Récit de course : La SaintéLyon 2022

Il s’agit de ma douzième SaintéLyon consécutive. Le temps passe vite, les SaintéLyon défilent sans jamais être les mêmes. Peut-être que ma mémoire vacille aussi car j’ai toujours l’impression que la dernière est la plus difficile à l’exception de celle courue en 2021 où les conditions atmosphériques et esthétiques en avait faites ma plus belle édition ever !

2021 : la plus belle édition et la plus « facile » pour moi.

2022 : la plus technique selon moi.

Je mets de côté la dantesque édition 2019 où j’avais dû abandonner complètement frigorifié avec la couverture de survie sous une tente de la Croix Rouge à Saint Genou.

Bref, au fur et à mesure des SaintéLyon on a toujours quelque chose à apprendre et on progresse. Un exemple ?

Et bien, la rédaction de ce douzième récit me permet enfin, vous l’aurez remarqué, de correctement orthographier St Genou et Soucieu auxquels je ne mets plus de « x » en terminaison. Finalement cela commencer à entrer mais il a fallu du temps !

Bon commençons !

SNCF et Score ITRA / Score UTMB Index : la grande pagaille !

Le sas performance, c’est à dire la première vague, est destinée cette année aux coureurs qui se targuent d’avoir un score ITRA général de 580 ou plus. En octobre quand je checke mon score j’ai … tout juste 580, youpiiiiiiiii !

Or « horreur malheur », la dernière mise à jour de mon score global début novembre, après la prise en compte de mes performances sur l’X-Alpine, passe à 579 ! Soit un petit point en dessous de la barrière.

Autre problème : quand je checke mon score UTMB Index (qui fout le box depuis que l’association s’est mise à calculer son propre indice de coureurs en concurrence avec l’ITRA) j’ai 569.

Quoiqu’il en soit je n’ai pas reçu le fameux Email me permettant de prétendre au fameux bracelet vert qui est le sésame d’accès au premier sas, bien que mes 6 dernières SaintéLyon aient été courues avec un score de performance spécifique supérieur à 580.

Dernier avatar : l’annulation de mon premier AR en TGV me force avec un peu de stress à trouver un autre AR pour arriver à Lyon le jeudi soir et en repartir dès 11 heures du matin dimanche. En principe j’ai toujours fini mes STL avant 9 heures du matin donc me permettant de prendre ma douche à La Mulatière dans ma belle famille pour repartir aussi sec (grâce à une serviette) à Oullins pour prendre le métro direction la Part Dieu.

Ma traditionnelle préparation complètement revue

Un point sur ma préparation pré-Saintélyon. Cette année c’est le grand chamboulement dans mon entraînement. D’habitude je cumule les kms en endurance fondamentale. J’ai l’habitude de cumuler les 5 dernières semaines précédentes (hors semaine tapering) environ 500 kms, parfois plus (record de 640 kms en 2016). Or, cette année depuis septembre j’ai axé mon entraînement vers plus de qualité (séances de tempo run) qui m’ont permis de battre mes records sur le marathon de Berlin, 20 kms de Paris et les 10 kms de Paris coup sur coup.

Cette année sur les 5 dernières semaines je n’ai que 260 kms au compteur avec des successions de 5 jours sans avoir couru. Par ailleurs j’ai pour habitude d’aborder les STL avec un poids de forme de 61 kgs, et là c’est plutôt 63 kgs (pour 175 cm). En conséquence j’ai probablement perdu du foncier, mais gagné en force car j’ai plutôt de bonnes sensations dans les descentes. Quand je parle de descentes il s’agit du trottoir qui ceinture le parc des Buttes Chaumont (ma piste d’entraînement parisienne exclusive). En conséquence quand on manque d’entraînement il faut miser sur un atout, mais de taille, à savoir son état de fraîcheur dans lequel on aborde l’épreuve. En gros on pourrait résumer cela par la formule suivante : « j’ai rien foutu à l’entraînement mais au moins je suis en forme ! »

Mes objectifs

J’en ai plusieurs, soufflés à ma femme il y a 1 mois mais qui se sont dégonflés au fur et à mesure du constat de ma sous préparation. Mais à l’heure où j’écris je connais le résultat final donc je peux vous les dévoiler sans avoir peur du ridicule.

  • Un chrono en dessous de 8h45 (contre 8h50 l’année dernière)
  • Un top 300 en terme de classement
  • Un score ITRA supérieur à 600 (contre 580 l’année dernière)

Le Jour J

J’ai le privilège d’être accueilli comme à l’accoutumé depuis ma toute première SaintéLyon en 2010 par l’oncle de ma femme à Villars (à quelques minutes en voiture de ParcExpo de Saint-Etienne) qui vient me chercher à Chateaucreux (c’est la gare) à 18h30. Une soirée royale devant un match de foot de la coupe du monde (l’Argentine au programme) en absorbant comme le veut la tradition un plat de pâtes au beurre. Rituel immuable pour cette 12ième SaintéLyon consécutive.

22H30 il est l’heure de partir pour le départ. 22H45 je franchis l’arche de départ pour me rendre dans les sas…et là il n’y pas un seul coureur à se mettre sous la dent ! Je suis seul pendant de longues minutes à me demander où je dois me placer. Mais où se trouve le deuxième sas ? Celui qui est juste derrière le sas performance auquel je n’ai pas droit ?

Enfin un organisateur qui ne sait pas trop « dans quel état j’ère » m’indique qu’ils vont tirer un ruban ici… à moins que cela ne soit là pour figurer la ligne de démarcation entre le sas performance et le sas de derrière. Bref, c’est un peu le box ! Heureusement il ne fait pas trop froid. Parlons de ma tenue : j’ai juste un juste au corps (une première couche) et ma GoreTex de Mickey (vous savez celui qui ressemble à un sac poubelle en shake dry de 200 gramme mais deux fois plus cher en euros !). Et j’ai toujours mes gants de ski en GoreTex recouvert d’une membrane imperméable. Je suis sujet à la maladie de Raynaud (et non de Renaud « Trin lin lin » ou « Rin tin tin »).

Non je n’ai pas froid au corps…mais je commence à avoir froid aux pieds. Enfin mon sas virtuel commence à se remplir. Et curieusement le sas Performance qui est devant nous connaît un goulet d’étranglement, il n’arrive pas à se remplir malgré un flux continu de coureurs dans la bretelle de délestage.

Je passe rapidement sur le retard du départ en raison du parcours encombré par des voitures aux conducteurs bienveillants à notre égard facilitant la tâche des organisateurs. Donc c’est le départ des élites et du premier sas, qui curieusement ne se vide pas complètement. Va comprendre…

Et c’est enfin le départ de notre vague. Autant le dire c’est assez compliqué car je dois slalomer entre les coureurs, heureusement les routes des faubourgs stéphanois sont assez larges.

Je perds pas mal de plumes dans cette partie jusqu’à Saint Christo car elle me demande pas mal d’efforts pour sortir du pack de coureurs et me permettre de prendre mon envol sans être gêné.

  • 1ère portion : à Saint-Christo au km 17
  • 1h37 de course / cumul de 1h37 depuis le départ
  • classement : 664

Après le ravito de Saint-Christo il se met à pleuvoir. Une petite bruine nous accompagne, et ceci jusqu’à la fin de la course. Quel bonheur !

Sur cette portion jusqu’à Sainte-Catherine je ne vais pas vraiment voler. J’ai même l’impression d’accuser un peu le coup. Sur la route des crètes, celle où nous attendent traditionnellement des supporters autour d’un feu de bois et des enceintes qui crachent « Born In The USA » de Bruce je ne m’amuse plus du tout comme à l’accoutumée. Limite je fais la gueule alors qu’en général je suis euphorique. Je suis parti trop vite. Et puis le brouillard est de la partie maintenant. Donc autant ce chemin de crète était mon plus beau souvenir l’année dernière sous la neige, autant cette année c’est la galère. La descente sur Sainte-Catherine est tout aussi galère avec cette dernière descente hyper casse gueule avec des gros cailloux qui affleurent au dessus de la boue et qui n’attendent qu’à vous éventrer si jamais vous basculez.

  • 2ième portion : à Sainte Catherine au km 31
  • 1h42 de course sur la portion depuis précédent ravito / cumul de 3h19 depuis le départ
  • classement : 780

Il est temps de se ressaisir. Après avoir bu mes trois verres de coca traditionnels et mes barres à céréales pour oiseaux en cage et des pâtes de fruits dont il faut au moins 15 minutes pour enlever le plastique transparent qui les recouvrent au risque de se casser les dents…je remonte sur ma selle pour plonger dans le bois d’Arfeuille dans un épais brouillard, les pieds au secs (ie. une boue compacte comme une crème de jour tapisse tous les sentiers). Dans la montée du Rampeau que je confonds avec la montée vers le Signal Saint-André (il me faudra 1 heure pour réaliser ma méprise), il est vrai que je ne reconnais pas bien les lieux mais c’est de nuit avec de la pluie et du brouillard, donc on me pardonnera. Ensuite il y a encore une autre montée que je ne connais pas, une nouveauté avant de revenir sur le parcours plus classique en direction de Saint Genou Le Camp. Cela va pas trop mal au niveau des sensations mais heureux d’être déjà à ce niveau de l’épreuve.

  • 3ième portion : à Saint Genou au km 44
  • 1h44 de course sur la portion depuis précédent ravito / cumul de 5h03 depuis le départ
  • classement : 605

Comme j’aime les pâtes de fruits ! Et à ce ravito on nous les présente sans le sachet en plastique qui les recouvrait. C’est juste énorme, un grand moment de bonheur offert par les bénévoles. Merci à eux. Je continue mon bonhomme de chemin en continuant à courir, j’ai encore du jus donc tout va bien. « La boue vous va si bien » : telle est la thématique de cette SaintéLyon 2022. Mais j’ai l’équipement qui faut, juste deux couches, donc je ne transpire pas, donc je n’ai pas froid à aucun moment. C’est le début du parcours où j’ai la possibilité d’envoyer et de relancer dans les descentes, sauf que c’est finalement dangereux. Parfois il y a des singles track complètement boueux délimités par des fils de barbelés sur les côtés : on serre les fesses pour ne pas se faire éventrer si jamais l’on chute. Moment de frissons et d’émotions garanties sur la SaintéLyon !

  • 4ième portion : à Soucieu au km 55
  • 1h10 de course sur la portion depuis précédent ravito / cumul de 6h13 depuis le départ
  • classement : 445

A Soucieu-en-Jarrest on fait le bilan de la SaintéLyon : soit je suis explosé et je ne peux plus courir, soit je peux continuer à courir et c’est gagné, ou presque.

Bilan : je peux continuer à courir mais j’ai mal aux jambes qui sont inflammées un peu partout. Et il faudra faire avec jusqu’à la fin.

On traverse le lotissement comme c’est la tradition, on bifurque à droite et là je n’ai plus trop de souvenirs si ce n’est cette épingle à cheveu en arrivant à Chaponost et là j’ai un vrai coup de mou en arrivant au ravito. Vite mes verres de coca et mes pâtes de fruits, je suis à la recherche de réconfort. Rewards Rewards Rewards WANTED ! Mon striatum est en demande et requiert que je le satisfasse afin qu’il me permette de repartir sur mes jambes en mouvement.

  • 5ième portion : à Soucieu au km 66
  • 1h07 de course sur la portion depuis précédent ravito / cumul de 7h20 depuis le départ
  • classement : 360

Allez encore un petit effort pour donner l’estocade. Comme c’est dur cette remontée de l’épingle à cheveu sur le bitume. J’arrive à relancer heureusement non sans peine et sans douleurs mais cela avance quand même. Et l’aube pointe son nez très doucement et comme à l’accoutumé en me rapprochant de Sainte-Foy-lès-Lyon j’entends le chant du coq. Incroyable, à croire qu’il m’entends chaque année. Car c’est aussi rituelique que le plat de pâtes chez Yves, j’entends le chant du coq lors de toutes mes SaintéLyon à l’aube..à l’exception peut être de l’année dernière où le coq devait probablement être congelé.

Quand j’arrive au pied des Aqueducs de Bonnant en général j’ai l’impression que pour moi la SaintéLyon est déjà terminée. Ce qui reste à parcourir ce n’est que du bonheur et j’en profite. La grimpette est presque la dernière, on se repose en mettant un pied devant l’autre doucement en mangeant une pâte de fruit, donc pas de quoi s’exciter, il faut profiter. La descente du parc Accrobranche n’est certes pas une partie de plaisir, il faut juste faire attention de ne pas s’éborgner par une branche dans le parcours en serpentin qui n’amuse que les organisateurs (ou le traceur) ; moi pas !

Ensuite c’est la rue de la Navarre où la veille j’ai encouragé les coureurs de la LyonSaintéLyon à 9h20 du matin, rue qui longe la copro de ma belle mère où je loge chaque année. Je fais un coucou en direction de la fenêtre de la cuisine de l’appartement mais il n’y a plus personne. Ma belle mère ayant anticipé mon arrivée à Tony Garnier.

Et ensuite on va profiter de cette descente d’escaliers, le quai de Saône, le pont Raymond Barre toujours magnifique, les derniers serpentins inutiles mais ce n’est pas grave on profitera d’autant plus longuement. On fera le cabotin devant les photographes. Et puis c’est l’arrivée hyper encombrée en ce qui me concerne par des coureurs en train de se prendre en photo devant l’arche : merci les gars !

C’était plutôt compliqué cette année, pas vraiment la plus belle des SaintéLyon mais toujours un grand bonheur.

C’était mon 11ièm maillot de finisher. Place aux chiffres :

Bilan

Chrono final : 8h42

Classement scratch : 305 soit 6% (vs 5303 finishers)

Score ITRA : 604

Classement dans ma catégorie (M3/M4 H) : 10ièm (vs 719 finishers)

Récit de course : Ultra Trans Aubrac 105 kms (16 avril 2022)

« L’Ultra Trail où l’on vient pour manger ! » (citation d’un copain ancien finisher de la Trans Aubrac)

Quel bonheur de revenir en Aubrac après deux années vierges de compétition pour les raisons que l’on sait.

C’est ma sixième participation consécutive à cet UltraTrail que j’affectionne particulièrement. Principalement pour deux raisons : tout d’abord parce que c’est le premier UltraTrail auquel j’ai participé et également parce qu’il est formidable sur de nombreux points. On ne le court pas seulement pour la beauté des paysages mais également pour la gastronomie et son ravito 3 étoiles.

La préparation

Cet Ultra se positionne 6 jours après avoir terminé en finisher (j’aime les tautologies) l’ISTRIA 100 (récit ici) soit après un 100 miles. J’ai fermé les oreilles pour ne pas entendre les cris de ceux autour de moi qui étaient susceptibles de me dissuader d’enquiller deux Ultras avec si peu de jours d’intervalle de récupération. Et je loue ma femme de m’avoir donné le feu vert pour vivre deux belles aventures. En fait pour la petite histoire j’étais inscrit depuis longtemps à la Trans Aubrac. Et puis ma femme me donne l’opportunité d’aller courir l’ISTRIA 100 comme ça, sur un coup de tête. Et quand votre femme est toute disposée à s’occuper de vos jumeaux de 4 ans sur deux week-end d’affilé, vous ne réfléchissez pas, il faut dire OUI. Il n’y a pas d’autres alternatives.

Pour en revenir à la récupération. J’ai deux choses à dire. La première est de considérer que 6 jours sont suffisants pour la récupération musculaire des quadriceps dont les courbatures durent 48 heures. Ce qui constitue un atout : on s’aligne en conséquence avec des jambes en béton lors de la deuxième épreuve puisque le travail de destruction/reconstruction des fibres musculaires est achevé. En revanche, l’inconnue a plutôt trait à la récupération de la fatigue due à la nuit blanche qui a suivi le départ de l’ISTRIA 100 le vendredi précédent. Et force est de constater que c’est un peu juste. Les nuits qui suivent une nuit blanche pour moi sont plutôt hachées. Durant cette semaine il m’a été impossible d’ouvrir l’œil vers 5 heures du matin comme j’en ai l’habitude pour aller faire mon petit jogging de 1h30. Je n’avais pas prévu d’en faire avant le jeudi. Las, c’est bien sans aucun kms de récupération (à une époque on parlait de séance de décrassage) que j’arrive en Aubrac le vendredi 16 avril 2022 à 16 heures par avion à Rodez.

Les heures se succèdent assez vite. Je suis à Saint Geniez d’Olt dès18 heures et je dois vite aller récupérer mon dossard.

Comme j’en ai maintenant l’habitude je dîne chez Antoinette pour manger des crêpes. Cela me réussit très bien d’autant que celle au sarrasin et gésiers de canard est juste fabuleuse.

En revanche ce qui me réussit moins bien c’est la nuit qui précède le départ programmé à 6 heures du matin à Bertholène à 40 minutes de route de St Geniez d’Olt. Une navette nous attend à 4h15 pour nous conduire au départ. Il faut en conséquence se réveiller à 3h30. Cela fait une nuit très courte. Le problème est … qu’à 1 heure du matin je n’ai toujours pas fermé l’œil. C’est terrible une insomnie la veille d’une course. J’ai connu cela sur ma première X-Alpine (soldée par un abandon récit). J’ai dû dormir quelques dizaines de minutes et j’ai malheureusement besoin d’un réveil pour m’extirper du sommeil. Cela commence mal. Et ce n’est pas fini.

L’hôtel dans lequel je loge organise un petit déjeuner pour les coureurs de l’Ultra. Et je ne sais pas pourquoi j’y prends part alors que c’est une entorse à mes principes de préparation d’avant course. Et là je ne sais pas ce qu’il se passe. Cela dérape. Je craque pour un croissant, et après le croissant sur la brioche locale (la fouace aveyronnaise). Argghhh ! Je précise qu’en principe j’ai pour habitude de partir avec l’estomac plutôt léger. Cela m’a toujours réussi.

Navette à 4h15, arrivée à Bertholène à 5h dans le gymnase rempli de coureurs. Et une voix familière est diffusée à travers les enceintes, il s’agit de la voix de Patrick Montel qui est sur l’estrade en tant qu’invité animateur. C’est assez drôle de le voir ici sur une course de la Trans Aubrac où nous courrons en moyenne à 5 km/h alors que j’ai le souvenir de l’entendre commenter les courses de Carl Lewis et Ben Johnson au JO de Séoul. C’est ce qui s’appelle le grand écart.

Et nouvel écart gustatif de ma part. On découpe sous mes yeux ébahis un gâteau à la broche. Quelque chose s’active dans mon cerveau. Le circuit de la récompense se met en marche et me pousse irrésistiblement à tendre la main pour prendre 2 ou 3 morceaux (je crois que c’est 4 en fait). Puis après avoir engloutis cela je retourne une nouvelle fois vers ce comptoir pour en prendre encore plus. Mais pourquoi personne n’est là pour m’attacher à un mat ? Bref c’est ce qui s’appelle le gros Binge. En Croatie j’employais l’expression « hostile la nature ! » (voir récit), ici c’est plutôt « hostile la nourriture ».

6 heures c’est le top départ

Nous montons au pied du château de Bertholène qui est en haut d’un piton rocheux pour atteindre le sas de départ. Il fait un peu froid, nous avons tous enfilé notre coupe vent, je n’ai pas vraiment le moral avec tout ce que j’ai ingurgité. J’ai la sensation de ne pas être vraiment dans l’ambiance. Et c’est le feu d’artifice qui embrase la château. C’est parti. Le départ est toujours magnifique accompagné d’une musique assez entêtante. C’est pour moi l’heure de vérité ces premiers hectomètres car je n’ai pas couru du tout, (du tout !) depuis le passage de la ligne de finisher samedi dernier sur l’ISTRIA 100.

Cette première partie est hyper roulante. Des chemins de 4*4 sur du plat et légers faux plats. Cela part toujours très très vite. L’aube est là, la lumière est belle. Je me réchauffe. Premiers arrêts : pipi/rangements de ma gore tex… Je suis parti les flasques vides comme j’en ai toujours l’habitude car je sais tenir 2h40 sans boire. Mais en l’espèce c’est une erreur car l’air est très sec et comme je me suis goinfré de viennoiseries mon estomac a besoin de liquide pour digérer tout cela. Je trouve finalement le temps long jusqu’au ravito de Saint Cômes d’Olt.

Ravito 1 : St Côme d’Olt / 2h39 depuis le départ / km 10 / cumul D+ 190 / clt. 191

Il est 8h44 du matin. Cela commence à cogner sur le casque. Evidemment à chaque ravito c’est le rituel des 3 gobelets de Coca qui font ici un bien fou. Et je n’ai vraiment pas faim. Je remplis au max mes flasques. Moment toujours extrêmement désagréable lorsque l’on se met de la crème solaire qui sent aussi mauvais. Et dès la sortie du ravito c’est le premier grand coup de mou. Mon estomac est gonflé comme un ballon : j’ai l’impression que les viennoiseries que j’ai encore dans l’estomac viennent de tripler de volume avec l’ajout du liquide que je viens d’ingérer. Mes flasques que je porte sur le torse pèsent 1 litre et me lestent vers l’avant. Bref, j’ai l’impression de peser le poids d’un tank. Je me fais déposer par des dizaines de coureurs (des solos comme des nombreux relayeurs qui filent comme des flèches puisqu’ils viennent de prendre le relais à St Côme). Je suis habitué désormais à ne plus prendre ombrage de ces coureurs qui vous dépassent, certains vous disent « bonne course » sur un ton condescendant qui en dit long. Et justement je choppe dans mon viseur le numéro de dossard d’un de ces jeunes loups qui me dit « bonne course » sur un ton un peu ironique en volant littéralement. Je me dis qu’il est assez risqué d’avoir ce type d’attitude vis à vis des autres coureurs, surtout maintenant, et d’avoir trop confiance en soi. En effet un Ultra c’est LONNNNGGG, il peut se passer BEAUCOUUUUUUP de choses. Et en l’occurrence je dépasserai au km 75 en début de soirée ce même jeune homme quasiment à l’arrêt (en train de marcher) qui me dit qu’il ne peut plus descendre les pentes car ses quadriceps sont en feu. Oui, à ce moment là on fait moins le malin.

Cette partie jusqu’à Laguiole est particulièrement difficile, c’est selon moi la partie la plus compliquée de cet Ultra. Car ce n’est qu’une succession de faux plats, petits « raidars » dans les sous bois. Mais on traverse des lieux magique comme cette Abbaye de Bonneval.

Ravito 2 : Abbaye de Bonneval / 4h16 depuis le départ / km 32 / cumul D+ 1150 / clt. 252

Au niveau du classement c’est effectivement la dégringolade comme j’ai pu le constater durant la course. Je n’ai pas arrêté de me faire dépasser. Mais peu importe, tant que je suis capable de mettre un pied devant l’autre, je continue. J’ai toujours cette citation en tête : « Ne crains pas d’être lent, crains d’être à l’arrêt ». J’ai du mal à relancer, j’ai une vraie fatigue, envie de dormir. J’ai l’impression d’avoir un casque sur la tête. Lors de mes 6 Trans Aubrac à ce stade de la course je n’ai jamais été aussi mal. En bref, « je n’ai pas le guane ! ».

Ravito 3 : La Vitarelle / 5h52 depuis le départ / km 42 / cumul D+ 1891 / clt. 215

Cela ne va toujours pas mieux. Mais cette fois je prends plaisir à discuter avec un coureur. On a des discussions de CAP et puis très vite on arrive sur des sujets improbables comme le danger de l’usage des écrans/tablettes par les enfants/adolescents et comment gérer ces situations qui mènent à l’échec scolaire. Je ne sais plus vraiment comment on est arrivé à dériver sur ce sujet qui, il faut le dire, me tient à cœur et m’inquiète étant le père de jumeaux de 4 ans. C’est un peu plus profond que le sujet concernant l’usage ou non de la machine à laver pour ses chaussures de runnings (cf. Tor des Géants).

Je me remets un peu en selle sur cette partie de course. Comme quoi sociabiliser sur une course apporte du réconfort et change les idées. On se sent mieux.

On traverse néanmoins des chemins de pierre complètement engorgés de boue qui ralentissent énormément la cadence. Concrètement je m’aperçois assez vite que mon objectif de terminer à St Geniez juste avant le début du JT de 20 heures présenté par Jean Claude Bourret est d’ores et déjà hors d’atteinte et qu’au mieux du mieux j’arriverai à la fin de la présentation de la météo d’Evelyne Dhéliat.

Ravito 4 : Laguiole / 7h40 depuis le départ / km 53 / cumul D+ 2194 / clt. 176

Il est 13h46. J’avais prévu 13h, je suis totalement dans les choux. Et même pour arriver au début du prime time du samedi soir cela va être très compliqué. Je récupère mon sac de change et ma boîte de brownies que je vais engloutir et arroser tout cela d’un mélange coca + eau minérale. J’ai pour tradition en sortant de ce gymnase surchauffé de téléphoner à ma famille en marchant (pour ne pas dire en titubant) et en traversant la fameuse forge à couteaux Laguiole. C’est le moment où je partage mon état de souffrance en donnant un peu le change : « Oui oui je vais bien. » / « C’est formidable » / « Je vais prendre mon temps pour contempler le paysage ». Dans les faits je suis « explosé » mais cela ne se dit pas et puis je sais également que rien n’est immuable, surtout sur un Ultra. Les choses évoluent assez vite.

On attaque la plus belle partie de cet Ultra : les plateaux de l’Aubrac. Mais pour cela il faut quand même grimper un peu. La température a bien baissé, le vent est assez fort et surtout il joue le rôle d’un réfrigérateur. C’est le passage vers la station de ski. A noter qu’il s’agit de la troisième édition qui comporte un changement de parcours assez significatif par rapport à mes trois premières participations, comme je le regrette. En effet il n’y a plus cette ascension vers ce pic, ce promontoire exceptionnel (voir les photos ici extraits de mes précédents récits) où j’écarte les bras comme pour embrasser ce paysage. Pour la petite histoire, un peu triste, le propriétaire de ces terres n’accepte plus que la Trans Aubrac traverse son territoire sans…recevoir une contrepartie au passage. Ce que les organisateurs lui ont toujours refusé.

Le ciel est assez couvert et le vent est glacial pour les supporters assistants qui sont emmitouflés, et pour certains dans des anoraks. C’est ainsi que je reprends un peu de jambe dans les faux plats et arrive plutôt en bonne forme dans le temple/le saint Graal de cette Trans Aubrac à savoir le Buron des Bouals qui contient ce fameux ravito 3 étoiles !

Ravito 5 : Buron des Bouals / 11h10 depuis le départ / km 77 / cumul D+ 2946 / clt. 146

Il est 17h16 : moment du tea time !!! Cela dit c’est la première fois que je vais aussi peu manger à ce ravito exceptionnel confectionné par un chef pâtissier. Je n’ai pas faim et n’ai vraiment pas envie de me tirer une nouvelle balle dans le pied alors que je retrouve quelques bonnes sensations. Ainsi mon arrêt se limitera à prendre un fond de bol de soupe au vermicelles, deux demi tranche de farçous (toutes petites j’vous jure !!) et des morceaux de saucissons. Car il faut bien le dire « dans le saucisson tout est bon ! ». Et c’est vrai que j’ai une envie irrésistible de salé, je mangerais bien une entrecôte ! Je ne m’attarde pas, je repars…et après avoir fait 100 mètres je me dis qu’il faudrait que je prenne encore des tranches de saucissons tellement cela me fait un bien fou cette chose là !

La partie qui vient est très belle. J’avance à un assez bon rythme, ce n’est pas non plus aussi rapide qu’en 2016 où j’ai le souvenir d’avoir couru même dans les faux plats montants. Mais la difficulté est quand même présente en raisons de tourbières qu’il est parfois impossible de contourner : et splash ! Il est inutile de jouer à l’acrobate. Autant mettre les pieds dedans en veillant à ne pas y laisser ses chaussures.

Et je sais que cette toute dernière montée le long des deux burons (voir photos) sonne la fin des plateaux de l’Aubrac.

Et on amorce la forte descente. J’aime particulièrement cette partie où je retrouve mes jambes pendant environ 1 heure. Ce sont des pistes assez larges où je cours assez rapidement.

Ravito 6 : Cascade de Lacessat / 12h47 depuis le départ / km 88 / cumul D+ 3131 / clt. 127

Il est 18h52. Après cette partie qui était rapide on va attaquer la deuxième difficulté de cet Ultra. La traversée du sous bois et ses deux raidillons de la mort.

La partie en sous bois est beaucoup moins drôle. Je prends un grand coup sur la tête (ie : entendre « je suis crevé »). Impossible de relancer sur ce single track. Et puis il y a toujours cette partie de « traversée du Mékong » qui est plus détrempée que jamais. Nous ne sommes pas des runners mais des soldats avec le couteau entre les dents en trains de trouver un passage, les pieds dans l’eau et en se tenant aux branches des arbres. Pas simple pour nous autres Rambo !

La voila la première pente « droit dans le pentu ». Sur les premiers 10 mètres il faut parfois mettre les mains car il s’agit bien d’un mur de terre que l’on nous demande d’escalader. Et autant le dire je n’ai plus du tout de jus. J’ai pour habitude sur ces parties de plutôt bien m’en sortir mais en l’espèce je dois actionner le pilote automatique et surtout ne pas lever la tête pour ne pas voir le reste de la pente.

Moment de grâce lorsque les rayons du soleil à l’horizon donnent des teintes chaudes (jaunes/oranges) au paysage. Les descentes sont assez raides et sollicitent énormément les quadriceps qui peuvent être en feu si on n’a pas été suffisamment entraîné. L’ISTRIA 100 m’a permis justement à mes muscles de passer la phase de destruction/reconstruction des fibres une semaine plus tôt si bien que les descentes ne me font plus rien (« même pas mal ! »). Ce qui n’est pas le cas du jeune coureur auquel j’ai fait allusion plus haut dans ce récit. C’est ainsi que l’on arrive dans ce très beau village de fond de vallon à la tombée de la nuit.

Ravito 7 : St Martin de Montbon / 14h35 depuis le départ / km 98 / cumul D+ 3462 / clt. 118

Il est 20h41. C’est foutu pour arriver à temps pour voir la présentation de la météo d’Evelyne Dhéliat.

Cela dit la tombée de la nuit à ce moment du parcours a quelque chose de magique. Avec deux autres coureurs nous mettons nos frontales avant cette toute dernière bosse au milieu de laquelle nous attendent beaucoup de supporters. Et là un spectacle incroyable nous attend : exactement dans l’axe de notre single track derrière les supporters qui nous attendent à sa cime un disque lunaire de toute beauté, énorme se lève juste au-dessus de l’horizon montagneux. Hallucinant ! Quel bonheur. Après tous ces efforts c’est un vrai cadeau et une réelle gratification d’assister à de telles configurations où la météo (ciel cristallin) se conjugue avec un improbable positionnement des astres.

J’ai beaucoup de plaisir à poursuivre sur le plateau qui nous attend. J’ai pour habitude de courir assez vite sur cette partie. J’ai retrouvé mes jambes et puis, je sais que c’est bientôt la fin. J’en connais presque par cœur tous les recoins et rebondissements au sens propre comme au sens figuré. Dans la nuit je dois juste faire très attention à ne pas tomber, cela m’est déjà arrivé au même endroit. Cela serait trop bête si proche de l’arrivée.

Dernière descente, très raide vers le lit du Lot. Il reste quelques kms de plats le long de la rivière avant de croiser le premier bâtiment de St Geniez d’Olt. Il s’agit d’une énorme bâtisse dont on peut voir la cheminée à travers la fenêtre.

Et puis les derniers hectomètres, cet étrange traversée de camping juste avant le contournement du gymnase de l’arrivée. Et pour finir cette entrée dans cette salle archi blindée, surchauffée, bruyante. C’est fini, finisher.

Cela dit je ne m’attarde pas ici, je n’ai qu’une envie, prendre mon sac et repartir. Dans cette salle qui doit bien contenir plusieurs centaines de coureurs/assistants/membres de famille le bruit est insupportable pour moi. C’est une foire. Et après une telle course dans la nature c’est bien la dernière chose dont j’ai envie. J’ai besoin de poursuivre cette journée de quiétude. Je repars très vite à pied pour le centre du village et m’attabler 15 minutes plus tard, seul dans le silence à la terrasse de cette crêperie « Chez Antoinette » pour déguster cette excellente crêpe de gésiers de canard. Je vous l’ai dit en préambule : la Trans Aubrac on y vient pour manger !

Synthèse et chiffres

  • Chrono : 15h40
  • Classement : 106 ièm parmi 475 partants =>> soit classement appartenant au 3ièm décile des coureurs au départ.
  • 365 finishers (taux d’abandon de 23%) donc 106/365 =>>soit classement appartenant au 3ièm décile des finishers.
  • Score ITRA : non connu à ce jour

Récit : ISTRIA 100 « by UTMB » (8 avril 2022) / L’Ultra Trail improbable

Un Ultra Trail dont je n’avais jamais entendu parlé jusqu’à ce que Loïc J. me fasse part de son inscription un mois avant la clôture.

L’istria ? C’est où ? Spontanément je localise ce lieu dans les Pays Baltes. Or après quelques recherches je comprends qu’il s’agit d’une péninsule qui appartient à la Croatie. Une avancée de terre dans l’Adriatique à quelques encablures de Venise.

« Quelle est la capitale de la Croatie ? »

Ma réponse : « Euh…. »

J’adorais jouer au jeu des capitales quand j’étais jeune et j’étais incollable ! Cela dit je n’y ai plus joué depuis mon adolescence et il faut bien le dire : avec l’éclatement des empires dans les années 90, le jeu s’est considérablement complexifié !

En effet, j’en suis resté à la version vintage des années 80 :

« Yougoslavie ? »

ma réponse => Belgrade !

ou encore :

« U.R.S.S ? »

ma réponse => Moscou !

Donc, concernant la capitale de la Croatie j’ai dû me renseigner au préalable…

L’inscription à l’ISTRIA 100 m’a permis de me remettre à niveau au moins concernant le nouveau découpage – hyper compliqué – des nouveaux états de l’ex-Yougoslavie. Concernant l’ex-U.R.S.S cela attendra que l’on y organise des Ultra Trails, ce n’est pas à l’ordre du jour manifestement.

dialogue imaginaire :

« Je participe à un Ultra qui s’intitule l’ISTRIA 100. »

« ouhaouuu, 100 kms c’est hyper dur ! »

« Euh, « 100 » ce sont des miles »

fin du dialogue imaginaire.

Le Parcours en quelques mots

  • 168 kms (format 100 miles)
  • 6560 mètres de dénivelé positif
  • 46 heures max cut off
  • Au km 100 c’est comme s’il restait ensuite une SaintéLyon (citation de quelqu’un qui se reconnaîtra)

Mon état de forme

Oui je me sens plutôt au faît de ma forme.

Après 5 semaines d’arrêt de la course à pied en février pour infection j’ai repris le 28 février et totalisé depuis 450 kms environ dont 230 kms sur les seules deux dernières semaines en courant tous les jours environ 1h40 chaque matin. Mon dernier 100 miles remonte à loin en fait. Il s’agissait de l’UTMB lui-même en 2017.

Petit nota bene à l’attention des coureurs d’Ultra ci-dessous. Les autres lecteurs peuvent sauter le passage qui ne les intéressera pas. Il a trait au libellé de la course et notamment son suffixe « by UTMB ». C’est quoi cet addendum ?

« By UTMB » c’est quoi ce truc ?

Depuis cette année, l’association UTMB Mont-Blanc fédère et accorde une licence « by UTMB » (une trademark qui a pris beaucoup de valeur) à une liste d’Ultra Trails soigneusement choisis dans le monde. Ces épreuves (une vingtaine pour l’instant) font partie du circuit « UTMB World Series » qui comprend les courses qui sont désormais les seules à fournir aux finishers les crédits leur permettant de participer à la loterie des 3 Ultras de l’UTMB Mont-Blanc à Chamonix (l’OCC, la CCC et la grande UTMB Mont-Blanc). En d’autres termes, si l’on veut participer au tirage au sort d’une des courses de l’UTMB, et bien on doit impérativement au préalable avoir été finisher d’une des courses du circuit « UTMB World Series » pour être crédité de « running stones ». Les « Running Stones » sont des « tickets de loterie » permettant de participer aux courses de fin août à Chamonix (auto proclamé capitale du Trail Running). Plus on obtient de running stones plus on augmente ses chances d’être tiré au sort. Voilà pour le concept.

Notons que cette fameuse License « by UTMB » accordée aux organisateurs de ces courses s’accompagne de critères/contraintes de qualités de services qui sont offerts aux participants. Ainsi : les organisateurs d’UltraTrails de la liste (bénéficient d’une forte promotion) les coureurs (qui bénéficient d’une qualité de prestation au top et des « running stones » pour le tirage au sort) et l’association UTMB Mont-Blanc (qui ne publie toujours pas ses comptes) : TOUT LE MONDE IL EST CONTENT !

Récit de course : enfin !

Jeudi 7 avril 2022 (veille du départ de la course)

J’arrive à l’aéroport de Trieste en Italie dans l’après midi. Un chauffeur (réservé via le site de l’organisation de la course) me conduit jusqu’à la petite cité balnéaire d’Umag. Il est 17 heures. Bon autant vous le dire, Umag c’est très moche. Cela ressemble à une de nos ville balnéaire construites à la hâte dans les années 60/70 chez nous (je ne citerais pas de noms). Mon hôtel (réservé via le site de l’organisation) est ultra moderne, il est situé à 3 kms du centre ville et du centre sportif. Dans ce dernier sont localisés à la fois la piste d’athlétisme sur laquelle figure l’arche d’arrivée de la course ainsi que la halle expo de remise des dossards. Je m’y hâte dès 17 heures pour prendre mon dossard et faire contrôler le matériel obligatoire (standard d’exigence correspondant à la licence UTMB cf. supra). Nous sommes très peu, il faut dire que sur la course 100 miles (dont le numéro de dossard est de couleur rouge) nous ne sommes que 245 inscrits (pour un numerus clausus fixé à plus de 500) et que nous ne serons que 185 à prendre le départ. Pour la première course de la toute première saison des « UTMB World Series » c’est ce qui peut s’appeler un flop. Mais c’est tant mieux pour les coureurs évidemment. Quel confort ! J’assiste à la présentation des élites dont notre français Alexandre (alias Casquette Verte qui terminera 8ièm) et je rencontre en chair et en os un correspondant Wa, Loïc J., avec lequel je corresponds depuis 2019 et qui terminera 21ièm.

Je file manger des pâtes dans un restaurant italien, et ce n’est pas bon.

Ensuite c’est direction l’hôtel pour préparer mon sac de change qui me sera restitué à mi-course et tout le matériel.

Dodo de qualité moyenne. C’est très médiocre, je me réveille fatigué.

Il est vendredi 8 avril 2022 au matin

Mes petits déjeuners à l’extérieur de mon domicile sont toujours les mêmes : scramble eggs, un thé, un peu de pain.

Je dois filer au plus vite au centre sportif pour laisser le sac de change qui me sera remis à mi-parcours. Il est 8h30, il fait déjà chaud. L’aller retour, à un rythme de marche rapide, fait 6 bornes. Cela peut sembler un peu insensé le jour de la course mais c’est ce que j’ai l’habitude de faire tous les matin après mon petit déjeuner à Paris. Il ne m’est pas possible de retourner travailler sans traverser le Palais Royal, Jardin des Tuileries, Concorde, et retour par le Palais Royal (soit 5 bornes de marche). Donc je conserve le même rythme le jour de la course dont le départ aura lieu l’après midi même si celle-ci fait 165 kms. Je dois faire vite car je suis en télétravail ce matin dans ma chambre d’hôtel au frais.

Il est prévu une conf call avec le directeur des gestions pour nous présenter un changement de process qui doit apporter transparence et simplicité. Et ce qui répond à cette définition doit pouvoir être présenté en moins de 30 minutes, c’est d’ailleurs le slot qui est prévu dans les agenda de tous les membres de l’équipe à laquelle j’appartiens.

C’est ainsi qu’après 2h30 de conf call il ne me reste plus beaucoup de temps pour terminer mes tâches opérationnelles de la journée. Je ferme l’ordinateur à 12h30, je troque ma chemise pour ma panoplie de traileur couleur Schtroumpf en clin d’œil (et ce n’est pas une blague) à la Squadra Azzura, eu égard à mes origines transalpines ainsi qu’à la passion que portent les membres de ma famille au football.

J’ai donc 3 kms à faire à pied, je m’arrête en chemin dans le même restaurant italien pour manger un plat de tagliatelles au beurre bien dégoulinant. Oui, on peut le dire, la nourriture ici c’est un drame, même pour un plat de pâtes au beurre.

14h30 départ du bus qui nous mène au départ de la course à Labin aux antipodes d’Umag. Le parcours de l’Istria 100 ressemble à une grande diagonale traversant de part en part la presqu’île. Le voyage en bus va durer presque 1h30. Je suis toujours impressionné quand je vois ce que nous arpentons en bus par l’idée qu’il va falloir faire le chemin inverse, à pied, et avec du dénivelé qui plus est ! On a envie de dire au conducteur de ne pas aller aussi loin car nous, les runners, on va devoir tout se refaire dans le sens inverse en passant par la montagne. Nous commençons à emprunter des lacets qui me brassent un peu l’estomac. Et là je pense à ma fille 4 ans qui, impatiente d’arriver à destination quelle qu’elle soit (jardin public, cabinet du médecin, station de métro etc..) a pour habitude systématiquement d’user de l’expression « On arrive à quelle heure ? ». Et bien cela sera 16h, soit 1 heure avant le départ effectif.

Le village de Labin est haut perché sur un rocher (et cela sera une constante pour tous les villages que nous allons traverser durant la course), avec un surprenant puits de mines en périphérie.

Nous attendons 1 heure et il fait assez froid à Labin. Le ciel est couvert, aucun rayon de soleil.

le départ d’une course de quartier

17 heures : Top départ

Et l’on commence par une bonne descente. On part vite, trop vite. J’ai les jambes un peu flageolantes. Le sentier est jonché de grosses pierres. C’est assez technique mais mes SpeedGoats EVO sont vraiment exceptionnelles sur ce type de terrains. J’attaque par le talon et l’amorti de la chaussure fait le reste.

On sent que le climat va être assez menaçant. Il était temps que l’on se mette en mouvement car la température baisse assez vite.

Ravito 1 : Plomin km 15.5 / D+ cumul 486 / 1h45 depuis le départ / 75ièm au clt.

Il est 18h45. Nous sommes redescendus au niveau de la mer. Il s’agit d’un port industriel. Le vent vient de se lever. J’ai besoin de boire car je pars toujours les flasques vides. Toujours le même rituel de boire 3 gobelets de coca. Je remplis mes flasques, prend une banane et c’est reparti.

Nous avons une côte de 700 mètres de D+ qui nous attend. Franchement cela va me faire du bien, les montées quand on est un peu fatigué, et bien moi je trouve cela reposant. Le paysage est sec, de la garrigue.

Le vent souffle de plus en plus fort. De plus en plus menaçant, des volutes de brouillards commencent à freiner l’ascension. Je suis toujours en T-Shirt et il va falloir penser à mettre la Gore Tex. Nous sommes entre chien et loup et le vent commence à donner des coups de gifles et, ce n’était pas prévu il y a même quelques petites gouttes de pluie. Franchement ce n’est pas une partie de plaisir. J’en profite pour mettre tout de suite la frontale.

La descente en direction du ravito suivant se fait alors de nuit. J’aperçois en contrebas des lumières entourant une grande surface noire. Qu’est-ce que c’est que cette plaine noire ? Je croise déjà un coureur qui me dit qu' »il est flat ». Déjà. La descente est très technique sous les arbres qui semblent être des pins. Zut, la pluie commence à se faire sentir. Un coureur me croise, on s’arrête tous les deux en même temps. Moi c’est pour mettre mon pantalon imperméable, lui c’est pour changer sa frontale qui est en panne. Il me demande de l’éclairer. Merci la liste du matériel obligatoire de l’UTMB qui requiert deux frontales ! Il est italien et doit avoir au moins 60 ans. Il me dit qu’il est en peine car il n’a pas de batterie de rechange pour sa deuxième frontale alors qu’il anticipe de passer une deuxième nuit sur le parcours. Las, le matériel obligatoire impose bien d’avoir également une batterie supplémentaire pour chacune des 2 frontales ce qu’il n’a, semble-t-il, pas compris ou respecté. Je ne peux rien pour lui car si je lui prêtais ma Misti (ma lampe BU) il ne pourrait pas l’utiliser car elle requiert un unique serre-tête que je me dois de conserver sur la tête pour mes 2 frontales. Je ne peux que lui conseiller lors de la deuxième nuit de suivre des coureurs et de rester dans leur sillage. Nous courrons un peu ensemble et je le laisse derrière moi.

Et tout d’un coup la délivrance et une surprise nous attend. Nous sommes au bord de la mer dans une magnifique cité médiévale. Quel cadeau ! Le parcours suit une ruelle longeant de très belles maisons datant au moins d’un siècle, le flot de la mer me berce. Il fait beaucoup plus chaud. A peine quelques piétons, nous félicitant. C’est très beau.

Ravito 2 : MOSCENICKA DRAGA km 35 / D+ cumul 1451 / 4h54 depuis le départ / 79ièm au clt.

Il est 21h54.

Toujours le même rituel, banane et trois verres de coca. Cela fait plaisir de voir du monde, et des bénévoles. Car depuis Plomin je cours pratiquement seul. Il y a un coureur sur un lit de camp, je crois que c’est terminé pour lui. Je prends quelques carrés de chocolat. La portion à venir est la plus difficile en terme de D+. Je dois me préparer à 1400 mètres de D+ one shot ! C’est la plus grande ascension de la course. Alors ce n’est quand même pas Le Catogne (1900 D+) de l’X-Alpine non plus mais quand même à ce stade de la course en pleine nuit j’appréhende un peu.

Et la pente devient très très raide. Mais comme dit plus haut, je monte en me reposant. Toujours en mettant un pied devant l’autre, je gagne en altitude et puis tout d’un coup le vent violent refait surface comme par magie. C’est très bruyant. Il commence à faire froid, la Gore Tex me protège. Mais cela se gâte. Le brouillard revient. Je suis seul et je ne sais plus ce qu’il se passe. Je ne perçois plus les rubalises qui me permettent de rester sur le parcours. Je ne sais plus quelle direction prendre, enveloppé par le brouillard. Je n’ai pas de montre avec le parcours téléchargé, la mienne ne me donne que l’heure (et elle le fait bien). J’ai une montée d’adrénaline qui coule dans mes veines, les pulsations montent. Vent violent qui fait du bruit, brouillard, je suis déjà perdu….hostile la nature non ? Je vais attendre quelques minutes avant qu’une lampe frontale vienne dans ma direction. Ce coureur a-t-il une montre GPS ? Bingo ! Je suis sa trace. Il n’est pas seul, nous allons être trois à poursuivre l’aventure. Cela continue de monter assez fort dans un sous bois de pins, puis plus rien. Nous sommes sur un chemin de crète balayé par le vent. Enfin, le sommet se signale par un panneau de randonneur. Nous commençons la descente en direction de Poklon. J’ai besoin de souffler un peu.

Ravito 3 : POKLON km 52 / D+ cumul 2883 / 8h38 depuis le départ / 76ièm au clt.

Il est 1h38 du matin.

Autant le dire je me sens rincé depuis le précédent ravito de Moscenicka Draga. Je ressens une fatigue, envie de dormir. Une sensation jamais ressentie dès la première nuit d’un Ultra. C’est surprenant pour moi. Sur le Tor il m’avait fallu attendre au moins deux nuits blanches pour me sentir fatigué (au sens d’envie de dormir). Cette sensation inédite je ne la comprends pas. N’ai-je pas assez dormi les nuits précédentes ? Bof, ni plus ni moins que d’habitude.

La descente qui suit, je ne m’en souviens plus vraiment.

Ravito 4 : BRGUDAC km 67 / D+ cumul 3117 / 10h48 depuis le départ / 73ièm au clt.

Il est 3h48 du matin.

Pas de grands souvenir de ce ravito si ce n’est qu’à la sortie lorsque je regarde le panneau qui figure dans tous les ravitos et qui indique le chemin qui reste à parcourir ainsi que le D+, je me dis qu’il reste à parcourir une TransAubrac à savoir environ 100 kms et 3400 de D+. Finalement ce n’est pas si difficile.

J’ai le souvenir que les sentiers qui suivent et que je fais de nuit sont principalement des chemins de 4*4 assez roulants. J’arrive relativement bien à relancer malgré cette fatigue qui m’est tombée dessus et dont je ne me débarrasserai finalement jamais. Je ne me souviens pas vraiment des quelques côtes que l’on doit surmonter et que je redécouvre en regardant ex-post le profil en rédigeant ces lignes.

Ravito 5 : TRSTENIK km 85 / D+ cumul 3884 / 14h08 depuis le départ / 61ièm au clt.

Il est 7h08 du matin.

Le petit jour. Au sortir de ce ravito je vais suivre une traileuse hyper forte et trapue, elle a plus de 55 ans au moins. Elle est impressionnante. On ne se parle pas, on est je pense elle comme moi complètement flingués. Le paysage que l’on traverse au levée du jour est magnifique et me fait penser au paysage provençale que l’on peut arpenter autour de la Montagne Sainte Victoire. Dommage qu’il n’y ait aucun rayon de soleil (la lumière est juste blanche) car c’est magnifique, sec, de la garrigue avec des herbes sèches couchées de couleur très claire (presque blanc comme de la neige). Je suis le sillage de la coureuse, elle semble plus en jambe que moi, je ne suis pas capable de prendre la relève. Nous allons nous suivre, nous croiser, enfin nous parler…jusqu’à 18 heures mais nous ne le savons pas encore.

Ravito 6 : BUZET km 99.9 / D+ cumul 4287 / 16h46 depuis le départ / 69ièm au clt.

Il est 9h46 du matin quand nous atterrissons sur la terre ferme de la petite ville de Buzet. C’est vraiment une étape importante, presque la délivrance car la nuit a été très dure. Le fait que cela soit un grand ravito, qu’il symbolise un peu la fin de la première partie de ce trail et notamment le fait de laisser derrière soi la majorité du D+ rassérène … même si c’est une illusion. Car le plus difficile est en fait à venir. Pour l’instant je profite des derniers hectomètres d’ici le ravito pour appeler ma femme, faire une vidéo pour mes proches sur Wa.

Toujours pas un seul rayon de soleil. Dans mon sac de change je retrouve mes brownies fait maison, des barres de blondies (toujours home made) que je déguste et découvre pour la première fois car c’était un peu la récompense que je me réservais si j’atteignais Buzet. Je déguste deux énormes plats de pâtes au beurre (des Penne) qui me rappellent mes ravitos du Tor des Géants (je ne prenais que cela en plat chaud). J’arrose cela de verres d’eau. Et c’est donc la panse bien remplie que je décide de repartir. Je pense être resté à ce ravito au moins 20 minutes.

Faisons le point :

Il reste la distance d’une SaintéLyon et avec le dénivelé d’une SaintéLyon, cela devrait le faire ça non ?

Oui mais…cela n’est pas si simple que cela.

Tout d’abord ce qui reste à courir va s’effectuer de jour (et donc avec une température plus élevée) et avec au préalable dans les jambes 100 kms et 3600 de D+ derrière soi. Donc, non les conditions ne sont pas vraiment les mêmes.

Je sors du ravito toujours habillé de mon pantalon imperméabilisé, je n’ai plus ma Gore Tex. Et puis très vite le soleil fait son apparition, comme par enchantement alors que cela n’était pas vraiment prévu par la météo.

Je vais être assez vite assommé par la température et le soleil. Je dois impérativement ressortir mes lunettes de soleil que je ne pensais pas remettre, je dois me couvrir tout ce qui dépasse autour du visage : les oreilles et la nuque. Mettre de l’écran total sur tout le reste car je sais que je risque de cramer. Cette matinée est assez difficile et les deux ascensions qui suivent sont pour moi harassantes. Je vais me laisser dépasser plusieurs fois. Ma vitesse ascensionnelle n’a jamais été aussi lente. J’ai l’impression de peser le poids d’un tank. Avec la coureuse slovène on commence à échanger quelques mots. Elle va courir l’UTMB cette année après s’être qualifiée sur une course très difficile dans le Val d’Aran. Sur la deuxième ascension on souffre tous les deux, on ne parle plus. J’ai toujours mon pantalon qui commence à me faire transpirer mais j’ai la flemme de m’arrêter et de l’enlever. Je continue même si cela m’incommode. Oui cela peut paraître étrange mais il faut savoir qu’après plus de 110 kms de course et presque 20 heures passées le moindre geste requiert des ressources que l’on n’a plus en réserve quitte à supporter une gêne. C’est une attitude irrationnelle mais assez classique sur un Ultra, enfin pour moi.

Lors de la deuxième deuxième descente on aperçoit en contrebas un énorme lac et un ravito là bas tout au bout. La température est probablement au dessus de 25 degrés. C’est quasiment insupportable. Cela cogne !

Ravito 7 : BUTONIGA km 117 / D+ cumul 5072 / 19h51 depuis le départ / 54ièm au clt.

Il est midi 51 minutes.

Franchement je n’ai pas envie de rester trop longtemps au ravito. Je décampe vite fait. Il fait trop chaud. Je continue le long d’une rivière et je fais le constat que je suis complètement rincé, totalement vidé d’énergie. Je me traîne, incapable de relancer. Je mets un pied devant l’autre. Limite je jardine. Je m’arrête enfin pour enlever mon pantalon imperméable que j’avais conservé jusqu’alors. Oui je sais c’était déjà très inconfortable depuis au moins 2 heures. J’ai perdu ma slovène. Je suis au fond du trou à ce moment là de la course, le moral est au plus bas. Il reste sur le profil de course encore 4 bosses d’environ 400 mètres à peine de D+ chacune. Je cuis littéralement sous le soleil, je suis très loin de me douter que dans moins de 4 heures … se prépare une tempête de grêle.

Il y a deux ascensions. Elles se terminent de mémoire par deux très beaux jolies villages. Au vue des boutiques et restaurants que l’on longe je comprends que la grande spécialité locale est la truffe. Le long d’une magnifique terrasse de restaurant on en hume l’odeur qui s’exhale des assiettes des clients. Je ne peux goûter mais cela semble être une tuerie ! Finalement on doit bien manger ici.

Nous savons depuis quelques jours qu’il est prévu de la pluie en fin de journée sur le parcours, c’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’avais déjà endossé ma panoplie anti-pluie dès la première nuit. Ce qui n’était pas prévu c’était le plein cagnard de début d’après midi. J’avais même hésité à prendre la crème solaire pensant qu’elle était inutile. Le ciel s’obscurcit assez nettement, le vent violent est de retour lorsque j’arrive sur cette longue route bitumée me conduisant à Livade, huitième ravito.

Ravito 8 : LIVADE km 132 / D+ cumul 5722 / 22h36 depuis le départ / 49ièm au clt.

Il est 15h36.

Il commence à faire très froid tout d’un coup. Je remets tout mon équipement anti-pluie du pantalon à la Gore Tex, je mets immédiatement la capuche. La température a probablement chuté d’environ 10 degrés. On se caille grave.

Dans l’ascension du col on aperçoit des nuages noirs comme de l’encre qui viennent dans notre direction. C’est comme dans un film, la noirceur des nuages ferait presque penser au champignon atomique. Le vent commence à être très violent. Nous atteignons le sommet où la violence du vent nous empêche de courir. Il faut lutter pour pouvoir avancer. Et soudain on sent des gouttes…non ce ne sont pas des gouttes de pluie, mais de la grêle. Et c’est la tempête. J’ai hâte que l’on redescende le plus vite possible pour être à l’abri au moins du vent. J’ai la trouille de me prendre une tuile sur la tête lorsque l’on longe quelques bâtiments en ruine. Le chemin de la descente n’est pas très technique. Et pour se prémunir du froid et du vent autant courir le plus vite possible. Face à l’adversité je retrouve mes jambes, l’adrénaline vient de couler dans mes veines, les pulsations cardiaques montent en flèche. La température doit être en dessous de 10 degrés. Et bien le froid me fait courir comme un lapin. La grêle se transforme en une forte pluie balayée par le vent. Cela commence à bien m’angoisser car ma grande crainte est d’être mouillé et de finir sous une tente (de la croix rouge) pour cause d’hypothermie. La toute dernière bosse se fait dans cette angoisse. J’ai également endossé mes gants de ski avec une double protection en Gore Tex. Je ne les quitterai plus jusqu’à l’arrivée. Cela me donne un style de boxeur runner mais c’est pour moi le seul moyen de rester au sec. Et j’arrive en toute fin d’après-midi dans l’avant dernier ravito dans un magnifique village en pleine tornade qui doit probablement être charmant et magnifique quand il fait beau. Il s’agit de Groznjan : hyper typique du pays mais je n’ai qu’une envie : quitter cet enfer et en finir.

Ravito 9 : GROZNJAN km 148 / D+ cumul 6426 / 25h13 depuis le départ / 48ièm au clt.

Il est 18h13 quand je pénètre dans la tente. Le vent souffle tellement qu’il crée un bruit d’enfer sur les bâches. Dehors il pleut des cordes. Donc loin d’être un refuge je trouve que l’endroit est dangereux. Moi cela me fout la trouille. Et si les pylônes qui soutiennent les bâches n’étaient pas assez solides et se détachaient. On se prendrait la structure sur nous et on serait blessé. J’imagine les gros titres dans le journal local du lendemain : « une tempête fait s’effondrer une tente de ravitaillement sur les personnes abritées, plusieurs blessés ! ».

Je prends mes jambes à mon cou et préfère affronter la tempête de vent et pluie plutôt que de me prendre un pylône sur la tête. Je me colle à la roue d’un autre coureur. Je sais qu’il n’y a que 7 kms d’ici le prochain ravito et que le parcours est en légère descente jusqu’au prochain bourg. J’ai légèrement froid avec mon T-Shirt recouvert de ma Gore Tex de Mickey (super légère en Shake Dry qui ressemble à un sac poubelle). Je n’ai pas le choix : pour me réchauffer il faut que je cours, et vite.

Or je vais vivre les 45 minutes les plus intenses de cet Ultra. Nous sommes 3 ou 4 coureurs à envoyer du lourd sur un chemin de 4*4. Nous allons nous relayer pour courir assez vite et de manière assez intense comme si une meute de chiens était à nos trousses. Cela requiert pas mal de concentration et d’attention pour ne pas faiblir, ne pas craquer et ne pas lâcher. L’effort est intense. Et à un moment donné le parcours emprunte un single track dans la bruyère, on ne peut vraiment courir car il y a de nombreuses pierres. Et c’est tant mieux car je commençais à lâcher prise. Je me retrouve seul, lâché par deux autres coureurs qui faisaient partie des formats plus courts (et non de la 100 miles) dont le départ était plus en aval. Enfin on arrive dans un autre village Buje. Mais la pluie et le vent sont toujours de la partie, la luminosité a fortement baissé. Il est aux alentours de 19h30… et je cherche la signalétique pour arriver au ravito. Et ce ravito je vais passer à côté de lui sans m’en rendre compte. Je ne serai pas pointé. Je me retrouve sur la route bitumée en descente et toujours pas de ravito. Je m’inquiète, mais il est où ce ravito ? Zut je ne vais pas être pointé, je vais être éliminé ! Je ne vais quand même pas revenir sur mes pas et refaire 500 mètres. En fait à ce moment là je me raisonne en me disant que le ravito a probablement été supprimé d’autant que je ne comprends pas l’intérêt d’en mettre un 7 kms seulement après le précédent. Donc je continue plutôt confiant.

La pluie s’est arrêtée mais le terrain, très boueux, est un vrai chantier. Il reste environ 10 bornes qui me semblent interminables. Il faut très souvent s’arrêter pour éviter de patauger. Manifestement c’était le déluge quelques heures plus tôt. La nuit tombe. Il reste une TREEEEES longue ligne droite dans la boue jusqu’à ce qui semble être des lumières de lampadaires de notre ville d’arrivée, Umag. C’est interminable, combien de temps reste-t-il. « On arrive à quelle heure ? » me dirait ma fille de 4 ans. Je dois zigzaguer entre les mares de boue. Parfois on n’a pas le choix et les chaussures pèsent des tonnes car complètement encastrées par de la boue qui cimentent les semelles. C’est atroce. Enfin j’arrive sur le bitume d’Umag à quelques centaines de mètres de la piste d’athlétisme de la délivrance, je prends mon temps pour frotter mes semelles crottées contre le trottoir. Et à ce moment un coureur me dépose d’un coup d’un seul comme une fusée là dans les derniers hectomètres ! Quel manque de civilité, alors que j’ai été sa locomotive dans les 10 derniers kms.

Il se remet à pleuvoir quelques gouttes au moment où j’arrive sur la piste en tartan du terrain d’athlétisme. Je franchis la ligne.

40 ièm finisher de cet « Istria one hundred miles ». Il est 20h48. Une seule envie : me doucher.

En quelques chiffres la synthèse du résultat

  • Chrono : 27h48
  • Classement : 40 ièm parmi 185 partants =>> soit classement appartenant au 3ièm décile des coureurs au départ.
  • 125 finishers (taux d’abandon de 32%) donc 40/125 =>>soit classement appartenant au 4ièm décile des finishers.
  • Score ITRA : 582

Rideau, 7 jours plus tard il est prévu de courir les 105 kms de l’Ultra Trans Aubrac (pour le récit cliquer).

Merci

A ma femme qui m’a permis de vivre cette aventure.

A mes supporters : mon frère Fab, Sylvain et François toujours connectés sur LiveTrail.

Bravo à l’organisation et aux bénévoles : c’était au top et tout à fait d’un niveau de classe « by UTMB » bien sûr…

Tor des Géants 2021 : Finisher d’une incroyable aventure avec ses hauts et ses bas

Il s’est écoulé quelques jours depuis que je suis revenu de Courmayeur. Il n’est pas facile de rassembler les éléments disparates de souvenirs lorsque l’on n’a dormi que 5 heures en 5 jours surtout lorsque l’on connait le rôle clef du sommeil dans la mémorisation des faits. Ainsi lorsque je regarde le profil de course et le nom de tous les checkpoints je ne suis pas capable d’avoir une image en tête correspondant à toutes ces étapes. Ainsi je vais tenter de vous livrer un récit qui n’est certainement pas exempts d’approximations, d’erreurs ou même de souvenirs reconstruits. Néanmoins avant de vous livrer ma vision de ma course, faisons parler les chiffres qui eux sont des faits objectifs non sujets à modifications.

Les voici :

Données techniques de la course

  • Tor des Géants 330 : c’est le nom de la course depuis 2010
  • Kms réels selon données GPS précises : 349 kms
  • Dénivelés positifs et négatifs (c’est une boucle) : 30 800 mètres
  • Une barrière horaire finale à Courmayeur de 150 heures après le départ

La performance globale du peloton de coureurs

  • 712 coureurs
  • 431 finishers
  • soit un taux d’abandon de 40%

Ma course en quelques chiffres

  • Départ de Courmayeur à midi le dimanche 12 septembre 2021 en vague 2
  • Arrivée à Courmayeur à midi et 1 minute le vendredi 17 septembre 2021
  • Soit 120 heures et 1 minute de course
  • Classement : 117 ièm sur 431 finishers (soit 27%) sur 712 coureurs au départ (soit 16%)
  • Le mi-parcours symboliquement représenté par le pointage au refuge Coda a été passé le mardi 14 septembre à 11h50 soit presque 48 heures après le départ de Courmayeur.
  • Cumul du temps d’arrêt aux 6 Bases Vie : 20 heures (soit une moyenne de 3h20 dans chaque BV).

Voilà pour les chiffres bruts qui ne souffrent pas de défaut de mémoires, place au récit.

Samedi 11 septembre

C’est le jour du retrait des dossards ainsi que du fameux sac jaune flanqué du numéro qui nous permettra de faire transporter par l’organisation pas moins de 12 kgs de matériel, du moins en ce qui me concerne, de base vie en base vie (6 BV au total).

De retour à l’hôtel il me faut au moins une heure pour le préparer correctement et m’assurer que tout ce dont j’aurai besoin durant la course y figurera. Je termine mon sac de change et commet ma première erreur. Comme je n’ai plus de place dans ce sac de change jaune bourré à craquer je sacrifie les deuxièmes couches chaudes que je laisse dans ma valise qui restera à l’hôtel. Il ne m’en reste qu’une, celle que je garde dans mon sac à dos. Je n’ai donc plus de back up le cas échéant et cela me fera défaut. Ensuite c’est reparti pour 30 minutes de marche à pieds jusqu’à Dollone pour la dépose du sac de change.

De retour à Courmayeur je suis déjà bien fatigué d’autant que ce jour là le soleil tape sur le casque. Le soir c’est dîner en compagnie de Marc L. qui courra également le Tor le lendemain. Au menu de ce soir : deux plats de Tagliatelles absolument succulents qui font du bien au moral. Car il faut le dire, cette course j’en ai peur. Tellement peur que je n’arrive pas à trouver le sommeil, il est 1 heure du matin et je n’arrive pas à fermer l’œil. Rétrospectivement je me dis que j’avais bien raison d’avoir aussi peur.

Dimanche 12 septembre

Petit déjeuner à l’hôtel : scramble eggs et un thé. Je pensais faire une petite sieste à partir de 8h, las je suis trop fébrile, finalement je me rends au départ de la première vague de 350 coureurs prévue à 10 heures. Belle ambiance conviviale, c’est vraiment agréable les petits pelotons et de se hisser dans un public plutôt sporadique qui permet à chacun de voir le spectacle. Je retourne vite à l’hôtel un peu excité et incapable de me détendre. Je me change et arbore ma tenue de combat.

Check out à l’hôtel et je laisse ma grosse valise de voyage que je retrouverai, si tout va bien, le vendredi suivant. Et je me dirige à 11h30 en direction de mon sas de départ pour cette deuxième et dernière vague.

Me voyez vous en deuxième ligne ?

Midi tapante sous un soleil éclatant : top départ

A venir la Portion 1 : Courmayeur / Valgrisenche

  • 54 kms à parcourir
  • D+ : 4586
  • D- : 4287
  • Etape parcourue en 10 heures (9h59 pour être précis)

Cette première portion attaque par une montée du col d’Arp sous le cagnard. Je monte régulièrement, c’est le seule ascension où deux ou trois coureurs avec des bâtons remontent à mon niveau. Je peux dire que plus personne ne me dépassera sur toutes les ascensions de col à venir. C’est une de mes forces d’avoir une vitesse ascensionnelle plutôt au-dessus de la moyenne, je ne m’arrête jamais pour reprendre ma respiration, probablement en raison du fait de ne pas utiliser de bâtons, ce qui est exceptionnel au sein du peloton car tout autour de moi je ne vois que des coureurs pourvus de bâtons…

C’est déjà le drame

Suite à ce col s’ensuit une longue descente sur un chemin absolument pas technique et où je commets une erreur qui aurait pu me coûter très cher. Je chute et percute assez violemment le sol avec le genou et le haut du coude droit qui est en sang. Je fais un petit tonneau en roulant sur mon sac à dos. En me relevant le genou me fait un mal de chien. J’ai une très grosse frayeur : simple hématome ou blessure plus grave ? Y a-t-il de la casse ? Les premières foulées me font très mal et font monter mon « stressomètre » à un niveau élevé. Je me dis que c’est déjà le premier avertissement, et ceci dès la première descente, et qu’il faut que j’intègre : « ne pas courir comme un dératé dans les descentes, il n’y a rien à gagner ».

La montée vers le Passo Alto (ou Col du Haut Pas) est longue sur un sentier jonché de cailloux tout d’abord en sous bois. J’y croise de très nombreux randonneurs qui en descendent et qui félicitent les coureurs. Puis le cadre se fait beaucoup plus minéral, paysage lunaire avec des lacs. C’est magique et c’est pour ce type de paysage que je me suis inscrit au Tor.

La température commence à baisser à mesure que le soleil disparait, ça y est on a quitté le monde « civilisé » pour les grands espaces délaissés. J’atteins le col du Passo Alto (2860 mètres) à 18h30.

J’ai la pèche, profitons en car cela ne va pas durer, c’est une évidence dans un Ultra. Une petite descente dans un pierrier, pour ne pas dire un vrai chantier, où je ne brille guère, je me fais allégrement dépasser. Et mon genou est là pour me dire que je lui ai causé du tort. Donc je fais attention sur chaque appui. Et tout d’un coup j’entends une voix derrière moi : « Monsieur Molinaro Grégory ! », « je suis Vincent M. » Ce n’est pas vrai, c’est lui ! Il faut savoir que dans l’univers de l’Ultra il arrive que l’on communique sans ne s’être jamais rencontré en vrai, mais exclusivement via les réseaux sociaux (RS). Et Vincent M. fait partie de ces connaissances avec qui j’ai beaucoup échangées. La surprise vient du fait que j’ignorais qu’il courrait le Tor. C’est énorme ! On s’arrête ensemble au ravito de Promoud -magnifique point de vue à cette heure ci entre chien et loup -. On décide de repartir en même temps sans aucune concertation, chacun devant aller à son rythme. Mais finalement je lui prends la roue et reste derrière lui jusqu’au col Crosatie (2829 mètres). Il fait nuit. La montée est splendide, nous nous retournons et percevons les frontales des coureurs derrière nous en train de descendre le Passo Alto : moment de grâce. Il y en aura beaucoup d’autres. Il s’ensuit la descente sur la première BV de Valgrisenche. J’y pénètre seul à 22h59. Je décide après avoir récupéré mon sac jaune de manger – et toujours beaucoup – avant d’aller me coucher et tenter de dormir sur un lit de camp. Las, c’est juste un échec. Je perds mon temps, je m’énerve de le perdre car il y a quand même un chrono. Je décide de fermer mon sac, de le restituer et de repartir. Le moral baisse un peu après avoir si mal géré cet arrêt.

  • BILAN à la BV de Valgrisenche : Arrêt de 1 heure à la BV de Valgrisenche
  • Zéro dodo malgré une tentative d’assoupissement
  • Bien mangé et bien bu

A venir la Portion 2 : Valgrisenche / Cogne

  • 56 kms à parcourir
  • D+ : 5030
  • D- : 4897
  • Etape parcourue en 14 heures 24 minutes

C’est ce qui restera pour moi comme la plus belle des étapes. La plus dure aussi mais c’est également le cœur et le joyau de ce Tor (avis personnel). Cette portion est constituée de 3 gros et grands cols magnifiques. Le Col Fenêtre, le Col Entrelor et le Col du Loson. Je vais prendre un très grand plaisir à les gravir. La conjonction d’une nuit cristalline, d’une météo magnifique le jour en font une étape qui va rester gravée dans ma mémoire et demeurera mon plus grand souvenir de ce Tor (avec le Col Malatra bien sûr…). Cette étape est très simple : il suffit d’enchaîner 3 cols les uns après les autres, du plus simple au plus difficile pour respectivement : 1300 mètres de D+ (Col Fenêtre) / 1345 mètres de D+ (Col Entrelor) et 1871 mètres de D+ (Col du Loson) suivi ensuite de 1500 mètres de D- pour arriver à la BV de Cogne. J’attaque de nuit le Col Fenêtre sans grande difficulté, la nuit est magnifique, le haut de l’ascension est très minéral et technique mais je prends un grand plaisir. Il s’ensuit une descente sur Rhème notre Dame de 1209 D- où le refuge est fermé mais dont le ravitaillement organisé sous une tente nous permet de manger des pâtes comme cela sera la coutume pour 9 ravitos/10. J’attaque le Col Entrelor que je vais boucler en 2 heures exactement soit une vitesse ascensionnelle de 650 mètres/heure. Au milieu de l’ascension je vais ressentir une très vive émotion, celle procurée par le fait d’éteindre ma frontale pour contempler le ciel étoilé qui en quelques secondes révélera une voute superbe le temps que l’œil accommode. C’est magique et je me remémore ce qu’Yvan (le speaker aux lunettes vertes et à la grande barbe) nous a dit lors du départ : « regardez autour de vous avec les yeux d’un enfants ». Les larmes me coulent sur les joues car la conjonction de l’effort fourni pour grimper le col et la beauté du ciel qui s’éclaire d’étoiles une fois la lampe frontale éteinte me prend à la gorge.  Cette vive émotion va m’étreindre pendant plusieurs minutes. Et je dois quelque peu reprendre mes esprits dès que je remonte quelques coureurs pour ne pas qu’il s’inquiète de mon état qui pourrait suggérer que je suis souffrant (alors que je plane). Les derniers centaines de mètres de dénivelés vont très vite me calmer car la pente d’Entrelor devient hyper technique – « droit dans le pentu » – à un point tel que nous sommes obligés d’être à 4 pattes pour arriver au sommet. Je n’ai jamais connu une ascension aussi raide dans les derniers hectomètres. Le Catogne ou Orny peuvent aller se rhabiller (cf. l’X-Alpine)… Il s’ensuit une magnifique descente au levé du soleil où nous longeons un ou des lacs.

J’arrive au ravito d’Eaux Rousses sur les coups de 7h45. Il y fait chaud sous cette tente, j’y rejoins Marc L. (parti lors de la première vague). Je prends mon temps : messages Wa avec ma tribu de supporters, coup de fil à ma femme, avec un bon bouillon de pâtes. Il est temps de repartir pour le troisième col avec 1871 mètres de D+ (le Col du Loson). Et finalement ce dernier col dépassera en difficulté le Col Entrelor surtout que nous allons en grimper les derniers hectomètres en plein cagnard. Le début de la montée est magnifique et se fait en pente dans une forêt de sapin. Très vite le paysage se fait beaucoup plus alpin et minéral, le passage dans les alpages est assez rapide et on attaque la partie minérale qui est la plus abrupte. Le soleil tape et brûle dès 11 heures : crème solaire XXL + lunettes de glacier + visière de casquette. J’utilise tous les dispositifs pour me protéger du soleil qui n’est pas mon ami. Je dois passer le col sur les coups de midi je pense.

Il s’ensuit une extraordinaire descente qui me fait contempler un des plus beaux panoramas que j’ai en mémoire de ce Tor. Je regrette amèrement de ne pas avoir pris plus de photos car la configuration météorologique en fait un cadre somptueux qui n’est pas sans me faire penser au désert de la Namibie dans sa partie minérale. Je pointe au refuge Vitterio Sella à 12h47 où je me fais prendre en photo par un couple de retraités français qui attendent le passage de leur fille.

Je m’arrête au refuge pour prendre et reprendre un bon plat de pâtes, toujours des pennes blancs (sans sauce tomates). Puis il reste encore 1300 mètres de D- d’ici la BV de Cogne, une descente interminable.

Et lorsque l’on entraperçoit Cogne dans la vallée, on se rend compte qu’il ne s’agit pas de Cogne (mais d’une autre commune) et qu’il reste encore près de 4 kms sur le plat… Il fait très chaud, cela cogne sur le casque (oui c’est facile à trouver mais à ce moment de la course on a déjà les capacités cognitives très réduites). A la BV de Cogne, je vais voir un médecin pour soigner ma plaie au-dessus du coude qui s’est infectée, il me demande de prendre une douche (ah je n’avais pas prévu ça !), je prends une douche qui fait un bien fou finalement, je remets le même maillot (je n’ai pas envie de faire trop de bruit en sortant tous mes sachets en plastique ziploc du sac jaune dans la salle de repos dans laquelle je suis stationnée). Je fais une tentative pour m’allonger sur un lit de camp, je perds un temps dingue à dérouler mon sac de couchage Millet, ainsi qu’à remettre de l’ordre dans mon sac. Je m’allonge 30 minutes pour me rendre compte que je n’arriverai pas à dormir. Donc je me relève, je range une nouvelle fois mon sac. En bref je « jardine » : très belle expression qui désigne le fait de gesticuler tout à fait inutilement. C’est donc bien vexé que je ferme mon sac avec la conscience d’avoir bien perdu mon temps.

  • BILAN à la BV de Cogne :
  • Arrêt de 2 heures 30 minutes à la BV de Cogne
  • Zéro dodo malgré une tentative d’assoupissement
  • Bien mangé et bien bu
  • Moral : déçu donc pas vraiment au plus haut

A venir la Portion 3 : Cogne / Donnas

  • 46 kms à parcourir
  • D+ : 2626
  • D- : 3908
  • Etape parcourue en 11 heures 00 minutes

Il est 16h55 lorsque je quitte la BV. Au moins il ne fait plus trop chaud et la température va vite baisser. La montée est très lente jusqu’à la Fenêtre de Champorcher. Et encore de magnifiques lumières de coucher de soleil. Ce col est très singulier par le fait d’être traversé par un énorme poteau porteur de lignes à haute tension. Et franchement loin de dégrader le paysage cela lui confère un rendu très singulier de fin du monde, digne d’un roman d’anticipation, je ne sais pas pourquoi. Mais je ne dirais pas que c’est laid. Arrêt au refuge Sogno avec toujours un accueil royal : je prends des pâtes et encore des pâtes pour attaquer la fin du col qui sera finalement très rapide avec l’aide de la frontale car la nuit vient de nous tomber dessus. Je regrette de ne pas avoir pris des photos de cette ascension de col sur sa première partie : est-ce l’effet « ligne à haute tension considérée comme dégradant le paysage » ? Il fait désormais nuit et je sais qu’il me reste cette « interminable » descente vers Donnas située au point le plus bas de ce Tor (330 mètres d’altitude). C’est un peu décourageant de savoir qu’il faudra juste après remonter à 2800 mètres d’altitude. N’y pensons pas. Je cours seul sans avoir quiconque ni devant moi, ni derrière moi. J’arrive au refuge Dondena (ou Chardonney ?) juste après minuit et j’y rencontre plusieurs coureurs. Une question me taraude : dois je enfin essayer de dormir ? Je n’ai pas vraiment sommeil mais le fait de me retrouver dans un lit bien douillet devrait m’aider à y parvenir. L’accueil à l’italienne est génial dans ce refuge : un plat de pâtes, encore un autre… et je pose la question : est-ce que je peux dormir ? La gérante du refuge me dit qu’il n’y a pas de problème et me conduit dans une chambre où je suis seul : quel bonheur ! Des draps, des couvertures bien épaisses. Je vais dormir comme un loir. Elle me demande pour combien de temps. Je lui dis « 1 heure » ! C’est toujours un « gros box » de se changer, enlever ses chaussures, son pantalon long, mettre ma deuxième couche chaude avec capuche pour me sentir comme dans un cocon. Il me faut au moins 10 bonnes minutes pour me préparer à me coucher. Et une fois que je suis sous les chaudes couvertures, j’attends en fermant les yeux. 10 minutes ? Rien. 15 minutes ? Rien ne vient… je commence à stresser et mes pulses commencent à monter. Et je me pose la question : « qu’est ce que je fais là dans un lit ? » Finalement au bout de 50 minutes je me lève sans avoir dormi une seule minute. Comme il est difficile de devoir se rhabiller ! Ceci d’autant plus qu’une fois dans le couloir du refuge on ressent une froidure qui glace le corps. Je ne me suis pas reposé mais qu’est-ce que j’ai froid maintenant, voilà ce que j’ai gagné ! Grégo, bien joué ! J’ai bien perdu 1 heure sous un drap pour rien. La gérante est surprise de me revoir, je lui dis que je n’ai pas réussi à dormir et qu’il vaut mieux pour moi de repartir dans la nuit bien froide. Quel bonheur ! C’est reparti pour la descente sur Donnas en solo. Il s’écoule 2 ou 3 heures qui me semblent interminables.

Sur la voie romaine à Donnas

Finalement j’arrive à Donnas à 3h56 en ayant rejoint les coureurs que j’avais croisés au refuge précédent et qui m’avaient conseillé de dormir. Je vais retenter le coup de dormir… Ah ah ah, je ris jaune. Je vais encore jardiner dans cette BV encore quelques heures. Je vais encore jouer au personnage du roman picaresque « Grégo fait du trail » dans l’épisode intitulé « Grégo jardine dans la BV ». Qu’est-ce que je suis mal organisé, c’est juste pathétique. J’ouvre mon sac, il y a plein de matériel dedans et plein de sacs ziploc avec des habits, des batteries, des gels, je pourrais presque ouvrir un commerce. J’ai pourtant une feuille de procédure mais elle n’est pas vraiment adaptée. Je sors les batteries, il y a un spot dans la BV près du PC course pour les brancher, ce qui est remarquable de la part de l’organisation. A quoi bon d’avoir emmené sa batterie de recharge dans le sac de change jaune d’autant que je ne sais pas m’en servir ? Je vais d’abord me restaurer : plat de pâtes et encore un plat de pâtes. Je bois, je mange, je prends une douche et à cette heure là je suis tout seul dans les vestiaires. Et si je décidais de dérouler mon sac de couchage ? Je vais tenter un dodo qui ne viendra pas, comme d’habitude. Un léger assoupissement, en fait j’ignore si j’ai vraiment perdu conscience. J’en ai marre, je décide de tout ranger dans mon sac et de repartir. C’est assez pathétique, je refais mon sac trois ou quatre fois, il tombe en se vidant presque complètement par terre. Je n’ose pas regarder autour de moi de peur de croiser un regard narquois se gargarisant de me voir aussi maladroit. J’ai l’impression d’être un personnage d’un film de Jacques Tati.

Encore du temps de perdu alors que le chrono s’égrène toujours au même rythme. Mais qu’est-ce que je fous là ?

  • BILAN à la BV de Donnas :
  • Arrêt de 2 heures 40 minutes à la BV de Donnas
  • Quelques minutes de dodo non identifiées ? Je n’en sais trop rien.
  • Bien lavé (douche), bien mangé et bien bu
  • Moral : il remonte surtout après avoir pris un cappuccino à Donnas

A venir la Portion 4 : Donnas / Gressoney

  • 57 kms à parcourir
  • D+ : 6058
  • D- : 5027
  • Etape parcourue en 18 heures 40 minutes

Je traverse Donnas sur les coups de 6h45 du matin et j’aperçois à un rond point un bus dont le panneau lumineux au dessus du parebrise du conducteur indique la direction de Gressoney. Pourquoi ne pas le prendre et m’éviter tout ce dénivelé et toutes ces heures de course ? La ville « industrielle » (?) qui n’est pas très belle s’éveille. Et là j’aperçois une lumière au bout du tunnel. Un café !!!! Un café ouvert !!! Une envie de prendre un cappuccino envahit tout mon être ! J’entre dans ce café comme si j’ouvrais une parenthèse dans cette course, un moment de liberté à moi, que je m’accorde. J’entre, mets mon masque et arrive au comptoir. Tout de suite les personnes attablées fixent le regard sur moi, sur mon dossard. Une italienne d’un certain âge me demande si c’est difficile. Je ne vous le fais pas dire ! Je commande un cappuccino que la dame aura l’amabilité de m’offrir en passant le message à la gérante derrière son comptoir. Je la remercie chaudement. Elle me laisse tranquille sans me poser plus de questions. Elle comprend mon besoin d’isolement pour déguster seul mon breuvage. 5 minutes hors du temps, hors de la course. Je repars avec des ailes. Je suis seul pour toute l’ascension à venir en direction du refuge de Coda qui figurera la moitié du parcours de ce Tor. Je ferai l’ascension tête baissée. Les derniers hectomètres pour atteindre le refuge sont très alpins, mais le temps se couvre très méchamment, on aperçoit des volutes de nuages très très vilains annonciateurs de brouillard et de perturbations. J’arrive au refuge sur les coups de 11h45 ce mardi. C’est la mi-parcours de ce Tor et je suis en course depuis exactement 48 heures (rappel : je suis parti dimanche à midi). Une tente a été installée le long du refuge de Coda, on se gèle grave car il y a un méchant courant d’air qui passe dans la tente. Je commande un bon bouillon de pâte et encore un autre pour me réchauffer. J’ai du mal à décoller, les 7 à 8 coureurs qui étaient là quand je suis arrivé sont déjà partis et moi je suis scotché à mon banc telle une moule à son rocher. Il faut se faire violence, de toutes façons je me gèle donc il faut se mettre en route pour se réchauffer. Le chemin est encore long d’ici la BV de Gressoney et le soleil a disparu. L’après midi va être très compliquée, je le sens. Et une heure plus tard, le sommeil – tant attendu – me tombe dessus d’un coup d’un seul durant la suite de mon périple. Enfin, je suis flingué ! Le sommeil se déploie et s’abat sur moi finalement après 48 heures de course. Au moins c’est toujours ça d’appris, c’est une bonne leçon, « attendre d’avoir bien sommeil avant de vouloir aller se coucher ». Les heures qui suivent sont un vrai chemin de croix car je dois lutter contre des paupières qui tombent. J’ai une démarche d’ivrogne qui titube, je me prends des cailloux. Je vois un épouvantail, une sorcière sur le bord du sentier. Tiens donc ! Enfin les hallucinations dont j’ai tant entendu parler, je n’avais jamais expérimenté cette sensation. Au moins c’est fait, la case est cochée. OK je comprends mieux de quoi il s’agit quand on évoque des hallucinations quand on est très fatigué et que l’on n’a pas dormi depuis plus de 50 heures. Le champs de vision est rétréci, et en périphérie le cerveau projette des images sur les éléments qu’il perçoit ; gros cailloux, grosses pierres. L’image prend forme comme si un projecteur formait l’image sur un support (comme des cailloux) telles les images projetées lors de la fête des lumières de Lyon. L’image formée n’apparaît que quelques dixièmes de secondes en périphérie du champs de vision et dès que l’on tourne la tête pour voir l’image dans l’axe des yeux, alors la représentation disparait. C’est assez divertissant, parfois cela fout un peu la trouille, car autant le dire la méchante sorcière ne faisait preuve d’aucune bienveillance à mon égard !

Dans ma marche de macchabée j’ai pour objectif de dormir dans le prochain refuge : le refuge della Barma. Je vais y rester presque 2 heures. Et autant vous le dire tout de suite : je ne vais pas encore réussir à dormir mais je vais bien m’y refroidir encore et encore. Je mange très bien dans ce refuge, encore un bouillon avec des pâtes et encore un bouillon. En fait j’ai l’impression que le fait de manger me requinque bien plus qu’une petite sieste. Néanmoins je demande une chambre, c’est encore tout un cinéma pour me déshabiller, je ne peux pas mettre ma couche chaude qui est mouillée (j’ai évoqué l’erreur de n’avoir qu’une seule couche chaude ayant laissé les autres à l’hôtel, c’est stupide). Je décide de me coucher uniquement avec mon T-Shirt. J’ai un peu froid, il y a quelqu’un dans la chambre qui a la chance de bien ronfler. Je vais fermer les yeux, m’assoupir, mais je n’arrive pas à dormir. Au bout de quelques dizaines de minutes je décide de me rhabiller. J’ai froid, je vais vite dans la salle de vie qui est chauffée. Je décide de repartir, tout penaud et le moral en berne de n’avoir pas encore réussi à dormir alors que j’étais complètement flingué en entrant. Tant pis. C’est reparti, je suis bien isolé mais au-delà de cela je me sens tout petit, pas vraiment à ma place, je me sens amateur sur cette course, inexpérimenté, imposteur. Je n’ai plus vraiment de souvenirs de ce qui se passe ensuite. Je crois que je passe le col du Loup en étant tiré par deux coureurs « père et fils » qui enchaînent la PTL et le Tor. Et puis ensuite je me retrouve seul encore pour la descente de nuit vers le refuge de Niel. J’ai vraiment un trou de mémoire de plusieurs heures. Premier souvenir : je vois un panneau qui indique « La Grubba dans 15 minutes ». Il s’agit de l’établissement qui est dans le refuge de Niel. Attention cela va être « the REFUGE » nec plus ultra de ce Tor. Et celui-là on ne peut pas l’oublier. Cela va me remonter comme un coucou. J’arrive au refuge Niel à 21h42. Une ambiance d’enfer attend les coureurs ! Tout d’abord cela ne ressemble pas à un refuge mais à la véranda d’un restaurant grand luxe. Je suis accueilli comme un roi par un bénévole qui est aux petits soins avec moi. Il me demande tout ce dont j’ai besoin, il me sert la meilleure polenta de tout le parcours du Tor. C’est juste incroyable. Une ambiance de folie car les bénévoles en nombre supérieur à celui des coureurs à ce moment là nous encouragent comme si nous étions des stars du foot. C’est donc complètement requinqué que j’attaque l’ascension qui vient tout en téléphonant à ma femme. C’est un grand moment. Je monte assez vite comme si j’avais des turbo réacteurs aux fesses. Tout ça pour arriver à Gressoney à 2 heures du matin avec une pèche d’enfer. Dans cette BV les bénévoles sont en nombre supérieur aux coureurs présents. A noter que l’on croise les coureurs du Tor des Glaciers dont les sacs de change de couleur bleue sont entassés sur l’estrade de la salle principale. Je prends la décision de me faire traiter mes ampoules par une masseuse. On me dit de revenir dans 20 minutes…pfuiii qu’est-ce que je vais faire pendant 20 minutes, se rendent ils compte que nous participons à une course avec un chrono ? Je reviens 20 minutes plus tard, or c’est trop tôt, encore 20 minutes d’attentes. Je perds mon temps et cela me stresse. Finalement une masseuse s’occupera de moi. Je suis à deux doigts de m’endormir sur la table de massage. Je suis surpris du soin qu’elle apporte à mes ampoules. Elle les enroule comme pour les momifier avec un strappe qui recouvre la quasi intégralité de mes deux pieds. Mais ce n’est pas vraiment ce que j’ai demandé. J’ai l’impression d’être une jeune fille chinoise dont on a enrubanné les pieds. Bon je décide de lui faire confiance et vais conserver mes pieds sous bandage pendant quelque temps, on verra bien. Je décide ensuite de déployer mon sac à de couchage sur l’estrade juste derrière les sacs de change du Tor des Glaciers. Le sol est un peu dur mais nous sommes 5 ou 6 coureurs à préférer cet endroit plutôt que la salle des lits de camps. Je vais réussir à m’assoupir…un peu. Je ne suis pas certain de perdre vraiment conscience et de tomber dans un sommeil profond. J’ai néanmoins l’impression de bien me reposer. Il est temps de repartir au petit matin. Il est alors 6h15.

  • BILAN à la BV de Gressoney
  • Arrêt de 4 heures 15 minutes à la BV de Gressoney
  • 1 heure de dodo il me semble mais ce n’est pas sûr
  • Bien lavé, bien mangé et bien bu
  • Bien pris soin de moi via une podologue qui m’a complètement enrubanné mes deux pieds !
  • Moral : il remonte un peu

A venir la Portion 5 : Gressoney / Valtournenche

  • 35 kms à parcourir
  • D+ : 3247
  • D- : 3119
  • Etape parcourue en 9 heures 30 minutes

Je traverse Gressoney au petit matin et n’ai plus vraiment de souvenir de ce à quoi ressemble cette bourgade. Ma mémoire est embrumée, je confonds avec la traversée de Donnas car elle a eu lieu à la même heure. Sur une partie de la montée je suis au niveau de deux coureurs du Tor des Glaciers dont le parcours de Gressoney à Oyace est exactement le même que celui du Tor des Géants. Ils sont partis le vendredi soir et ils me disent n’avoir dormi que 2 heures depuis. Ils ne semblent pas particulièrement convaincus de la beauté du parcours par rapport à celui du Tor des Géants (qu’ils connaissent car c’est le prérequis pour s’aligner sur les 450 kms des Glaciers). Mais tout d’un coup l’itinéraire que nous empruntons traverse une petite bourgade que je suis certain d’avoir traversé la veille au milieu de la nuit, j’ai une terrible angoisse de suivre des coureurs qui ne sont pas sur le même parcours que moi. J’ai l’impression d’avoir perdu la bonne trace pour me retrouver sur celle de la veille à rebours. Je leur dis que nous sommes perdus, que nous ne sommes pas sur la bonne trace et qu’il faut appeler le PC Course ! En fait je m’affole pour rien, nous sommes bien sur la bonne trace et le bourg que nous traversons bien que semblable à celui traversé la veille est bien inédit. Gros ouf de soulagement qui suit une forte montée d’adrénaline. Je n’ai aucun souvenir du col que je monte ensuite. En revanche, mes pieds qui ont été momifiés commencent à me faire mal. Je décide lors d’un arrêt au stand d’enlever tous ces sparadraps qui serrent et bloquent la circulation de mes pieds. Enfin c’est la libération, les ôter était la bonne solution. C’était une drôle d’idée de les momifier de la part de la podologue. Ma mémoire se rebranche à partir de la petite station de ski de Champoluc : élément singulier, le soleil est radieux ! Je me sens bien mieux. Et je fais une nouvelle pause dans un café pour prendre un cappuccino. Et rebelotte, une cliente me demande si cela va, me pose quelques questions et va m’offrir également le cappuccino. Je suis très surpris par cette bienveillance de la part du public. C’est juste énorme.

Je pointe au ravito de Champoluc à 10h50. Le moral est revenu au beau fixe.

J’appelle ma femme en faisant un tintamarre pas possible sur la seule table exposée à l’extérieur, je suis très discourtois et mal élevé, mais nous ne sommes que deux coureurs attablés. En fait une certaine euphorie s’empare de moi désinhibant mon aptitude à respecter les normes sociales. Je ne m’en apercevrai que beaucoup plus tard rétrospectivement. Je continue seul la montée à venir, je suis assez euphorique malgré le soleil qui disparaît. Je vais même partager ce moment d’euphorie avec mes supporters sur Wa ainsi que le bénévole du refuge du Grand Tournalin (avec un N et non un M !).

Je sais que le prochain Col s’intitule le Col de Nannaz et je dis à mon ami transalpin que la signification de ce terme phonétiquement en français a une signification assez amusante. Il ne comprend pas tout de suite ma remarque – il faut le dire pas très profonde – mais vu mes capacités cognitives du moment je ne peux pas faire plus spirituel. Et dès qu’il comprend ma référence il rit comme une baleine. C’est parti pour le col de Nannaz, j’ai le temps de faire des photos.

Tout va bien pour quelque temps encore. En effet les éléments vont très vite se dégrader… Une de mes citations préférées en Ultra est la suivante : « Tu te sens euphorique, ne t’inquiète pas, cela ne va pas durer longtemps ». Et celle-ci va se mettre en œuvre dans les heures qui suivent. Je vais la vivre dans ma chaire assez durement. La nuit qui vient va devenir un enfer pour moi où je vais toucher le fond.

L’enfer s’abat sur mon Tor :

Un violent orage s’abat sur moi dans la descente de Valtournenche. Je n’ai vraiment pas de bol, je suis à environ 30 minutes de la BV de Valtournenche que des seaux d’eau s’abattent sur ma tête. Je me change très vite pour mettre mon pantalon imperméabilisé, ma troisième couche Gore Tex, mes gants imperméabilisés. Je suis dans un cingle en pente qui se transforme très vite en un torrent de boue.  J’arrive complètement détrempé à Valtournenche à 15h45 dont la salle principale de restauration a le sol détrempé. Franchement quel accueil, humide ! En revanche il y a une très grande salle de spectacle avec des sièges comme au théâtre et une très grande salle de gymnase pour dormir. Je vais passer dans cette BV pas moins de 5 heures. Pourquoi ? Parce que les conditions météorologiques demeurent mauvaises jusqu’en début de soirée et que je me sens déjà rincé. J’ai une trouille bleue de ce qui m’attend et prends la décision de rester et de camper ici tant que les conditions météo ne se seront pas améliorées. D’ici là c’est douche, jardinage, j’ignore si je vais montrer mes bobos au masseur (j’ai oublié), et je vais m’allonger sur un matelas de gymnastique avec mon sac de couchage car c’est bien plus confortable que les lits de camps. Je crois que j’arrive à dormir au moins 1 heure.

Je ressors de cette salle pour aller me restaurer à 19 heures à côté d’une femme des pays de l’est qui me dit qu’elle « adore cette course » et qu’elle « ira directement à Courmayeur sans s’arrêter à Ollomont ». Il y a un côté un peu esbrouffe ou surenchère dans sa manière de me parler. Elle est surexcitée, je prendrais bien les mêmes cachets qu’elle. Elle me scie vraiment la nana, une vraie warrior des forces spéciales du KGB alors que moi je suis une poule mouillée à côté. Cela dit je n’arrive pas à identifier aujourd’hui son nom parmi les finishers. Quant à moi je continue à jardiner dans cette BV d’autant qu’il continue un peu de pleuvoir. Bref je suis une vraie mauviette. « Chat échaudé qui craint l’eau froide » : une expression qui me va comme un gant.  Et puis au bout d’un moment l’ennui me prend et je décide d’y aller car il faut bien y aller un jour… Je quitte cette BV à 21h23 : l’enfer ne fait que commencer.

  • BILAN à la BV de Valtournenche
  • Arrêt de 5 heures 40 minutes à la BV de Valtournenche
  • 2 heure de dodo ? Il me semble mais cela n’est pas certain
  • Bien lavé (douche), bien mangé et bien bu
  • Moral : Pas si mal, il remonte un peu

A venir la Portion 6 : Valtournenche / Ollomont

  • 50 kms à parcourir
  • D+ : 5055
  • D- : 5176
  • Etape parcourue en 19 heures 20 minutes

Il est dit que cette partie est une des plus belles du Tor, je sais que je la parcourrai de nuit, que je ne verrai pas grand chose. Je vais entrer dans un brouillard. Il fait nuit et je vais vivre un moment terrible. Tout d’abord le balisage est juste dramatique. Les rubalises sont très espacées depuis Gressoney et c’est à se demander si on n’a pas ôté les rubalises pour n’avantager que ceux qui sont dotés d’une montre GPS avec le parcours chargé, ce qui n’est pas mon cas car ma montre a pour seule fonction de … me donner l’heure. Il y a du vent, un petit crachin, et par dessus le marché, je traverse un long et épais brouillard. Je ne vois plus aucune rubalise et ma traversée ressemble à un jeu de piste. Au moins l’adrénaline coule à flot dans mes veines ce qui a pour vertu de me maintenir en éveille ! Je jardine pendant quelques dizaines de minutes, complètement perdu, ne sachant pas quelle direction prendre. Je ne sais même plus d’où je viens. Donc je m’arrête et attends qu’une lampe frontale se tourne dans ma direction. Une jeune femme italienne arrive à mon niveau et je m’attache à rester dans sa roue. Mais je vais devoir faire face à un autre très gros souci. Je commence à avoir très mal en descente au muscle qui longe le tibia juste au dessus du coup de pied. Les descentes sollicitent énormément ce muscle car je suis en retenu et ce muscle fait un travail en excentrique au même titre que le quadriceps (qui lui est OK, bon pour le service). Donc cela ne va pas très bien. Je m’arrête au refuge Maggia pour demander à dormir 2 heures car je ne me sens pas bien. Et ce sont deux heures qui me feront un bien fou : le vrai dodo de ce Tor. Toujours cet accueil incroyable des bénévoles italiens aux petits soins pour toi. Je repars dans de meilleures dispositions bien remonté. Je n’ai plus de souvenir de ce qui suit, dans ma tête c’est me brouillard. A tel point qu’au petit matin je croise un coureur pour lui demander quel jour nous sommes. J’hésite entre le mercredi et le jeudi avec un penchant pour le mercredi. Le coureur me dit « Thursday ». Je tombe de mon arbre. Je dois appeler ma femme pour lui souhaiter son anniversaire. J’avais bien retenu le process suivant : « le jeudi tu appelles pour souhaiter un bon anniversaire à ta femme ! ». Au moins c’est simple à mettre en œuvre. Il est 8 heures du matin environ.

Ma femme me dira plus tard que je n’étais pas tout à fait dans mon état normal car il semble que j’ai éclaté en larme et beaucoup pleuré à la fin de la communication. Or au moment où j’écris ces lignes je n’en ai plus le souvenir. En revanche je me souviens de cela : Elle me remonte comme un coucou en restant très calme alors que la situation que je lui décris est plutôt catastrophique. « J’ai mal, si mal au dessous du tibia ! ». « Adresse toi à un médecin pour prendre un doliprane cela va passer. Prends ton temps » : c’est en substance ce qu’elle me dit. Cela me remet en selle pour la suite. Les douleurs au tibia ne sont pas aussi fortes que la nuit qui vient de s’achever et j’arrive à Oyace à 12h18 après une longue descente à la recherche d’une pharmacie…mais dans ce bourg de 200 habitants, il n’y a pas de pharmacie. Je me restaure comme à l’accoutumé ; pasta et ensuite encore de la pasta. J’ai pour habitude de prendre ces petits cakes entourés d’un sachet en plastique (marque Mulino Bianco de Barilla) à chaque ravito. Je trouverais probablement cela mauvais en temps normal mais ils m’apportent un grand contentement dans le cas présent. Je prend même du chocolat que je trouve délicieux, probablement pas terrible dans les faits, mais je suis dans un contexte surréaliste où il est question de « survie en condition extrême » où mon métabolisme considère que tout ce qui contient des calories est très très bon pour lui. Après Oyace il reste encore un col que j’avale aussi vite que mes petits cakes, il s’agit du col Bruson qui ne présente aucune difficulté particulière. Dommage que le ciel soit aussi plombé car le paysage d’alpage sous un ciel gris n’est pas très attrayant à mes yeux. Et très vite nous descendons vers la toute dernière BV, celle d’Ollomont à 16h45. Encore pas de chance, je vais me prendre la douche juste avant d’arriver ! A 1 km près c’est un déluge qui me tombe dessus. La BV est hyper humide et donc très inhospitalière. Je ne peux pas prendre de douche car on doit ressortir avant de retrouver la grande tente où sont situés les lits de camps. C’est la BV la plus mal foutue de ce Tor, étriquée, mal équipée, humide. Vivement que l’on parte, mais j’aimerais tellement qu’il s’arrête de pleuvoir ! Je me sens seul et n’ai plus vraiment le niac pour continuer. J’enlève mes chaussettes et là horreur. Ma jambe droite a enflé au niveau de ma blessure, elle ressemble à un poteau. Il faut impérativement que j’aille voir le médecin pour le strapping. Le médecin ne semble pas affolé en voyant ma blessure et l’œdème qui l’entoure. Elle fait le bon diagnostic car elle sait mieux que moi dans quelles conditions cela me fait mal : « vous avez mal en descente c’est ça ? » « Et demain c’est la descente pour Courmayeur ? ». « Allez je vais vous permettre d’y arriver ». Yesss ! Je suis soulagé, elle est très optimiste ou tout du moins n’est pas alarmiste. Merci à elle. Grâce à son strap je vais être finisher. Avec Joachim P. nous décidons de partir ensemble de cette BV. Il est 20h16. Go ! C’est la dernière étape. Elle va être longue mais elle a pour dénouement la finish line à Courmayeur. Inutile de vous dire que je ne vais pas être capable de fermer l’œil dans cette dernière BV.

  • BILAN à la BV d’Ollomont
  • Arrêt de 3 heures 30 minutes à la BV d’Ollomont
  • Zéro dodo
  • Bien mangé et bien bu
  • Bien pris soin de moi grâce à un strap fourni par un médecin de l’organisation
  • Moral : il remonte car je sens que la fin de la course est proche

A venir la Portion 7 : Ollomont / Courmayeur

  • 50 kms à parcourir
  • D+ : 4277
  • D- : 4443
  • Etape parcourue en 15 heures 45 minutes

On décide Joachim et moi d’initier cette nouvelle étape ensemble. On a le même rythme et je mène le train dans les montées. Il n’en reste que deux : Champillon et le fameux Col Malatra, la fenêtre de la délivrance. Je n’ai plus beaucoup de souvenir de ce premier Col que l’on monte d’une traite en pleine soirée à l’exception d’un ravito tout à fait exceptionnel, le refuge de Champillon (le refuge qui vous pousse à vous réinscrire pour un autre Tor des Géants). On nous accueille avec un barbecue qui comprend de la porchetta et de la polenta, c’est juste une tuerie, et comme on est mal élevés, mais affamés, on en redemande !

Je ne me souviens plus du reste du col. Tout ce que je peux dire c’est que la descente sur St Rhémy en Bosse va être un vrai chemin de croix qui va durer près de 4 heures entre 23h et 3 heures du matin. Je ne sais plus à quel moment Nicolas C. nous rejoint. Mais c’est bien à 3 coureurs que nous allons arpenter cet interminable faux plat descendant qui n’en finit pas d’autant que le sommeil s’abat sur moi, m’étreint et me pousse dans le fossé. Or mes deux compagnons continuent bon train et je dois me faire violence pour les suivre, me donner un bon coup de pied. Mes paupières sont lourdes, très lourdes. Joachim et Nicolas ont suffisamment d’énergie pour discuter entre eux, moi je n’en ai aucune pour faire fonctionner les aires du langage de mon cerveau. J’ai déjà du mal à fournir l’énergie requise pour mettre un pied devant l’autre. J’ai mal au muscle de mon tibia car nous sommes en légères descente, cela tire et je grimace. Je ne me souviens plus des sujets profonds que nous avons abordés si ce n’est celui de savoir s’il vaut mieux utiliser la machine à laver ou l’eau de la douche pour laver ses chaussures de running. C’est à peu près tout ce dont je me souviens. Joachim nous parle d’une exposition dont on ne saura ni ce qu’elle abrite ni où elle est située. Bref les conversations sont lunaires…

Enfin le ravito très très bruyant de St Rhémy en bosse arrive. Mes compagnons ont envie de dormir sur les bancs dans cette salle de ravito où règne un vacarme pas possible en raison d’une chaudière qui fait un bruit digne des manufactures du temps de la révolution industrielle. Même le mobilier est aussi rustique que cette époque. Pour moi impossible de dormir, je vais jardiner pendant 1 heure en attendant que Nicolas et Joachim se réveillent. Je suis en fait assez excité et à la fois pas trop pressé d’entamer cette ultime ascension tant désirée et fantasmée : le Col Malatra (2900 mètres). C’est parti ! Nous quittons ce ravito du 19iem siècle pour l’ascension ultime. La pente est dans un premier temps très douce, nous sommes dans un alpage dont on entend les cloches de multiples vaches. Le toponymie du lieu « Le Merdeux » ne laisse aucun doute. Nous en avons plein les chaussures de runnings. Au moins quand les ancêtres ont dû trouver une dénomination pour ce lieu ils sont allés droit à l’essentiel. Appelons cette prairie : « Le Merdeux ». Ne nous cassons pas la tête, faisons simple, avec ce que nous avons sous la main.  Nous poursuivons Joachim et moi en silence la montée qui devient plus minérale. Nous percevons au loin les lumières du refuge Frassatti qui est tellement haut que l’on a l’impression qu’il est suspendu dans les aires. Je n’aime pas trop lever la tête pour voir à quelle distance il est… c’est trop haut et démoralisant. Je préfère regarder devant moi en mettant un pied devant l’autre. Nous y sommes : refuge Frassatti atteint à 6h36. Nous voyons Thierry qui est en train de dormir sur une table et qui nous avait distancé de 30 minutes au refuge de St Rhémy. On se restaure très rapidement et on reprend l’ascension. Et nous allons commencer à vivre un instant magique à mesure que nous continuons les 300 mètres de dénivelés qui nous séparent de la « fenêtre du Col Malatra » (c’est ma dénomination toute personnelle). L’aube est en train de surgir. Nous contemplons un spectacle exceptionnel. J’appelle ma femme à partir de 7h30 et lui permet avec la vidéo de partager ce moment incroyable.

Les premières lumières du soleil commence à embraser le col Malatra.

Joachim et moi prenons notre temps à contempler le spectacle de lumière naissante. Le reste du dénivelé est juste du gâteau.

Nous arrivons à la fenêtre et continuons la séance photo avec un pro qui est posté à ce niveau. J’ai en tête la couverture du livre de Stefano Torrionne très connue et qui trône depuis 2 ans sur mon piano à Paris. Je rêve de reproduire la photo.

C’est juste magique et me procure une émotion plus intense que celle que je ressentirai à l’arrivée. Je le sais mais je le savais déjà avant le début de la course. Le massif du Mont Blanc nous fait face et nous invite à la descente à son pied où se situe Courmayeur. Nous pointons au « Pas entre deux Sauts » à 9 heures pile. La journée s’annonce très belle. Le soleil va commencer à piquer. Je me mets en T-Shirt / crème solaire XXL / lunettes de glacier. Il ne reste plus que 15 bornes à peine. Il ne reste que le plaisir de la descente avec un panorama exceptionnel sur le massif. Joachim et moi-même sommes rejoints dès lors par Nicolas C. Nous continuerons la fin du parcours jusqu’au Mont de la Saxe sous un soleil qui commence à bien taper sur le casque.

Ensuite j’ai ma femme au téléphone puis mon frère durant la descente hyper technique sur Courmayeur (tracé de l’UTMB dans le sens inverse), je prépare la descente. Je suis à Courmayeur dans moins de 30 minutes. La chaleur est harassante à l’entrée de Courmayeur, le soleil brûle. J’ai hâte d’arriver, le parcours nous fait passer par des jardins publics pour une arrivée plus directe sur la rue centrale de la ville.

Enfin j’y suis. Je vois l’arche, je cours… non à ce moment précis je vole. Il est midi plein, heure pour heure après en être parti et exactement 5 jours plus tard.

Finisher.

EPILOGUE

Merci à mon épouse pour m’avoir permis d’y aller.

Merci à mon équipe de supporter sur Wa : Fabrice mon frère, Jean-Michel, François, Emmanuel et mon fidèle ami Sylvain.

Un très très gros merci à tous les bénévoles que j’ai pu croiser durant cette course. Valdotains, vous êtes formidables !

Le Tor des Géants est une épreuve marquante physiquement et psychologiquement. L’épreuve d’Ultra la plus difficile que je n’ai jamais courue. Je ne la recommande pas à la légère. Il faut avoir faim, avoir la foi pour envisager de surmonter cette épreuve énorme. A l’heure où j’écris ces ligne à J+8 après l’arrivée, je suis encore marqué, traumatisé ? Et je n’envisage pas de resigner.

Mes nuits sont encore hantées par la course. Je suis encore très éprouvé.

A J+3 de retour à Paris ma balance indiquait +4 kgs en raison d’œdèmes sur mes deux jambes, le visage également. Ces 4 kgs ainsi que les œdèmes ont disparu en 3 jours. Il reste la blessure au niveau du releveur en bas du tibia qui m’empêche de dormir convenablement.

Le Tor des Géants, c’est du très lourd, c’est très marquant, c’est clairement un « cornerstone » très significatif dans la carrière d’un UltraRunner. Je ne sais pas à quoi cela va aboutir mais je ne pense pas rester le même une fois que tout cela sera digéré.

Je ressens un besoin profond de tourner la page car c’est une expérience très marquante presque traumatisante. Ce récit est un des moyens pour se faire.

Et votre intérêt à me lire me permet d’y arriver. Merci à vous.

addendum : Mais à l’heure où j’écris ces lignes (janvier 2022) il s’est écoulé de l’eau sous les ponts, et l’envie est revenue. Le souvenir des souffrances a disparu, seule l’envie et seul le plaisir demeurent.

Tor des Géants : c’est quoi cette course de 330 kms ?

Dimanche 12 septembre 2021, je me rends une nouvelle fois à Courmayeur (après ma TDS) pour prendre le départ de mon objectif majeur dont l’origine date de 2018 déjà (Voir ce post avec vidéo).

Le Tor des géant en quelques mots

Il s’agit d’une course d’UltraTrail créée en 2010 qui a lieu intégralement dans le Val d’Aoste qui est une province administrative italienne (au même titre que la Toscane, Lombardie etc…). Cette course emprunte deux sentiers historiques les Via Alta 1 et Via Alta 2 qui entourent à eux deux la vallée d’Aoste.

  • Longueur du parcours : 330 kms
  • 25 cols dont 4 flirtant les 3 000 mètres d’altitude
  • Altitude moyenne : 2 000 mètres
  • Dénivelé cumulés : 25 000 D+ (et D- car il s’agit d’une boucle avec pour point de départ et d’arrivée la ville de Courmayeur)
  • Temps maximal pour être finisher : 150 heures

Nombre de points de checkpoints et autant de ravitaillements : environ 45 plus ou moins espacés sur tout le parcours. On compte également 6 bases vie (où il y a des lits de camps et où l’on récupère un sac qui nous suit de BV en BV). A noter que les ravitos sont réputés comme copieux avec la spécialité phare du pays ; de la polenta servie quasiment systématiquement, et plus rarement des pâtes comme au restaurant.

Le Val d’Aoste en bref

Une singularité de cette province italienne : le français est langue officielle conjointement à l’italien. Les habitants sont appelés des valdotains. On y parle aussi le patois valdotain comme c’est l’usage (d’avoir son patois) partout en Italie.

Le reste c’est très bien expliqué sur wikipedia et en mieux.

Pourquoi le « Tor des Géants » ? Que cela signifie-t-il ?

Le terme de « Tor » c’est du patoi valdotain qui signifie « Tour ».

Et pourquoi « des Géants » est un terme français pour une course qui se court à 100% sur un territoire italien et organisé par des italiens ? Et bien comme dit plus haut le français est langue officielle et est parlé par tous les valdotains. Par ailleurs la toponymie des lieux est beaucoup plus francophone qu’italienne.

Qui sont les « Géants » auxquels fait référence la dénomination de la course ? Les coureurs ?

Eh bien pas du tout.

Les géants désignent les 4 massifs montagneux (ou montagne) qui circonscrivent la vallée d’Aoste et qui constituent la perspective des coureurs. Ces 4 géants sont les suivants :

  • Le massif du Mont Blanc
  • Le Gran Paradisio
  • Le Matterhorn (Mont Cervin pour les francophones)
  • Le Monte Rosa (Mont Rose pour les francophones)

330 kms pour un Ultratrail : on assiste à une surenchère de kms pour permettre aux finishers de démontrer qu’ils sont très forts ? En d’autres termes il faut être particulièrement fort physiquement pour en venir à bout ?

La remarque est intéressante et requiert que l’on s’y penche et développe quelque peu.

Sans enlever un quelconque mérite aux finishers du Tor nous devons apporter quelques bémols à cette affirmation selon laquelle les finishers du Tor sont des athlètes qui ont réalisé un exploit.

Tout d’abord notons que la durée limite est de 150 heures pour arriver à Courmayeur (enfin pour y retourner) soit une moyenne de 2 km/heure. Certes, cela est sans compter les arrêts au stand pour manger et dormir. Néanmoins certains finishers prétendent n’avoir jamais couru ou très très peu sur le parcours. En d’autres termes le rythme de course est plus celui d’une randonnée à un pas rapide que celui d’une course de 50 kms où l’on peut courir – sur certaines portions de plats et en descente – à un certain rythme (rappel : courir c’est avoir en suspension les deux pieds au-dessus du sol)

Une singularité du Tor : la gestion du sommeil

En fait le Tor est une épreuve qui ne peut même pas se comparer à des formats de 100 miles (de type UTMB) où l’on peut sans trop de problèmes traverser deux nuits blanches au max (ce qui est physiologiquement possible sans causer de dommages). En revanche au-delà de 170 kms le temps « de course » est tellement long que la gestion de la fatigue et de la privation de sommeil deviennent un enjeu CLEF qui est totalement inédit pour les participants familiers des formats « plus classiques » d’Ultra. Je ne sais toujours pas comment je vais m’adapter à des intensités de fatigues que je vais connaître pour la première fois. J’ai bien une stratégie comme celle de dormir dans toutes les bases vies…mais combien de temps ? Et y arriverai-je ? Quid des siestes flash le long du parcours à partir du troisième jour comme le relatent de si nombreux témoignages ?

Pourquoi je me suis inscrit à cette épreuve ?

Parce que j’adore la polenta !

Mais terminons par une pirouette plus poétique et mystique…

Quel est mon rêve sur ce Tor ?

J’aimerais passer ce col de Malatra (voir photo ci-dessous), le tout dernier col (à 2900 mètres d’altitude) c’est la toute dernière porte, celle de la libération avant l’arrivée effective située 15 kms en aval. Tout coureur qui la franchit ressent une émotion intense car en général il sait qu’il va terminer à coup sûr cette épreuve et arriver à Courmayeur en finisher.

Col de Malatra : on lève les bras en signe de victoire

X-Alpine 2021 : trois ans après

Enfin un UltraTrail dans le viseur. C’est dans 1 mois après 2 années blanches de Trail et 3 ans depuis ma dernière participation. Elle m’a manqué celle-là.

  • Mes 4 récits d’ancien combattant

X-Alpine TVSB (Trail Verbier Saint-Bernard) 2015 : 111kms / 8400 D+ 8400 D- : Abandon au km 47 après 12 heures de course et 4400 D+

X-Alpine TVSB (Trail Verbier Saint-Bernard) 2016 : 111kms / 8400 D+ 8400 D- : 26h 17min / Place 62 vs 206 finishers vs 476 coureurs au départs (taux d’abandon 57%). (Cote ITRA 545)

X-Alpine TVSB (Trail Verbier Saint-Bernard) 2017: 111kms / 8400 D+ 8400 D- : 26h 39min / Place 75 vs 237 finishers vs 487 coureurs au départs (taux d’abandon 51%). (Cote ITRA 533)

X-Alpine TVSB (Trail Verbier Saint-Bernard) 2018: 111kms / 8400 D+ 8400 D- : 25h 46min / Place 82 vs 270 finishers vs 494 coureurs au départs (taux d’abandon 45%). (Cote ITRA 528)

Récit de course : Marathon de Berlin 2019

Marathon de Berlin : c’est la troisième édition pour moi.

Après 2015 (récit), et 2016 (récit)..voici ma troisième incursion en Allemagne pour une épreuve sportive.

Beaucoup de choses à dire à commencer par s’exclamer : « Quel beau marathon ! ».

Même sous la pluie et un ciel gris ce marathon est toujours enivrant. Et c’est quelqu’un qui ne boit jamais d’alcool qui vous le dit. 
Berlin fait partie du cercle des 6 « World Marathon Majors » auto proclamés qui regroupe également Boston, Chicago, NY, Londres et Tokyo. Ce que je peux dire c’est que Berlin est peut-être pour moi le marathon qui vaut le plus d’être couru parmi les 4 World Majors que je connaisse (Je n’ai jamais couru Tokyo ni Boston) : le marathon à faire si l’on doit en sélectionner un seul. Une ville hors norme par son histoire, une organisation exceptionnelle, une simplicité d’accès à son départ, une ambiance énorme et un final lors des 4 derniers kms qui prennent au corps et au cœur. C’est fou d’écrire avec un tel lyrisme, je ne me reconnais point.

J’aime Berlin pour son histoire surréaliste. Et je vous invite à revoir Good Bye Lénine ou La Vie des autres.
C’est donc avec une grande effervescence que cette capitale chargée d’histoire accueille près de 100 000 touristes sur un seul WE (45 000 coureurs et près d’autant d’accompagnateurs). J’atterris à Berlin  le vendredi 27 septembre 2019 en début d’après midi sous des trombes d’eaux. Dès les bagages posés à l’hôtel dans le quartier de Mitte (côté Berlin-Est) je décide d’aller retirer mon dossard. 5 kms à pieds me séparent de Tempelhof ; énorme bâtisse qui servit d’aéroport durant le pont aérien de 1948 permettant à Berlin-Ouest d’être fourni en énergie et denrées lors de son blocus durant toute une année de forte tensions entre l’Est et l’Ouest.

Je traverse Berlin avec mon petit parapluie qui ne m’empêchera pas d’être bien mouillé arrivé à Tempelhof. Et là, c’est la deuxième douche froide ! L’attente pour le dossard est d’au moins 45 minutes. Bien entendu le circuit pour récupérer son dossard ressemble à celui d’un magasin IKEA puisqu’il vous contraint à serpenter entre les marchands du temple de marques de sport mais aussi de voitures, Allemagne oblige. Et de magnifiques berlines sont en exposition, et autant vous le dire, il ne s’agit pas de Trabant. Car effectivement le coureur à pied prend sa voiture après son footing matinal.
De retour dans mon quartier je file au restaurant Lokal pour goûter à la spécialité de Berlin : le jarret de porc avec sa peau laquée croustillante. Las, la peau est tellement laquée croustillante qu’elle requiert de sacrées mandibules pour pouvoir la mâcher, c’est dur comme du cuir. Retour à l’hôtel pour m’endormir dès 21h30. Je me réveille vers 7 heures pour aller faire ma dernière sortie, très importante, celle de la veille de la compétition. Cette sortie est à ne pas manquer car elle permet de régler tous les détails techniques : insertion de la puce sur la chaussure, serrage de lacets, serrage de la montre qui me donnera l’allure. Et en générale cette sortie en mode footing d’un peu plus de 30 minutes de veille de marathon sur les lieux du crime me procure toujours des craintes quant à mon niveau de préparation. Cette sortie matinale n’échappera pas à la règle. C’est très poussif, j’ai des sensations qui font peur. J’arrive à peine à profiter du paysage. Et pourtant il y a de quoi s’extasier : je passe devant le Bundestag, je passe la porte de Brandebourg, je reviens vers Gendarmarket et remonte vers Oranianburg (mon quartier) près de la grande et magnifique Synagogue. Je croise énormément de coureurs qui font comme moi leur dernière sortie de réglage. Chacun arbore, le torse bombé, le maillot de finisher d’un marathon célèbre : c’est NY qui arrive en tête à l’applaudimètre suivi de très très loin par le maillot à la licorne du marathon de Boston !! J’ai un grand respect pour ceux qui arborent ce dernier, que je ne pourrai probablement jamais enfiler faute d’être capable d’obtenir un jour le chrono qualificatif pour m’y inscrire. N’est pas un BQ (Boston Qualified) qui veut. Revenons en à ma sortie. On dirait que je suis un petit vieux, j’arrive à peine à faire du 6 min au km. Arrivé à l’hôtel après 45 minutes poussives mon corps me dit merci d’en avoir fini. Néanmoins j’ai fourni suffisamment d’énergie pour ressentir la dopamine qui me fournit ma dose pour ressentir un bien être qui dure jusqu’à la fin de la journée. Direction mon petit bistrot favori le Kaiser Soze (en référence à ce film bien connu au dénouement qui marque les esprits) qui m’a toujours porté chance. J’ai pour habitude après avoir commandé mon thé et mes scramble eggs d’y retourner les tasses pour voir les noms de marques du fabricant mais j’ai beau le faire systématiquement, je ne tombe jamais sur le patronyme Kobayashi !

L’après midi je continue mes déambulations sans trop savoir où elles me mènent, j’aime flâner dans les rues au hasard pour en sentir l’atmosphère. Et Berlin c’est une ville dont le poids du passé se ressent à chaque coin de rue : des petits médaillons dorés aux noms de familles juives déportées sont insérés à mêmes les trottoirs « pour ne pas oublier », des façades d’immeubles désaffectées sont peinturlurées avec des termes rappelant la liesse populaire lors de la réunification, quand des noms de rue vous rappellent les heures de tensions les plus fortes que la guerre froide ait connues (Check Point Charlie). Du mur il ne subsiste quasiment plus de traces en revanche.

Les quelques monuments célèbres gravés sur la médaille du marathon…mais l’atmosphère de cette ville c’est toute autre chose.

La préparation ultime

Il est bientôt 18h30 et il est temps pour moi de me rendre à la Porte de Brandebourg pour mon ultime repas pré-marathon. Je vais en surprendre plus d’un parmi ceux qui ne connaissent pas mon rituel préparatoire. Non je ne prends pas un plat de pâtes. J’évite tout mets solides plusieurs heures avant une course et notamment avant un marathon. Cela fait déjà 24 heures que j’évite fruits et légumes en raison des fibres qu’ils contiennent. La peur redoutable du marathonien est double : celle d’exploser au trentième kilomètre certes, et tout le monde la connaît, mais aussi la crainte de devoir aller aux toilettes à … n’importe quel kilomètres. Pour prévenir ce risque je m’abstiens d’ingérer des éléments contenant des fibres ou sollicitant trop mon système digestif à minima 24 heures avant. Ma parade est d’aller au Starbuck la veille d’un marathon pour y ingurgiter un grand verre de Latte vanille accompagné d’un cake au citron. Et cela sera tout jusqu’au départ prévu 15 heures plus tard (à 9h30 du matin) : soit largement le temps à mon corps pour métaboliser cette charge de sucre (pour les réserves de glycogène) et cet apport de protéine (via le lait). Lors d’une course d’une telle intensité que le marathon votre système digestif est quasiment à l’arrêt et de toutes manières ne reçoit pas les ressources pour fonctionner correctement, le métabolisme fonctionnant de manière à ce que vous puissiez mettre un pied devant l’autre et si possible en étant une fraction de seconde en suspension au dessus du sol (définition de la course à pied, sinon cela s’appelle de la marche).

Ensuite direction l’hôtel pour le gros dodo et une prévision de tomber dans les bras de Morphée à partir de 22 heures.Voilà qui est bien, sauf qu’à 1 heure du matin Morphée a un sacré retard sur l’heure prévue du rendez vous. Je ne m’affole surtout pas. Ne pas PA-NI -QUER ! Il me reste potentiellement 6 heures de sommeil d’ici le réveil. La lecture de L’Express magazine devait m’achever, mais il n’en est rien : c’est fou comme la nouvelle stratégie de Bompard le PdG de Carrefour me tient éveillé. Je m’endors quelque part entre 1h 30 et 2 heures du matin.

Je me réveille naturellement après 7 heures. Surtout jamais de réveil, l’appareil qui vous flingue votre sommeil et vos jours. J’applique toujours le même rituel quotidien, 100 pompes suivis non pas d’une sortie en mode footing mais d’une sortie longue à travers Berlin. Mon équipement est rigoureusement identique pour toutes mes séances à l’exception de mes chaussures : des Apollo Under Armour ultra légère de 175 grammes non pas pour s’affranchir de la gravité et aller vers la lune mais pour peser le moins lourd possible à chaque impulsion.

Top départ

Je quitte l’hôtel à 8h30 en toutes petites foulées. Il me faut moins de 30 minutes pour rejoindre mon sas, le sas E de la deuxième vague des coureurs qui comptent terminer entre 3h15 et 3h30. Le ciel est bien gris, et nous savons que nous aurons la pluie à partir de midi : Bekele sera arrivé bien avant le déluge, ce n’est pas juste.

La musique d’Alan Parsons Project résonne, tel un compte à rebours, avant chaque départ : handisport, la première vague et puis pour la nôtre. Et puis c’est parti pour notre vague vers 9h25.

Premier semi

Ma stratégie de course est claire. Je vais courir chaque kilomètre à une allure de 5 minutes et pas une seconde de plus jusqu’au 27 ièm inclus. Un marathon ne commence réellement qu’à partir du trentième, autrement dit c’est à partir du trentième que l’on va découvrir si nous étions suffisamment préparés ou si cette épreuve va se terminer en chemin de croix.

Le premier km se fait en pente douce, inutile d’aller vite il faut mettre le frein à main. Comme toutes mes séances de CAP je ressens des sensations vraiment pourries : fourmillement dans les jambes, dans les pieds, je n’ai pas une très bonne respiration. Je me connais bien il me faut à minima 45 minutes de chauffe avant de ressentir, le cas échéant (car ce n’est pas systématiquement le cas non plus), de bonnes sensations. C’est la raison pour laquelle je ne m’affole pas trop lorsque je m’aperçois que je tourne bien à 5 minutes au km mais avec une certaine difficulté dès le premier kilomètre. L’ambiance de ce marathon ? C’est du tonnerre ! Un public démentiel. Très souvent de la musique : provenant d’enceintes (même installées sur un balcon d’immeuble) mais aussi de groupes se produisant le long de la chaussée.

Ma définition du marathon réussi, c’est quoi ?

Pour moi un marathon réussi est un marathon qui ne se transforme pas en chemin de croix et idéalement qui se fait en « négative split » c’est à dire dont le deuxième semi est couru plus rapidement que le premier. C’est ce que j’ai réussi à faire lors de mes deux derniers marathons de Berlin ainsi qu’à Chicago et j’en ai ressenti des sensations tellement fortes, presque jubilatoires qu’il me tardait après deux ans sans marathon de retoucher le graal. J’ai hâte de goûter à nouveau à cet état de conscience modifié qui n’apparaît pas avant le 28 ièm kilomètre du marathon. Une émotion qui mêle à la fois la souffrance et un vrai plaisir. La sensation de décoller alors que tout autour de vous les coureurs s’effondrent.

La stratégie de course en 3 points : déjà ne pas avoir d’objectif chrono final !

Premièrement : D’abord courir en totale aisance respiratoire jusqu’au 27ième avec un objectif semi marathon à ne surtout pas dépasser. Pour moi il ne fallait pas obtenir un temps de passage meilleur que 1h45 au 21 ièm km.

Deuxièmement : exploiter tous les ravitos pour s’asperger d’eau et se rincer la bouche avec la boisson énergétique, prendre deux à trois gels à l’unique ravito qui en proposait.

Troisièmement : se forcer à accélérer après le 27 ièm kilomètre pour voir si la magie opère et continuer sur les sensations à forcer son allure jusqu’à la fin.

La course in a nutshell

Eh bien le premier semi est bien couru en 1 heure et 45 minutes comme prévu par le plan. Maintenant il s’agit d’être patient et de se préparer pour la phase de décollage post 27ièm kilomètre. En fait je n’en mène pas large, j’ai l’impression d’avoir des jambes solides pour faire du trail mais pas vraiment légères pour voler sur le bitume. Je sens en fait que je vais devoir me donner un coup dans le derrière pour m’arracher et accélérer. J’ai presque la trouille, en bref je ne suis pas pressé de le voir ce panneau « 27 km »… Et il pleut maintenant, jusqu’au finish.

Panneau 27 km : « boule de feu »

Mon ami de cours de cuisine Thierry M. m’a préparé mentalement pour la Lavaredo Ultra Trail en me faisant pratiquer des séances d’hypnose/autosuggestion. Cela s’appuie sur des exercices de visualisation. Et c’est ce à quoi fait référence le titre de ce paragraphe. Je mets la gomme avec une image bien particulière qui me vient en tête. Je n’ai plus le choix : j’accélère alors que je n’ai pas vraiment les jambes. Et c’est là que la magie opère. J’arrive à adopter une allure plus élevée non sans mal, mais c’est tout à fait supportable. Je ne peux pas dire que je ressens une sensation d’euphorie lors des 5 kilomètres. Autour de moi l’hécatombe commence, les gens souffrent et décélèrent manifestement. Très peu de personnes me dépassent.

Ne pas quitter la ligne bleue

Je tiens le coup, la pluie se fait plus forte. On doit courir sur des flaques d’eau, plus besoin de m’asperger aux ravitos, lever la tête suffit.

Jusqu’au 27ièm j’aurai couru à 5 minutes le km, du 30ième au 35ième kilomètre mon allure passe à 4:42 le kilomètre puis 4:45 jusqu’au 40ième pour terminer en 4:21 sur les 2 kms qui restent, ce sont mes kilomètres les plus rapides : boule de feu !

Comme je l’ai mentionné la fin de ce marathon est épique. Les avenues sont larges, le public est en masse et nous encourage à tout rompre. Les coureurs se mettent minables pour terminer. Je termine en quasi apoplexie surtout que les 200 derniers mètres passé la porte de Brandebourg sont en pente douce où l’on peut donner tout ce qui reste dans les tripes.

Je n’ai pas dit que c’était simple tout le long !
Il reste 100 mètres à peine…

C’est fini ! 3 heures 25 minutes et 57 secondes en négative split de plus de 4 minutes (deuxième semi couru plus rapidement de 4 minutes par rapport au premier). A mes yeux marathon réussi. Cela donne l’envie de revenir.

Pêle Mêle / Miscellaneous

Au concours du plus moche Tshirt de finisher les organisateurs remportent les trois premières places. Bravo pour cette performance.

C’est très laid !

Marathon de Berlin 2019, parce qu’il n’y a pas que les Ultras qui m’attirent…

C’est dans quelques jours…

Déjà 3 ans que remonte ma participation à mon dernier marathon qui était … Berlin 2016 (en 3h26) après Berlin 2015 (en 3h25). J’aime bien les répétitions. Et il faut dire que le marathon de Berlin est un sacré marathon ! Cela me manquait de courir un marathon, c’est une épreuve exigeante, presque un sprint quand on est habitué aux épreuves longues. Toutes les secondes comptent. Il ne faut pas perdre de temps aux ravitos.

Berlin 2016

Suspens insoutenable du deuxième semi

Cela me manquait car depuis 3 marathons (j’inclus Chicago 2014 en 3h22) j’aime ce grand suspens qui arrive au milieu du deuxième semi (vers le 30ièm km), celui où je suis susceptible de lâcher les chevaux et de me mettre à accélérer. C’est un suspens car absolument rien lors du premier semi du marathon ne me permet de dire si je serai capable de faire un négative split (courir le deuxième semi plus rapidement que le premier). J’ai même toujours eu des sensations bien pourries lors des premiers kms de la course, parfois bien inquiétantes.

C’était Berlin 2015

La préparation

Bon il faut dire que la qualité de ma préparation est en ligne avec mes deux derniers marathons de Berlin, c’est pas terrible : 70 kms par semaine sur les 5 dernières semaines dont 120 kms la semaine dernière en 6 séances (c’était la semaine de lourde charge).

Point qui pourrait être négatif : je trouve que mon poids de forme est un poil trop élevé ; 63 kgs contre 62 kgs lors des deux participations précédentes. Et si l’on considère que cela coûte 4 minutes le kg cela pèse dans la balance quand même ! La raison ? Je me suis fait des quadriceps en béton cet été lors de grosses sessions de descente dans le Beaufortain. Alors je descend comme une bombe, mes quadriceps travaillent très bien en excentrique… sauf que sur marathon, dont le profil de course est très plat comme Berlin, l’excentricité du quadriceps ne sert à rien ! Le marathon de Berlin requiert une certaine austérité de ce point de vue : restons concentrique. Vous me suivez ? Si vous me comprenez c’est que je me suis mal exprimé.

Bref je suis assez fébrile même si les toutes dernières nuits de cette semaine de tapering sont assez difficiles. Exemple cette nuit : réveillé à 23h30, 3h, puis 4h50 pour finalement ne pas me recoucher, je suis allé courir à 5h20 après avoir déménagé ma fille et mon fils de leur lit dans le nôtre. De toutes manières je n’avais plus de place dans ma couche, alors autant aller courir 1h30. Bon je n’ai pas dit que je n’avais pas la tête dans le sceau à l’heure où j’écris ces lignes…

Stratégie de course

1/ La veille au soir au Starbuck de la Porte de Brandebourg tu iras, pour un Latte à boire et un Cake tu dégusteras

2/ Le matin au réveil, du thé seulement tu boiras

3/ Pendant la course, à 5 minutes au km tu courras

4/ A TOUS les ravitos, tu t’aspergeras et la boisson énergétique tu boiras et recracheras

5/ A partir seulement du 28 ièm km, tu accéléreras


Content si « négative split » tu feras.

Récit de La Lavaredo Ultra Trail 2019

Je ne m’attendais pas à cela. On m’avait dit que les paysages étaient beaux, en fait ils sont plus que splendides et font partie des paysages de montagne les plus beaux que j’ai jamais vus. On m’avait dit que cet Ultra était roulant, en fait La Lavaredo est l’Ultra le plus difficile que j’ai couru. Finalement cette course cumule selon moi les superlatifs.

Prologue

Samedi 1er juin 2019. Il est 7 heures du matin, j’ai repris la course à pied après un mois d’arrêt complet suite à ma participation au Trail de la Trans Aubrac. Je suis exténué. Le dés-entrainement de ces 4 semaines d’arrêt est très sensible. Je souffre le martyr, avec une envie de rentrer très vite à la maison. J’ai l’impression de peser le poids d’un tank ou d’un Caterpillar. C’est ma séance la plus terrible depuis le début de l’année. C’est complètement idiot d’arrêter l’entraînement aussi nettement et aussi longtemps alors que j’ai la Lavaredo et ses 120 kms / 5800 mètres de D+/D- en ligne de mire dans 4 semaines. Je sais au fond de moi que c’est la séance la plus difficile que j’aurai réalisé durant ce mois de juin. C’est le prix à payer. Je note dans mes tablettes à mon retour à la maison : « Toujours faire des sorties, même de courtes durées, entre les épreuves entretenir sa forme physique, ne jamais arrêter ! ». Dégringoler de plusieurs barreaux d’échelle est beaucoup plus rapide que les remonter… Rien à dire d’autre que « l’entraînement en course à pied ; c’est ingrat. »

4 semaines plus tard, veille du départ

Arrivé à Cortina d’Ampezzo le jeudi 27 juin au soir après avoir essuyé de multiples épreuves notamment lors de la récupération de la voiture de location : 1 heure de temps d’attente au comptoir Europcar de l’aéroport de Venise / difficulté à trouver la sortie du parking / difficulté à payer le péage qui n’acceptait que des billets de banques et non la carte de crédit / 2 heures de routes dont 1 heure derrière un camion transporteur de marchandise sur une route nationale… Bref, je devais être à Cortina au faît de ma forme pour courir un Ultra Trail, or j’arrive à l’hôtel déjà épuisé psychiquement. Je passe rapidement sur mon dîner dont le plat de pâtes n’a aucune saveur car j’ai un rhume et les sinus un peu bouchés. Cela m’a valu des douleurs terribles aux tympans lors de la préparation de l’atterrissage de l’avion. Seul moment agréable de la journée : une petite ballade sur les lieux du crime à 24 heures du départ. Le sponsor de la course n’est plus The North Face mais la marque italienne La Sportiva inconnue en France.

Toute la station de Cortina (ville des JO d’hiver 1956) va battre au rythme des traileurs durant l’espace d’un week-end. Ce ne sont pas moins de 5000 coureurs qui sont présents et se répartissent à travers 4 épreuves différentes : tout d’abord la fameuse Lavaredo Ultra Trail de 120 kms (et 5800 D+/D-) à laquelle je participe, la Cortina Skyrace de 20 bornes en passant par la Cortina Trail (48 kms) et l’Ultra Dolomite (87 kms)…et puis les enfants ne sont pas oubliés puisqu’il y a une kids race (400 et 800 mètres). Bref, en tout ce sont près de 8000 visiteurs (les coureurs viennent aussi accompagnés) qui investissent les lieux le temps de ces épreuves. Dans les rues tout le monde arbore son maillot de finisher préféré à condition que cela soit une épreuve prestigieuse connue de tous : l’UTMB étant l’épreuve qui recueille le plus de suffrages manifestement. Et quant à moi j’ai une chemise bleue sous un coupe vent Gore car je dois me protéger du soleil qui me brûle. J’ai quand même le buff autour de la tête aux couleurs de l’X-Alpine … mais il semblerait que l’on me dévisage pour une raison que je n’ai à ce jour toujours pas comprise (cf. photo ci-dessous).

En tenue discrète qui ne passe pas inaperçue

Cortina d’Ampezzo est un petit village magnifique où l’on se sent bien. Il y a ce petit centre ville autour de son campanile dont toutes les rues sont piétonnes. Tout autour le panorama est grandiose avec des massifs de montagnes qui ne ressemblent en rien aux Alpes françaises ni à celles du Valais (Suisse).

C’est le jour J. Je me réveille sur les coups de 6h30, difficile de faire plus tard. Moi le matin j’ai la pêche. Je prends un petit déjeuner limité à 2 œufs durs et une tranche de pain de mie toasté : je fais de vraies folies ! Il est trop tard pour prendre des fruits et légumes. J’ai besoin d’avoir un système digestif allégé et non encombré. A 9 heures je vais voir le départ de la Cortina Trail (48 kms).

Je voulais assister à la Kids Race à 10 heures mais le départ est reculé de 30 minutes. Tant pis je prends la décision d’aller retirer mon dossard au Ice Stadium non loin de là. Je ne veux pas trop traîner. Or, le retrait me prends 1 heure. Fil d’attente de dingue le long de la piste de Curling … C’est incroyable, seulement 4 personnes pour le contrôle de nos sacs avec matos obligatoire et 2 autres seulement derrières pour la remise des dossards ! Je n’ai jamais vu cela même pour une petite course de 10 bornes dans un arrondissement parisien. C’est même grotesque. Au niveau de l’évaluation les traileurs ne les louperont pas, en tous cas pas moi. Zut alors ! J’entends dans la file d’attente des propos du style « c’est l’Italie »! Cela m’écorche les oreilles moi qui suis d’origine transalpine mais ne puis que faire le constat que … cela est parfois justifié.

Passons. Il est l’heure d’aller déjeuner. Je vais me remettre en allant me prendre une énorme glace italienne d’un artisan chocolatier qui les turbine sous vos yeux. Je prends un truc énorme, le tarif est au poids. Il correspond au volume d’un très gros gobelet (30 cl ?) en plastique complètement rempli car cela est très crémeux comme je les aime. C’est à mille lieux des quantités mesquines de trois petites boules qui se courent après dans les petits pots en carton que l’on vous sert habituellement dans les glaciers à Paris. C’est donc réconcilié avec les italiens que je retourne à l’hôtel pour une sieste.

J’arrive à somnoler dans la chambre jusqu’à 18 heures tout en écoutant un podcast sur la nutrition de l’Ultra Traileur. Fort de ces enseignements je ressors affronter la chaleur pour retourner chez mon glacier qui a les yeux médusés lorsque je lui demande de me resservir la même quantité de glace café et fiore di sambuco ainsi qu’un gobelet de chocolat chaud à la pistache surmontée d’une chantilly. REWARD / Rhaaa Lovely !!!!!!!!!

Comme ça je suis paré. Mes réserves de glycogène sont au top sans avoir encombré mon système digestif de fibres ou autre aliments solides ! Je sais que cela peut choquer ceux qui considèrent que les pâtes sont plus appropriées. Mais regardons de quoi est composé une glace : de sucre, de lait, du gras avec une densité calorique très importante tout cela dans un substrat liquide hyper facile à métaboliser par le corps, en tous cas le mien. J’ai déjà éprouvé avec succès ce type de menu avant une compétition et notamment mes trois derniers marathons.

Il est 18h30 et cela sera mon dernier repas de la journée. Je sais ce que vous vous dites en lisant ces lignes. Mais franchement vous pensez que c’est moins bien que des pâtes dont votre système digestif va devoir casser les molécules d’amidon pour que cela traverse la paroi intestinale ? A quelques heures du départ en ce qui me concerne cela me fait gonfler l’estomac.

Maintenant retour dans ma chambre où je vais essayer de dormir. Je n’y arrive pas mais reste allongé les yeux clos dans un état végétatif jusqu’à 22 heures.

Je me prépare et me retrouve à 22h30 dans le sas qui vient de s’ouvrir. Je dois être dans le premier tiers.

Ambiance de folie soutenue par le thème d’Ennio Morricone

A l’instar de l’UTMB qui a son hymne joué par Vangelis, Le départ de la Lavaredo a également sa musique traditionnelle sonnant le démarrage du chrono (à 23 heures tapante). The « ecstasy of gold » d’Ennio Morricone (BO du film Le bon la brute et le truand) raisonne dans tout Cortina. C’est énorme !

Une ambiance de folie qui me donne littéralement la chaire de poule. Le public est amassé le long du couloir de la course délimité par des barrières. Nous recevons une énergie énorme. Sur plusieurs kms mon cerveau va boucler sur l’air de « The ecstasy of gold » comme il l’a déjà bouclé certaines nuits depuis que je prépare cet Ultra. Ce compositeur me transporte !

Ces tous premiers kms de la course ne sont pas sans me laisser penser à la SaintéLyon. La ligne de frontale, ce bitume parfois, ces chemins très larges. Mais très vite on sent que l’on évolue dans un endroit très très particulier. On quitte un espace domestiqué vers quelque chose de beaucoup plus sauvage, parfois lunaire. Pendant près de 4 heures nous évoluons en file indienne ou parfois en pack. Lors du premier pointage (km 17) je suis en 457 ième position.

A partir de cet instant sur le col à venir je décide de rester concentré et de compter les dépassements comme pacman. Arrivé à Valbona et deux cols plus loin (km 34) après 4h21 minutes de course je pointe en 307 ième position.

En fait je me retrouve désormais avec un pack de coureurs qui n’ont pas l’air d’être des rigolos et qui arrivent super bien à relancer. Là je comprends que je vais devoir arrêter de vouloir gagner des places au risque de courir au dessus de mes capacités et de brûler mes réserves énergétiques jusqu’à l’explosion. Celle de laquelle on ne revient pas.

Il est 4h30 du matin et déjà on perçoit l’aube qui semble pointer dans le ciel à l’est. La nuit semble être passée à la vitesse de l’éclair…surtout quand on est habitué aux SaintéLyon qui ont lieu en décembre lors d’une des nuits les plus longues de l’année. Et c’est tant mieux, car le paysage qui se découvre devient juste un vrai cadeau pour ceux qui ont eu la patience de courir jusque là.

La beauté des paysages se dévoile dès 4 heures du matin

Nous voilà à l’aube le long du lac Misurina (km 42). Il est exactement 4h47 et je pointe en 296 ième position.

Nous attaquons le col qui conduit à l’un des points les plus remarquables de cet Ultra, ce qui en constitue le symbole et logo de la course à savoir le Tre Cime. Avant d’y parvenir nous nous arrêtons au refuge Auronzo (km 49) après une montée sèche qui en assèche plus d’un. L’intérieur du refuge ressemble à une coure des miracle. Certains sont complètement à la ramasse, on entends les râles d’un coureur en train de vomir…bref on n’a pas trop envie d’y rester longtemps. Comme à mon habitude j’ai ma routine ravito que je vous décris une fois pour toutes : Je bois à minima deux gobelets d’un mélange eau/coca et je prends deux croquettes pour chien (ce sont des biscuits secs italiens en vente partout et rien qu’en Italie conçus pour éprouver la solidité de vos dents). Je repars toujours avec mes 2 flasques remplies à raz bord d’un mélange eau/coca (soit 1 total de 150 cl).

Il Tre Cime : symbole de cet Ultra

Je sors de ce refuge pour profiter de ce moment exceptionnel de découverte d’un panorama tel que je n’en ai jamais vus. C’est juste splendide et me voilà transformé en photographe/touriste.

Je passe beaucoup de temps à prendre des photos. C’est quand même pour voir cela que je me suis inscrit. Or « plus on s’arrête … et plus on s’arrête » et moins on a l’énergie pour repartir. Je me fais déposer par deux bonnes douzaines de coureurs. Par ailleurs on a une grosse descente plutôt technique dans sa première partie qui me pousse à conserver le mode de touriste randonneur. D’ailleurs cela me donne un petit coup au moral. Le paysage change très vite, nous quittons le monde minéral et enneigé pour une vallée très surprenante. On se croirait en Amérique du Nord car le parcours emprunte un sentier le long d’un lac, le chemin traverse une forêt de résineux mais dont les arbres sont suffisamment espacés pour apercevoir ces falaises qui sont propres aux Dolomites et nulle part ailleurs dans les Alpes. Il ne manque que le garde forestier sur son cheval, des trappeurs et des kayakistes sur le lac pour croire que nous sommes au Canada. Le soleil commence à chauffer … à peine finalement.

J’arrive à la base vie de Cimabanche où nous récupérons le sac de change. Nous sommes à mi parcours à ma montre il est 9:04 soit 10 heures de course (km 67 et 3000 mètres de D+ derrière nous, 334 ième au classement). Je déchire mon sac en l’ouvrant alors que j’y ai inséré tout un change que je ne mettrai pas. Je n’exploite que mes blondies (gros sablés fait maison = bombes caloriques supérieures aux cookies) dont j’avale deux morceaux car je ne peux lutter contre le signal de la récompense émis par mon cerveau qui me dit « RE WARD » « RE WARD » après la première bouchée. Je me tartine de crème « anti-soleil non je ne t’aime pas moi non plus » avec un indice XXL sur toutes les parties qui dépassent.

Nous allons attaquer un nouveau col qui nous mène au refuge de Malga Ra Stua, je regrette de ne pas avoir pris des photos de la falaise / demi cirque que nous longeons sur notre droite, une partie de la roche est même colorée, c’est magnifique. A Malga Ra Stua j’ai été prévenu qu’il fallait impérativement non seulement remplir ses flasques mais aussi veiller à en remplir une de réserve car le manque d’eau peut être un gros sujet. En fait le manque d’eau ne sera pas juste un problème, cela sera un point crucial pour les … 4h 40 minutes qui vont me séparer d’ici le prochain ravito. En fait Ennio Morricone aurait pu nommer l’oeuvre qui nous a été diffusée lors du départ : « A la ruée vers l’EAU »

La ruée vers l’eau

Nous commençons par grimper le long d’une paroi, la pente est très douce et c’est à partir de ce moment que nous tous, coureurs, crevons de soif, et c’est une soif inextinguible. Il y a de nombreux cours d’eau où nous nous arrêtons tous, soit pour remplir nos flasques soit, comme moi, pour remplir son gobelet d’eau beaucoup trop froide pour mon estomac. C’est incroyable de se sentir rassasié en eau après deux gobelets remplis à raz bord…pour ressentir une soif de malade seulement 15 minutes après ! J’ai l’impression que l’eau s’évapore par tous les pores de la peau dans la minute qui suit son ingestion. Pourtant non, je ne peux pas dire que je ressens la chaleur. L’atmosphère est juste très très sèche. D’ailleurs je ne transpire pas une goutte ! Nous traversons une plaine d’altitude jonchée de petit cailloux tellement blanc qu’ils renvoient une lumière quasi aveuglante. C’est ce que je nomme la « Vallée de la mort ». C’est plat ou en très léger dévers mais on ne peut pas courir, impossible. Cela devait être le lit d’un glacier puis d’un fleuve puis aujourd’hui il ne reste qu’un tout petit filet de rivière qui, heureusement, nous permet encore et encore de nous abreuver. Ce décors de Far West est impressionnant, il est jonché de branches de bois morts complètement secs qui me font penser aux têtes de squelettes de bovins que l’on peut voir dans les BD de Lucky Lucke, il ne manque que les vautours au dessus de nos têtes…et bien sûr les Daltons ! On s’y croirait. Une énorme cascade d’au moins 50 mètres longe la falaise tout au fond sur notre gauche. Quant à nous, coureurs de la Lavaredo nous avançons clopin clopant comme des macchabées. Nous n’inspirons pas la grande vivacité. En tous cas il faut avancer, et surtout boire, pour ne pas offrir notre carcasse aux prédateurs. Et puis le paysage change encore, la végétation reprend ses droits sur la caillasse blanche. Je pointe à Travenanzes (km 90 et 4300 D+) en 293 ième position. C’est bizarre je ne double plus personne depuis Cimabanche et je gagne quand même des places. Comme quoi le plan que nous venons de traverser mérite bien son qualificatif de Vallée de la Mort.

Le plus dur, c’est maintenant !

Or ce que je ne sais toujours pas à ce moment de la course c’est que le plus dur commence seulement maintenant. Et cela va faire très très mal.

On continue sur 400 mètres de D+ qui sont à un pourcentage encore jamais vu sur la course, c’est « droit dans le pentu » comme on dit sur la SaintéLyon. Sauf que là c’est en bien pire. Le paysage est devenu minéral alpin, complètement nu. Je sers les dents, et je bois : ouais pas simple de faire cela en même temps. Et ce que je ne sais pas encore c’est que des « montées de la mort qui tue » comme celles-ci il y en a encore au menu ! Je regarde le profil de la course qui est affiché sur mon dossard et je constate avec horreur que le mur que nous venons de passer est représenté en « tout petit » sur le profil par une ligne à la quasi verticale et que des lignes comme celle-ci il en reste… c’est bien simple j’en suis déprimé à l’idée de les compter.

Je descends en direction du refuge de la Gallina. Mais le fait de le voir si bas me fait déjà mal aux quadriceps. C’est terrible, rien ne me convient, je crains désormais aussi bien les montées que les descentes. C’est à se demander quel profil de terrain me convient le mieux à cet instant de la course. Peut être la station arrêt ?

J’arrive au refuge Gallina (après 97 kms et 4765 D+, 256ième au classement) après 15 heures 37 minutes de course c’est le premier ravito rencontré depuis près de 3 heures. Comme quoi la traversée de cours d’eau était impérative pour survivre durant ce laps de temps.

Après le pointage je m’amuse à lire les messages de mes supporters à distance que sont ceux de Sylvain, Fab mon frère coach UTMB et ma sœur. En effet ils traduisent mon gain de places au classement par une fraîcheur (que je n’ai pas) ou par le fait que je suis allé plus vite que de nombreux concurrents (or je n’ai doublé personne depuis 3 heures !). En fait le gain de place ne s’explique que par le jeu des abandons de coureurs mieux classés que moi ainsi que par le temps passé aux ravitos (je passe moins de temps que certains autres coureurs et les double malgré moi).

Attention, on attaque un deuxième mur. Il est très sec celui-là et surtout assez traître car on pense se rapprocher de la crête pour finalement découvrir que nous ne sommes pas du tout arrivés et qu’il y a un deuxième mur que l’on ne percevait pas au pied de l’ascension. Donc j’applique ma stratégie de gestion de course, très simple, qui est de ne jamais se mettre dans le rouge. Donc je m’astreins à toujours être en aisance respiratoire. Je ralentis, je ralentis… ah ça y est je suis en aisance respiratoire sauf que … je suis à l’arrêt, planté comme un piquet ! En fait j’ai le choix entre grimper et être inévitablement dans le rouge (anaérobie) ou être à l’arrêt pour pouvoir demeurer en aisance respiratoire totale. Dans une pente à un degré de plus de 20% : je n’ai pas le choix. On se met dans le rouge et on sert les dents en mettant un pied devant l’autre.

Nous avons même les pieds dans la neige.

On arrive au refuge Averau où un bénévole nous attend avec un jet d’eau mais j’ai surtout envie de boire et non d’être mouillé. Je ne comprends pas ce qu’il me dit je m’apprête à sortir mes flasques…et me voilà arrosé de la tête aux pieds de même que les lunettes de soleil comme cela je n’y vois plus rien. Alors je dis merci (dans mon italien à l’accent français) en souriant jaune, de très mauvaise grâce car le cœur n’y est pas. On arrive au refuge du Passo Giau où nous attends un vrai ravito avec croquettes pour chiens… non je ne suis pas sympa. En fait depuis la mi course les bénévoles ont la très bonne idée de faire des tartines de pain (pas bon) agrémentées d’huile d’olive et recouvertes de tomates ; et franchement ce n’est pas mal du tout. Enfin du salé qui fait du bien. Plus on reste scotché à un ravito, plus on reste scotché…donc il faut se faire violence pour sortir…et aller se faire un nouveau et dernier « mur de la mort qui tue ». Je crois que celui-ci est vraiment le pire des trois : là carrément on n’est pas loin de l’alpinisme. Heureusement j’ai des gants. C’est dans ce mur que je me dis que Le Tor des Géants ce n’est pas pour moi. Que les Lavaredo Ultra Trails, ce n’est pas pour moi. Que les Ultras, ce n’est pas pour moi. Que la course à pied, ce n’est pas pour moi. Moi ce qui me conviendrait mieux à cet instant c’est une bonne entrecôte de bœuf bien maturée dégustée chez moi à Paris. Pourquoi m’infliger de telles souffrances ?

Néanmoins le paysage de l’autre côté de cette crête est juste magnifique, le soleil radieux : finalement cela valait le coup. Quelle gratification !

En bas dans la vallée : Cortina d’Ampezzo…comme une libération.

Et le fait d’apercevoir Cortina redonne des ailes. On a l’impression que l’on va y arriver dans l’heure alors qu’en fait cela me prendra un peu moins de 2 heures.

J’assure mes appuis dans la descente, j’ai toujours la peur de me blesser à quelques kms de la fin. Un finisher claudiquant c’est dommage mais un abandon pour blessure à quelques encablures de la fin c’est un drame dont on ne se remet probablement pas. Mais arrivé sur le bitume de Cortina à 2 kms de la fin j’explose littéralement, comme une crise d’hypoglycémie : des frissons dans tout le corps, impossibilité de relancer, le souffle court. Je connais bien cet état pour l’avoir ressenti pas plus tard que 15 jours lors d’une de mes séances matinales de 2 heures. On est foudroyé et seule l’alimentation permet de se remettre en jambe. Je demande à un autochtone de me prendre une des barres maison (blondies) dans mon sac car je n’ai pas la force de l’enlever. Je l’engloutie et j’en ressens les effets immédiats. Quelques mètres plus loin un autre habitant a dressé une table avec des tranches de pastèques : quel bonheur ! Et je déroule pour les 1500 mètres restants dans Cortina. Et là c’est juste un bonheur immense.

J’arrive après 19 heures et 57 minutes en 229 ième position parmi 1815 coureurs au départ et 1297 finishers (taux d’abandon de 29%).

Mention spéciale à Loic J. qui m’a beaucoup aidé : c’était mon benchmark !

Je remercie avant tout ma femme pour m’avoir permis de vivre tout ça…

Mon score ITRA sur cette course est de 569 soit mon plus gros score sur ce format de course dit XL.

Chapeau à tous les finishers, ils sont tous des héros.

Prochain Ultra dans 1 mois : La Lavaredo Ultra Trail 2019 dans les Dolomites

Cela sera mon prochain Ultra car les Dolomites il paraît que c’est beau et que c’est là que s’est joué le film de Sylvester Stallone Cliffhanger dont j’avais adoré le décor naturel. Par ailleurs ma femme (aussi forte que Sylvester quand elle est en colère) m’a toujours loué la beauté de ces paysages lors d’un GR effectué au départ de Cortina d’Ampezzo.

Et c’est donc en consultant le catalogue des Ultra du circuit de l’Ultra Trail World Tour avec la même excitation que le chasseur qui vient de recevoir son catalogue Manufrance pour choisir son fusil de chasse pour tirer sur les palombes que mes yeux ont été attirés par le parcours de cette Lavaredo Ultra Trail dans les Dolomiiiiiiiiiiiiiiiiiiites !!!!!!!!!!

Il y avait un tirage au sort avec une probabilité de 50% d’être choisi et comme j’ai beaucoup de chance aux jeux de hasards qui font mal au corps, j’ai été tiré au sort en décembre dernier je crois.

Bon ben…j’ai fait le plus simple, j’ai payé le dossard ainsi que le vol en avion et réservé la voiture de location. J’ai même regardé confortablement assis dans mon canapé la vidéo officielle que voici.

Je pensais avoir pensé à tout…Mais je crois qu’il me manque un truc important maintenant…cela me turlupine depuis quelques temps. Mais j’ai trouvé…

Va falloir que je m’entraîne !