bon je décide de lui faire confiance et vais conserver mes pieds sous bandage pendant quelque temps, on verra bien. Je décide ensuite de déployer mon sac à de couchage sur l’estrade juste derrière les sacs de change du Tor des Glaciers. Le sol est un peu dur mais nous sommes 5 ou 6 coureurs à préférer cet endroit plutôt que la salle des lits de camps. Je vais réussir à m’assoupir…un peu. Je ne suis pas certain de perdre vraiment conscience et de tomber dans un sommeil profond. J’ai néanmoins l’impression de bien me reposer. Il est temps de repartir au petit matin. Il est alors 6h15.
BILAN à la BV de Gressoney
Arrêt de 4 heures 15 minutes à la BV de Gressoney
1 heure de dodo il me semble mais ce n’est pas sûr
Bien lavé, bien mangé et bien bu
Bien pris soin de moi via une podologue qui m’a complètement enrubanné mes deux pieds !
Moral : il remonte un peu
A venir la Portion 5 : Gressoney / Valtournenche
35 kms à parcourir
D+ : 3247
D- : 3119
Etape parcourue en 9 heures 30 minutes
Je traverse Gressoney au petit matin et n’ai plus vraiment de souvenir de ce à quoi ressemble cette bourgade. Ma mémoire est embrumée, je confonds avec la traversée de Donnas car elle a eu lieu à la même heure. Sur une partie de la montée je suis au niveau de deux coureurs du Tor des Glaciers dont le parcours de Gressoney à Oyace est exactement le même que celui du Tor des Géants. Ils sont partis le vendredi soir et ils me disent n’avoir dormi que 2 heures depuis. Ils ne semblent pas particulièrement convaincus de la beauté du parcours par rapport à celui du Tor des Géants (qu’ils connaissent car c’est le prérequis pour s’aligner sur les 450 kms des Glaciers). Mais tout d’un coup l’itinéraire que nous empruntons traverse une petite bourgade que je suis certain d’avoir traversé la veille au milieu de la nuit, j’ai une terrible angoisse de suivre des coureurs qui ne sont pas sur le même parcours que moi. J’ai l’impression d’avoir perdu la bonne trace pour me retrouver sur celle de la veille à rebours. Je leur dis que nous sommes perdus, que nous ne sommes pas sur la bonne trace et qu’il faut appeler le PC Course ! En fait je m’affole pour rien, nous sommes bien sur la bonne trace et le bourg que nous traversons bien que semblable à celui traversé la veille est bien inédit. Gros ouf de soulagement qui suit une forte montée d’adrénaline. Je n’ai aucun souvenir du col que je monte ensuite. En revanche, mes pieds qui ont été momifiés commencent à me faire mal. Je décide lors d’un arrêt au stand d’enlever tous ces sparadraps qui serrent et bloquent la circulation de mes pieds. Enfin c’est la libération, les ôter était la bonne solution. C’était une drôle d’idée de les momifier de la part de la podologue. Ma mémoire se rebranche à partir de la petite station de ski de Champoluc : élément singulier, le soleil est radieux ! Je me sens bien mieux. Et je fais une nouvelle pause dans un café pour prendre un cappuccino. Et rebelotte, une cliente me demande si cela va, me pose quelques questions et va m’offrir également le cappuccino. Je suis très surpris par cette bienveillance de la part du public. C’est juste énorme.
Je pointe au ravito de Champoluc à 10h50. Le moral est revenu au beau fixe.
J’appelle ma femme en faisant un tintamarre pas possible sur la seule table exposée à l’extérieur, je suis très discourtois et mal élevé, mais nous ne sommes que deux coureurs attablés. En fait une certaine euphorie s’empare de moi désinhibant mon aptitude à respecter les normes sociales. Je ne m’en apercevrai que beaucoup plus tard rétrospectivement. Je continue seul la montée à venir, je suis assez euphorique malgré le soleil qui disparaît. Je vais même partager ce moment d’euphorie avec mes supporters sur Wa ainsi que le bénévole du refuge du Grand Tournalin (avec un N et non un M !).
Je sais que le prochain Col s’intitule le Col de Nannaz et je dis à mon ami transalpin que la signification de ce terme phonétiquement en français a une signification assez amusante. Il ne comprend pas tout de suite ma remarque – il faut le dire pas très profonde – mais vu mes capacités cognitives du moment je ne peux pas faire plus spirituel. Et dès qu’il comprend ma référence il rit comme une baleine. C’est parti pour le col de Nannaz, j’ai le temps de faire des photos.
Tout va bien pour quelque temps encore. En effet les éléments vont très vite se dégrader… Une de mes citations préférées en Ultra est la suivante : « Tu te sens euphorique, ne t’inquiète pas, cela ne va pas durer longtemps ». Et celle-ci va se mettre en œuvre dans les heures qui suivent. Je vais la vivre dans ma chaire assez durement. La nuit qui vient va devenir un enfer pour moi où je vais toucher le fond.
L’enfer s’abat sur mon Tor :
Un violent orage s’abat sur moi dans la descente de Valtournenche. Je n’ai vraiment pas de bol, je suis à environ 30 minutes de la BV de Valtournenche que des seaux d’eau s’abattent sur ma tête. Je me change très vite pour mettre mon pantalon imperméabilisé, ma troisième couche Gore Tex, mes gants imperméabilisés. Je suis dans un cingle en pente qui se transforme très vite en un torrent de boue. J’arrive complètement détrempé à Valtournenche à 15h45 dont la salle principale de restauration a le sol détrempé. Franchement quel accueil, humide ! En revanche il y a une très grande salle de spectacle avec des sièges comme au théâtre et une très grande salle de gymnase pour dormir. Je vais passer dans cette BV pas moins de 5 heures. Pourquoi ? Parce que les conditions météorologiques demeurent mauvaises jusqu’en début de soirée et que je me sens déjà rincé. J’ai une trouille bleue de ce qui m’attend et prends la décision de rester et de camper ici tant que les conditions météo ne se seront pas améliorées. D’ici là c’est douche, jardinage, j’ignore si je vais montrer mes bobos au masseur (j’ai oublié), et je vais m’allonger sur un matelas de gymnastique avec mon sac de couchage car c’est bien plus confortable que les lits de camps. Je crois que j’arrive à dormir au moins 1 heure.
Je ressors de cette salle pour aller me restaurer à 19 heures à côté d’une femme des pays de l’est qui me dit qu’elle « adore cette course » et qu’elle « ira directement à Courmayeur sans s’arrêter à Ollomont ». Il y a un côté un peu esbrouffe ou surenchère dans sa manière de me parler. Elle est surexcitée, je prendrais bien les mêmes cachets qu’elle. Elle me scie vraiment la nana, une vraie warrior des forces spéciales du KGB alors que moi je suis une poule mouillée à côté. Cela dit je n’arrive pas à identifier aujourd’hui son nom parmi les finishers. Quant à moi je continue à jardiner dans cette BV d’autant qu’il continue un peu de pleuvoir. Bref je suis une vraie mauviette. « Chat échaudé qui craint l’eau froide » : une expression qui me va comme un gant. Et puis au bout d’un moment l’ennui me prend et je décide d’y aller car il faut bien y aller un jour… Je quitte cette BV à 21h23 : l’enfer ne fait que commencer.
BILAN à la BV de Valtournenche
Arrêt de 5 heures 40 minutes à la BV de Valtournenche
2 heure de dodo ? Il me semble mais cela n’est pas certain
Bien lavé (douche), bien mangé et bien bu
Moral : Pas si mal, il remonte un peu
A venir la Portion 6 : Valtournenche / Ollomont
50 kms à parcourir
D+ : 5055
D- : 5176
Etape parcourue en 19 heures 20 minutes
Il est dit que cette partie est une des plus belles du Tor, je sais que je la parcourrai de nuit, que je ne verrai pas grand chose. Je vais entrer dans un brouillard. Il fait nuit et je vais vivre un moment terrible. Tout d’abord le balisage est juste dramatique. Les rubalises sont très espacées depuis Gressoney et c’est à se demander si on n’a pas ôté les rubalises pour n’avantager que ceux qui sont dotés d’une montre GPS avec le parcours chargé, ce qui n’est pas mon cas car ma montre a pour seule fonction de … me donner l’heure. Il y a du vent, un petit crachin, et par dessus le marché, je traverse un long et épais brouillard. Je ne vois plus aucune rubalise et ma traversée ressemble à un jeu de piste. Au moins l’adrénaline coule à flot dans mes veines ce qui a pour vertu de me maintenir en éveille ! Je jardine pendant quelques dizaines de minutes, complètement perdu, ne sachant pas quelle direction prendre. Je ne sais même plus d’où je viens. Donc je m’arrête et attends qu’une lampe frontale se tourne dans ma direction. Une jeune femme italienne arrive à mon niveau et je m’attache à rester dans sa roue. Mais je vais devoir faire face à un autre très gros souci. Je commence à avoir très mal en descente au muscle qui longe le tibia juste au dessus du coup de pied. Les descentes sollicitent énormément ce muscle car je suis en retenu et ce muscle fait un travail en excentrique au même titre que le quadriceps (qui lui est OK, bon pour le service). Donc cela ne va pas très bien. Je m’arrête au refuge Maggia pour demander à dormir 2 heures car je ne me sens pas bien. Et ce sont deux heures qui me feront un bien fou : le vrai dodo de ce Tor. Toujours cet accueil incroyable des bénévoles italiens aux petits soins pour toi. Je repars dans de meilleures dispositions bien remonté. Je n’ai plus de souvenir de ce qui suit, dans ma tête c’est me brouillard. A tel point qu’au petit matin je croise un coureur pour lui demander quel jour nous sommes. J’hésite entre le mercredi et le jeudi avec un penchant pour le mercredi. Le coureur me dit « Thursday ». Je tombe de mon arbre. Je dois appeler ma femme pour lui souhaiter son anniversaire. J’avais bien retenu le process suivant : « le jeudi tu appelles pour souhaiter un bon anniversaire à ta femme ! ». Au moins c’est simple à mettre en œuvre. Il est 8 heures du matin environ.
Ma femme me dira plus tard que je n’étais pas tout à fait dans mon état normal car il semble que j’ai éclaté en larme et beaucoup pleuré à la fin de la communication. Or au moment où j’écris ces lignes je n’en ai plus le souvenir. En revanche je me souviens de cela : Elle me remonte comme un coucou en restant très calme alors que la situation que je lui décris est plutôt catastrophique. « J’ai mal, si mal au dessous du tibia ! ». « Adresse toi à un médecin pour prendre un doliprane cela va passer. Prends ton temps » : c’est en substance ce qu’elle me dit. Cela me remet en selle pour la suite. Les douleurs au tibia ne sont pas aussi fortes que la nuit qui vient de s’achever et j’arrive à Oyace à 12h18 après une longue descente à la recherche d’une pharmacie…mais dans ce bourg de 200 habitants, il n’y a pas de pharmacie. Je me restaure comme à l’accoutumé ; pasta et ensuite encore de la pasta. J’ai pour habitude de prendre ces petits cakes entourés d’un sachet en plastique (marque Mulino Bianco de Barilla) à chaque ravito. Je trouverais probablement cela mauvais en temps normal mais ils m’apportent un grand contentement dans le cas présent. Je prend même du chocolat que je trouve délicieux, probablement pas terrible dans les faits, mais je suis dans un contexte surréaliste où il est question de « survie en condition extrême » où mon métabolisme considère que tout ce qui contient des calories est très très bon pour lui. Après Oyace il reste encore un col que j’avale aussi vite que mes petits cakes, il s’agit du col Bruson qui ne présente aucune difficulté particulière. Dommage que le ciel soit aussi plombé car le paysage d’alpage sous un ciel gris n’est pas très attrayant à mes yeux. Et très vite nous descendons vers la toute dernière BV, celle d’Ollomont à 16h45. Encore pas de chance, je vais me prendre la douche juste avant d’arriver ! A 1 km près c’est un déluge qui me tombe dessus. La BV est hyper humide et donc très inhospitalière. Je ne peux pas prendre de douche car on doit ressortir avant de retrouver la grande tente où sont situés les lits de camps. C’est la BV la plus mal foutue de ce Tor, étriquée, mal équipée, humide. Vivement que l’on parte, mais j’aimerais tellement qu’il s’arrête de pleuvoir ! Je me sens seul et n’ai plus vraiment le niac pour continuer. J’enlève mes chaussettes et là horreur. Ma jambe droite a enflé au niveau de ma blessure, elle ressemble à un poteau. Il faut impérativement que j’aille voir le médecin pour le strapping. Le médecin ne semble pas affolé en voyant ma blessure et l’œdème qui l’entoure. Elle fait le bon diagnostic car elle sait mieux que moi dans quelles conditions cela me fait mal : « vous avez mal en descente c’est ça ? » « Et demain c’est la descente pour Courmayeur ? ». « Allez je vais vous permettre d’y arriver ». Yesss ! Je suis soulagé, elle est très optimiste ou tout du moins n’est pas alarmiste. Merci à elle. Grâce à son strap je vais être finisher. Avec Joachim P. nous décidons de partir ensemble de cette BV. Il est 20h16. Go ! C’est la dernière étape. Elle va être longue mais elle a pour dénouement la finish line à Courmayeur. Inutile de vous dire que je ne vais pas être capable de fermer l’œil dans cette dernière BV.
BILAN à la BV d’Ollomont
Arrêt de 3 heures 30 minutes à la BV d’Ollomont
Zéro dodo
Bien mangé et bien bu
Bien pris soin de moi grâce à un strap fourni par un médecin de l’organisation
Moral : il remonte car je sens que la fin de la course est proche
A venir la Portion 7 : Ollomont / Courmayeur
50 kms à parcourir
D+ : 4277
D- : 4443
Etape parcourue en 15 heures 45 minutes
On décide Joachim et moi d’initier cette nouvelle étape ensemble. On a le même rythme et je mène le train dans les montées. Il n’en reste que deux : Champillon et le fameux Col Malatra, la fenêtre de la délivrance. Je n’ai plus beaucoup de souvenir de ce premier Col que l’on monte d’une traite en pleine soirée à l’exception d’un ravito tout à fait exceptionnel, le refuge de Champillon (le refuge qui vous pousse à vous réinscrire pour un autre Tor des Géants). On nous accueille avec un barbecue qui comprend de la porchetta et de la polenta, c’est juste une tuerie, et comme on est mal élevés, mais affamés, on en redemande !
Je ne me souviens plus du reste du col. Tout ce que je peux dire c’est que la descente sur St Rhémy en Bosse va être un vrai chemin de croix qui va durer près de 4 heures entre 23h et 3 heures du matin. Je ne sais plus à quel moment Nicolas C. nous rejoint. Mais c’est bien à 3 coureurs que nous allons arpenter cet interminable faux plat descendant qui n’en finit pas d’autant que le sommeil s’abat sur moi, m’étreint et me pousse dans le fossé. Or mes deux compagnons continuent bon train et je dois me faire violence pour les suivre, me donner un bon coup de pied. Mes paupières sont lourdes, très lourdes. Joachim et Nicolas ont suffisamment d’énergie pour discuter entre eux, moi je n’en ai aucune pour faire fonctionner les aires du langage de mon cerveau. J’ai déjà du mal à fournir l’énergie requise pour mettre un pied devant l’autre. J’ai mal au muscle de mon tibia car nous sommes en légères descente, cela tire et je grimace. Je ne me souviens plus des sujets profonds que nous avons abordés si ce n’est celui de savoir s’il vaut mieux utiliser la machine à laver ou l’eau de la douche pour laver ses chaussures de running. C’est à peu près tout ce dont je me souviens. Joachim nous parle d’une exposition dont on ne saura ni ce qu’elle abrite ni où elle est située. Bref les conversations sont lunaires…
Enfin le ravito très très bruyant de St Rhémy en bosse arrive. Mes compagnons ont envie de dormir sur les bancs dans cette salle de ravito où règne un vacarme pas possible en raison d’une chaudière qui fait un bruit digne des manufactures du temps de la révolution industrielle. Même le mobilier est aussi rustique que cette époque. Pour moi impossible de dormir, je vais jardiner pendant 1 heure en attendant que Nicolas et Joachim se réveillent. Je suis en fait assez excité et à la fois pas trop pressé d’entamer cette ultime ascension tant désirée et fantasmée : le Col Malatra (2900 mètres). C’est parti ! Nous quittons ce ravito du 19iem siècle pour l’ascension ultime. La pente est dans un premier temps très douce, nous sommes dans un alpage dont on entend les cloches de multiples vaches. Le toponymie du lieu « Le Merdeux » ne laisse aucun doute. Nous en avons plein les chaussures de runnings. Au moins quand les ancêtres ont dû trouver une dénomination pour ce lieu ils sont allés droit à l’essentiel. Appelons cette prairie : « Le Merdeux ». Ne nous cassons pas la tête, faisons simple, avec ce que nous avons sous la main. Nous poursuivons Joachim et moi en silence la montée qui devient plus minérale. Nous percevons au loin les lumières du refuge Frassatti qui est tellement haut que l’on a l’impression qu’il est suspendu dans les aires. Je n’aime pas trop lever la tête pour voir à quelle distance il est… c’est trop haut et démoralisant. Je préfère regarder devant moi en mettant un pied devant l’autre. Nous y sommes : refuge Frassatti atteint à 6h36. Nous voyons Thierry qui est en train de dormir sur une table et qui nous avait distancé de 30 minutes au refuge de St Rhémy. On se restaure très rapidement et on reprend l’ascension. Et nous allons commencer à vivre un instant magique à mesure que nous continuons les 300 mètres de dénivelés qui nous séparent de la « fenêtre du Col Malatra » (c’est ma dénomination toute personnelle). L’aube est en train de surgir. Nous contemplons un spectacle exceptionnel. J’appelle ma femme à partir de 7h30 et lui permet avec la vidéo de partager ce moment incroyable.
Les premières lumières du soleil commence à embraser le col Malatra.
Joachim et moi prenons notre temps à contempler le spectacle de lumière naissante. Le reste du dénivelé est juste du gâteau.
Nous arrivons à la fenêtre et continuons la séance photo avec un pro qui est posté à ce niveau. J’ai en tête la couverture du livre de Stefano Torrionne très connue et qui trône depuis 2 ans sur mon piano à Paris. Je rêve de reproduire la photo.
C’est juste magique et me procure une émotion plus intense que celle que je ressentirai à l’arrivée. Je le sais mais je le savais déjà avant le début de la course. Le massif du Mont Blanc nous fait face et nous invite à la descente à son pied où se situe Courmayeur. Nous pointons au « Pas entre deux Sauts » à 9 heures pile. La journée s’annonce très belle. Le soleil va commencer à piquer. Je me mets en T-Shirt / crème solaire XXL / lunettes de glacier. Il ne reste plus que 15 bornes à peine. Il ne reste que le plaisir de la descente avec un panorama exceptionnel sur le massif. Joachim et moi-même sommes rejoints dès lors par Nicolas C. Nous continuerons la fin du parcours jusqu’au Mont de la Saxe sous un soleil qui commence à bien taper sur le casque.
Ensuite j’ai ma femme au téléphone puis mon frère durant la descente hyper technique sur Courmayeur (tracé de l’UTMB dans le sens inverse), je prépare la descente. Je suis à Courmayeur dans moins de 30 minutes. La chaleur est harassante à l’entrée de Courmayeur, le soleil brûle. J’ai hâte d’arriver, le parcours nous fait passer par des jardins publics pour une arrivée plus directe sur la rue centrale de la ville.
Enfin j’y suis. Je vois l’arche, je cours… non à ce moment précis je vole. Il est midi plein, heure pour heure après en être parti et exactement 5 jours plus tard.
Finisher.
EPILOGUE
Merci à mon épouse pour m’avoir permis d’y aller.
Merci à mon équipe de supporter sur Wa : Fabrice mon frère, Jean-Michel, François, Emmanuel et mon fidèle ami Sylvain.
Un très très gros merci à tous les bénévoles que j’ai pu croiser durant cette course. Valdotains, vous êtes formidables !
Le Tor des Géants est une épreuve marquante physiquement et psychologiquement. L’épreuve d’Ultra la plus difficile que je n’ai jamais courue. Je ne la recommande pas à la légère. Il faut avoir faim, avoir la foi pour envisager de surmonter cette épreuve énorme. A l’heure où j’écris ces ligne à J+8 après l’arrivée, je suis encore marqué, traumatisé ? Et je n’envisage pas de resigner.
Mes nuits sont encore hantées par la course. Je suis encore très éprouvé.
A J+3 de retour à Paris ma balance indiquait +4 kgs en raison d’œdèmes sur mes deux jambes, le visage également. Ces 4 kgs ainsi que les œdèmes ont disparu en 3 jours. Il reste la blessure au niveau du releveur en bas du tibia qui m’empêche de dormir convenablement.
Le Tor des Géants, c’est du très lourd, c’est très marquant, c’est clairement un « cornerstone » très significatif dans la carrière d’un UltraRunner. Je ne sais pas à quoi cela va aboutir mais je ne pense pas rester le même une fois que tout cela sera digéré.
Je ressens un besoin profond de tourner la page car c’est une expérience très marquante presque traumatisante. Ce récit est un des moyens pour se faire.
Et votre intérêt à me lire me permet d’y arriver. Merci à vous.
addendum : Mais à l’heure où j’écris ces lignes (janvier 2022) il s’est écoulé de l’eau sous les ponts, et l’envie est revenue. Le souvenir des souffrances a disparu, seule l’envie et seul le plaisir demeurent.
Dimanche 12 septembre 2021, je me rends une nouvelle fois à Courmayeur (après ma TDS) pour prendre le départ de mon objectif majeur dont l’origine date de 2018 déjà (Voir ce post avec vidéo).
Le Tor des géant en quelques mots
Il s’agit d’une course d’UltraTrail créée en 2010 qui a lieu intégralement dans le Val d’Aoste qui est une province administrative italienne (au même titre que la Toscane, Lombardie etc…). Cette course emprunte deux sentiers historiques les Via Alta 1 et Via Alta 2 qui entourent à eux deux la vallée d’Aoste.
Longueur du parcours : 330 kms
25 cols dont 4 flirtant les 3 000 mètres d’altitude
Altitude moyenne : 2 000 mètres
Dénivelé cumulés : 25 000 D+ (et D- car il s’agit d’une boucle avec pour point de départ et d’arrivée la ville de Courmayeur)
Temps maximal pour être finisher : 150 heures
Nombre de points de checkpoints et autant de ravitaillements : environ 45 plus ou moins espacés sur tout le parcours. On compte également 6 bases vie (où il y a des lits de camps et où l’on récupère un sac qui nous suit de BV en BV). A noter que les ravitos sont réputés comme copieux avec la spécialité phare du pays ; de la polenta servie quasiment systématiquement, et plus rarement des pâtes comme au restaurant.
Le Val d’Aoste en bref
Une singularité de cette province italienne : le français est langue officielle conjointement à l’italien. Les habitants sont appelés des valdotains. On y parle aussi le patois valdotain comme c’est l’usage (d’avoir son patois) partout en Italie.
Le reste c’est très bien expliqué sur wikipedia et en mieux.
Pourquoi le « Tor des Géants » ? Que cela signifie-t-il ?
Le terme de « Tor » c’est du patoi valdotain qui signifie « Tour ».
Et pourquoi « des Géants » est un terme français pour une course qui se court à 100% sur un territoire italien et organisé par des italiens ? Et bien comme dit plus haut le français est langue officielle et est parlé par tous les valdotains. Par ailleurs la toponymie des lieux est beaucoup plus francophone qu’italienne.
Qui sont les « Géants » auxquels fait référence la dénomination de la course ? Les coureurs ?
Eh bien pas du tout.
Les géants désignent les 4 massifs montagneux (ou montagne) qui circonscrivent la vallée d’Aoste et qui constituent la perspective des coureurs. Ces 4 géants sont les suivants :
Le massif du Mont Blanc
Le Gran Paradisio
Le Matterhorn (Mont Cervin pour les francophones)
Le Monte Rosa (Mont Rose pour les francophones)
330 kms pour un Ultratrail : on assiste à une surenchère de kms pour permettre aux finishers de démontrer qu’ils sont très forts ? En d’autres termes il faut être particulièrement fort physiquement pour en venir à bout ?
La remarque est intéressante et requiert que l’on s’y penche et développe quelque peu.
Sans enlever un quelconque mérite aux finishers du Tor nous devons apporter quelques bémols à cette affirmation selon laquelle les finishers du Tor sont des athlètes qui ont réalisé un exploit.
Tout d’abord notons que la durée limite est de 150 heures pour arriver à Courmayeur (enfin pour y retourner) soit une moyenne de 2 km/heure. Certes, cela est sans compter les arrêts au stand pour manger et dormir. Néanmoins certains finishers prétendent n’avoir jamais couru ou très très peu sur le parcours. En d’autres termes le rythme de course est plus celui d’une randonnée à un pas rapide que celui d’une course de 50 kms où l’on peut courir – sur certaines portions de plats et en descente – à un certain rythme (rappel : courir c’est avoir en suspension les deux pieds au-dessus du sol)
Une singularité du Tor : la gestion du sommeil
En fait le Tor est une épreuve qui ne peut même pas se comparer à des formats de 100 miles (de type UTMB) où l’on peut sans trop de problèmes traverser deux nuits blanches au max (ce qui est physiologiquement possible sans causer de dommages). En revanche au-delà de 170 kms le temps « de course » est tellement long que la gestion de la fatigue et de la privation de sommeil deviennent un enjeu CLEF qui est totalement inédit pour les participants familiers des formats « plus classiques » d’Ultra. Je ne sais toujours pas comment je vais m’adapter à des intensités de fatigues que je vais connaître pour la première fois. J’ai bien une stratégie comme celle de dormir dans toutes les bases vies…mais combien de temps ? Et y arriverai-je ? Quid des siestes flash le long du parcours à partir du troisième jour comme le relatent de si nombreux témoignages ?
Pourquoi je me suis inscrit à cette épreuve ?
Parce que j’adore la polenta !
Mais terminons par une pirouette plus poétique et mystique…
Quel est mon rêve sur ce Tor ?
J’aimerais passer ce col de Malatra (voir photo ci-dessous), le tout dernier col (à 2900 mètres d’altitude) c’est la toute dernière porte, celle de la libération avant l’arrivée effective située 15 kms en aval. Tout coureur qui la franchit ressent une émotion intense car en général il sait qu’il va terminer à coup sûr cette épreuve et arriver à Courmayeur en finisher.
Col de Malatra : on lève les bras en signe de victoire