Je me suis hâté de commencer à jeter sur le papier mes impressions, sensations, sur cette course dont le dénouement n’est pas celui que j’avais souhaité. Il était important de faire vite car l’on sait que plus le temps passe plus le cerveau fait son travail de sape et/ou reconstruit l’histoire. En effet cet abandon au 47ièm kilomètre de cette épreuve me fait énormément gamberger. Au moins s’arrêter sur blessure ne fait pas se poser de questions : l’issue est claire, c’est net. En revanche les circonstances dans lesquelles j’ai pris la décision, ferme, de rendre mon dossard avec le recul me semblent toujours particulières. Et aujourd’hui je vous le dis direct : J’ai une X-Alpine en travers de la gorge. Je regrette amèrement d’avoir abandonné (et « amèrement » le mot est faible)… Mais avant de revenir sur le déroulé de l’histoire voici les faits sur cette magnifique course.
LES FAITS
- Course : L’X-Alpine Trail Verbier Saint Bernard
- 111 kms et 8400 D+ (et autant de D-)
- Abandon au km 47 après 4277 D+ après 12 h 08 min de course (départ à 4 heures du matin)
- Nombre de coureurs au départ : 342
- Nombre de finishers : 123
- Soit un taux d’abandon de 64%
L’HISTOIRE
Ma préparation s’est plutôt bien passée comme je l’indiquais dans mon précédent post. En terme de fitness tout est OK. J’ai cumulé un nombre de kms que je considère comme satisfaisant avec les 10 dernières séances effectuées avec tout le matos obligatoire sur le dos. Les sensations sont bonnes, je récupère très bien. Je cours tous les jours environ 1h30 depuis 1 mois avec quelques séances bi-quotidiennes. Bien entendu je sais que le maillon faible demeure le renforcement musculaire et le travail spécifique en descente. A Paris le terrain de jeu des Buttes Chaumont est très insuffisant pour ce faire…mais je n’ai pas le choix. C’est donc avec une grosse pêche que j’arrive à Verbier le jeudi soir accompagné de ma femme.
Le vendredi en début d’après midi : petite randonnée après avoir pris les télécabines (faut pas se griller non plus la veille de la course) au col de La Chaux qui correspond aux derniers kms de l’X-Alpine.


Le retrait des dossards a lieu dans la vallée au Châbles. Nous nous y rendons pour 18 heures.
Première étape : le contrôle du matériel obligatoire. Et là je me rends compte que je n’ai pas ma deuxième lampe frontale. Gros coup de stress car en fait je ne sais pas si j’ai oublié ma frontale principale à Paris. Arghh ! Je ne preux pas prendre de risque et attendre de remonter à Verbier (30 minutes) pour vérifier dans ma valise, il est trop tard. Gros coup de stress et d’influx nerveux dépensé car je ne peux de toutes manière pas utiliser correctement cette « frontale de secours » (ersatz) qui est juste là pour répondre au règlement. Heureusement il y a des stands qui proposent des Petzl et j’achète une RXP. (Pour info, je retrouverai bien ma frontale dans la valise de retour à l’hôtel).
Nous assistons à une séance de briefing très sympathique. On nous annonce : Il fera beau et chaud, et cette année on a de la chance car on aura droit au fameux « Le Catogne » (portion annulée l’année précédente pour mauvais temps) pour attaquer ce trail.

Nous avons le choix entre deux horaires de départ différents : le premier à 1 heure du matin et le deuxième à 4 heures. Détail qui aura de l’importance pour la suite : les barrières horaires sont les mêmes quelle que soit l’heure du départ. Autrement dit partir à 1 heure du mat c’est évidemment avoir 3 heures de marges par rapport aux coureurs qui partiront à 4 heures eu égard à ces fameuses barrières disqualificatives. J’ai bien étudié le problème dans tous les sens. Les barrières horaires sont assez larges et je ne me vois pas faire deux nuits blanches de suites. J’ai déjà pris la décision de choisir le départ de 4 heures pour me permettre de dormir un ou deux cycles me permettant de partir avec les batteries chargées. Cela vaut largement les 3 heures de handicaps vs les barrières horaires.
Dîner au « Vieux Verbier » (très bon restau. que je recommande et déjà testé la veille).
Au lit à 22h30…sauf que l’adrénaline et le cortisol doivent déjà être au top. Je sens mes pulsations cardiaques à au moins +10 pulses par rapport à d’habitude. Je suis déjà dans la course. Il s’écoule de longues heures. J’entends dehors une légère clameur et je regarde ma montre (1h 05min !), il s’agit des coureurs du premier départ qui passent sous les fenêtres de l’hôtel. Zut…il ne me reste que 2 heures pour tenter de dormir.
Je ne fermerai pas l’œil de cette courte nuit. Nada, rien, même pas un peu d’assoupissement.
Il est 3h10 : je me lève pour enfiler mon matériel et aller prendre le petit déj. aimablement préparé par le personnel de l’hôtel à l’intention des coureurs qui partent à 4 heures.

3h45 : je me rends sur le lieu du départ. Je suis surpris par le calme, le silence. Nous sommes quelques dizaines de coureurs (une petite centaine) à nous regrouper. Fait surprenant, le speaker parle au micro à voix basse comme pour ne pas réveiller le voisinage. C’est très singulier et je trouve cette ambiance monacale tout à fait propice à la concentration …presque au recueillement. Le speaker nous dit une chose très marquante qu’il nous avait déjà dite lors de la séance de briefing : « Ne craignez pas d’être lent, craignez d’être à l’arrêt« . Je trouve cette remarque extrêmement pertinente dans le contexte d’un trail de haute montagne. En effet, cela légitime le fait que l’on peut tout à fait marcher durant de longues heures sans pour autant craindre d’être disqualifié. Il n’y a pas de honte, ou de gêne à avoir. Avancer quelle que soit l’allure c’est ça qui est important ! Or, malheureusement je vais bientôt l’oublier…
Première étape jusqu’à Sembrancher :
Le départ est donné à 4 heures pile. Nous traversons Verbier et passons notamment sous les fenêtres de l’Hôtel Montpelier. Je lance quelques cris pour Laetitia mais manifestement elle dort d’un sommeil très profond. Très vite nous empruntons un sentier et une montée assez rude. Bon sang j’ai toujours autant de mal à ressentir des sensations quand je démarre une course. Le rythme est relativement rapide. La première montée est plutôt rude puis nous attaquons une descente en sous bois avec une pente assez forte. C’est assez technique car il faut éviter les racines des arbres, les nids de poule. Certains traileurs volent et me doublent. Je suis assez gêné visuellement. Ma lampe n’éclaire pas suffisamment, il y a beaucoup de poussière soulevée par les coureurs. J’ai l’impression que l’on évolue dans une nuée de moucherons, c’est très désagréable, vivement que l’on sorte de ce sous bois. Enfin nous atteignons la vallée. Assez vite je cours presque seul, le groupe s’effiloche. Nous pouvons éteindre les frontales, la clarté de l’aube devient suffisante. J’arrive au ravito de Sembrancher, joli petit village typique après 1h30 de course. Je bois 3 gobelets de ma boisson préférée de trail : le Coca Cola.
Je ne remplis toujours pas mes flasques car on m’indique que le prochain ravito est à mi parcours de la fameuse montée de Catogne. Je n’ai pas besoin de réserve je sais que je peux tenir jusque là bas.
Deuxième étape jusqu’à l’alpage de Catogne :
C’est parti pour le TRÈS gros morceau de ce Trail : La montée de Catogne. Une montée « one shot » de +1800 mètres sur seulement 10 bornes. Je suis surpris de voir que je grimpe plutôt très bien. Je dépasse pas mal de runners plutôt en peine légère (je l’entends à la respiration) qui sont équipés de bâtons (personnellement je me demande vraiment si cela soulage d’avoir ce matériel). La lumière est juste magnifique et c’est avec euphorie (y’a pas d’autres mots) que j’atteins le ravito de l’alpage de Catogne après presque 1h30 de montée.
Je bois encore trois gobelets de Coca Cola (seule et unique source de nourriture que je prendrai durant ce trail) et remplis de ce précieux breuvage mes deux flasques (molles) que je porte sur la poitrine. Je sers le coca à d’autres concurrents, tel le meilleur VRP de Coca Cie. en prétendant qu’il n’y a pas mieux comme boisson. Et c’est reparti pour la deuxième moitié de la grimpette qui va bientôt nous faire quitter l’alpage pour nous emmener sur la partie rocailleuse du sommet. Cette fois les rayons du soleils commencent à nous éclairer, les couleurs sont justes sublimes.
Troisième étape : vers le chemin de crête de Catogne :
La montée devient encore plus pentue et technique. Il faut faire très attention où mettre ses pieds. C’est plutôt l’ambiance « haute montagne ». Des chaussures de randonnées avec crampons seraient plus adéquats à la surface. Nous marchons à la queue leu leu, on ne peut pas se dépasser ; inutile et dangereux.
On entend un hélicoptère qui fait des ronds autour du chemin de crête et du sommet. Il s’agit d’un hélico de l’organisation puisque l’on peut apercevoir une caméra vidéo qui pointe dans notre direction. Et nous arrivons au sommet où deux ou trois bénévoles (avec un chien) pointent nos dossards. On ne peut pas rester trop longtemps sur le sommet puisqu’il faut jouer à l’équilibriste sur les rochers pour rester stable. Je tente quelques selfies.
J’ai mis 1h 15min pour cette deuxième portion. J’en suis à 22 kms et 2230 D+. Cela fait 4 h 13 min que j’ai pris le départ. Tout baigne.


Quatrième étape : descente vers Champex :
Ah oui d’accord…la descente de Catogne. Comment vous dire ? Disons que la toute première partie dans les rochers est juste très périlleuse. Il y a heureusement des portions avec des chaines pour descendre en rappel. Des rochers taillés comme des silex attendent que vous ne vous affaliez pour que vous soyez coupés en rondelles. Donc on fait juste très très attention à ce que les appuis soient hyper stables pour avancer. Dans cette descente je suis bien seul….et je me sens bien seul.
Finalement j’atteins les alpages, puis la forêt. La température ressentie remonte très sensiblement. Dans la forêt je croise deux ou trois coureurs dont l’un m’annonce qu’il va rendre son dossard à Champex car il a déjà des problèmes de vigilance et qu’il ne se risquera pas à repasser une nuit blanche. Je me retrouve encore seul dans la descente et là je prends une nouvelle fois peur car je ne vois plus les balises depuis un moment. J’appelle Laetitia pour lui dire que je devrais arriver dans 30 minutes au ravito. On commence à bien entrapercevoir le lac de Champex tout en contrebas. La couleur de l’eau est bleu turquoise.
Il est assez difficile de maintenir son attention à la fois au parcours (balises) ainsi qu’aux endroits on l’on met ses pieds. On doit donc se reconnecter en mode « recherche de balise » après quelques minutes de relâchement. Je confirme que nous ne sommes guère multitâches et que lorsque notre mémoire vive est accaparée à faire en sorte que nous ne nous cassions pas la figure elle n’est plus vigilante sur le reste. Ne voyant plus aucune balise je ne sais plus quoi faire…dois je remonter? J’attends et aperçois un autre coureur de plus de 60 ans dans ma direction (ouf je ne suis pas seul … à m’être paumé). Je lui fais remarquer qu’il n’y a pas plus de balise depuis un certain temps et que cela m’inquiète. Il me dit avec assurance de ne pas m’inquiéter car de toutes façons on doit descendre à Champex dont on a une vue plongeante sur le lac. Balises retrouvées finalement…
Arrivé sur le sentier des vaches (comprendre cela ne descend plus), on atteint le bitume de la route et là j’entends Laetitia qui vient tout juste d’arriver : timing parfait.
Super RdV avec Laetitia qui me filme.
Au ravito : toujours du coca et je remplis mes vasques de ce même liquide.
Je me sens bien. J’en suis à 5h40 de course et 2373 D+.
Bon quand même … je trouve qu’il fait super chaud. On va dire que c’est la première fois que je ressens une gêne durant ce trail. C’est le début des ennuis et des épisodes de « moins bien ». Le sentiment d’euphorie est parti. Il ne reviendra plus.
Cinquième étape : la Montée Vers Orny :
Juste après avoir quitté le ravito de Champex on se retrouve dans un paysage très bucolique de décors de film avec ses petits ruisseaux, ses petites passerelles en bois, ses sous bois transpercés par la lumière très vive du soleil. Et pourtant cela ne va pas, cela ne va plus dans ma tête.
Le CATOGNE BLUES
Je ne sais pas ce qui ne va pas, mais je n’ai pas le moral. Le Catogne Blues? Pourtant je ne suis pas fatigué, j’ai quand même bien chaud. Mais j’ai l’impression de ressentir une vraie déprime qui me tombe dessus comme ça. J’ai l’envie de laisser tomber, sans raison apparente. En fait c’est l’envie de terminer qui s’en est allé. Et puis je n’aime pas ce paysage. On avait atteint des sommets de haute montagne et là je ne me sens pas bien car il faut tout recommencer au pied du mur pied de la montagne. Et cela grimpe de manière très très raide, un vrai escalier cette montée vers Orny. Et je repense à ce commentaire de l’animateur du comité d’organisation du TVSB : « Ne craignez pas d’être lent, craignez d’être immobile ! ». Je me repasse en boucle ce qu’il me dit : « Ne craignez pas d’être lent, craignez d’être immobile ! ». Cela me fait du bien car l’important est bien d’avancer, de mettre un pas devant l’autre. Je repense à ce que m’avait dit Philippe avant le marathon de Chicago : « il ne faut pas penser à l’arrivée mais à mettre un pas devant l’autre ». ….Bon cette fois je n’ai pas eu le SMS de mon frère me disant « Je le sens bien ». J’espère que ce n’est pas un mauvais présage.
Et puis petit à petit je me sens mieux au fur et à mesure que l’on gagne en altitude, je ne comprends pas ce « revival », mais vraiment je me sens mieux ! Nous quittons les bois pour des paysages granitiques, lunaires. Un glacier se dessine au loin, une façade rocheuse mystérieuse sur la gauche telle une façade de cathédrale en équilibre se fait jour à mesure que l’on grimpe, que l’on grimpe dur. Cela va de mieux en mieux, je me refais la cerise comme l’on dit dans le milieu des traileurs. Il y a un photographe officiel qui est là, je lui dis à quel point c’est important qu’il nous encourage. J’en ai presque les larmes aux yeux. Zut, je suis tombé dans l’hypersensibilité.


FAISONS LE POINT
Manifestement il s’est passé quelque chose dans mon organisme, dans ma tête car je ne suis plus vraiment dans un « état normal ». Et cela va continuer à dérailler…Je ne m’en relèverai plus. J’ai perdu ma lucidité, je ne la retrouverai que de retour à l’hôtel. Mais de tout cela je ne le sais pas encore.
La montée est difficile mais musculairement et au niveau cardio c’est toujours nickel chrome. Au bout d’un moment on croise les autres coureurs qui redescendent de la cabane d’Orny car on doit retourner sur nos pas après avoir pointé au refuge tout là haut (« puré elle est bien loin cette cabane ! »).
Arrivé à la cabane d’Orny (2800 m d’altitude) après 8h 38min de course et 3800D+.
Je ne m’attarde pas trop, d’autant qu’il y a un petit vent frais qui refroidit bien. Je me prends mes rasades de coca cola. Et je remplis mes flasques de Coca. Bientôt je vais me transformer en canette rouge !

Sixième étape : la descente vers l’enfer La Fouly :
Et c’est parti pour la descente en direction du prochain ravito de La Fouly.
Or il y a quelque chose que je n’avais pas du tout prévu. La Fouly c’est juste très très loin et malgré les flasque remplies de Coca je vais arriver assez rapidement à la cale sèche. Au fur et à mesure que l’on descend la température recommence à monter. Cela tape sur mon casque et je vais me remettre à dérailler.
Deux traileurs me doublent en volant littéralement sur le sentier. Ils ont une sacré technique de descente. Cela me donne un grand coup au moral. C’est bizarre, je ressens de plus en plus le besoin d’aspirer mon coca dans les flasques pour du réconfort. D’ailleurs c’est assez étrange cette sensation, on a l’impression de téter à des mamelles, c’est d’autant plus réaliste comme image que les flasques sont bien positionnées sur ses deux tétons sur la poitrine.

En fait j’ai l’impression que le coca ne me désaltère plus vraiment. La fréquence à laquelle je suis contraint d’aspirer le liquide augmente rapidement…jusqu’à ce qu’il n’y en ait plus. Cela dit maintenant on est très proche de la vallée. On est sur un sentier constitués de très légers faux plats. On marche tous comme des morts vivants. Cela ne court pas beaucoup, cela trottine au mieux.
Le ravito ne devrait plus être très loin. En fait ce n’est pas cela qui m’inquiète. Je ressens mes fameuses douleurs musculaires aux quadriceps lorsque ceux-ci sont sollicités en excentrique (donc en descente). Et là je commence vraiment à prendre conscience que je ne vais pas pouvoir continuer. La décision d’arrêter est vite prise presque d’une minute à l’autre. Terminé, je jette l’éponge ! C’est irrévocable.
Je m’imagine en train d’annoncer à tout mon entourage que j’ai abandonné. J’ai même trouvé le titre de mon post pour le blog : « L’X-Alpine, Terminus à La Fouly ». Je marche comme un damné sur ce faux plat qui mène à la Fouly. Cela cogne, et puis le paysage ne me plaît pas, ce n’est pas de la haute montagne.
Et là commence le grand « DELIRIUM TREMENS » ou le GRAND DÉLIRE DE MON ESPRIT
« Il va falloir encore regrimper à fond jusqu’à, je crois, la cabane de Mile. »
« Très clairement le Trail ce n’est pas pour moi. Pourquoi je me suis inscrit à ce truc de dingue ? »
« On me l’avait pourtant dit. »
Je pense à un pote de blog, Doune.
« Lui a bien eu la bonne idée, raisonnable de redescendre dans ses terres pour pratiquer sa passion. En ce qui me concerne je savais bien qu’en ne travaillant pas en excentrique mes quadriceps cela n’allait pas marcher ».
« Bon j’appelle Laetitia qui m’attend à La Fouly avec la voiture de loc. pour qu’elle me ramène à l’hôtel. Mais zut elle va essayer de me convaincre de continuer. Il faut que je sois ferme au téléphone. Je sais ce qu’elle va me dire. »
Je discute avec un ou deux traileurs aussi à la masse que moi. Il y en a un qui sort ses temps de passage de l’an dernier et qui me dit que pour la barrière horaire de Grand Saint Bernard il est totalement dans les choux, je le crois sur parole (alors que dans les faits, je ne le saurai qu’après, il est dans les choux dans ses calculs). Donc j’en conclu que je suis dans les choux aussi pour la barrière horaire de Grand Saint Bernard et que si je ne me fais pas rattraper par celle-là je le serai après. Bon ben voilà inutile de vérifier voilà qui m’arrange bien, c’est plié. Et j’ai bien soif maintenant !
Au téléphone : « Laetitia ? Bon j’ai pris la décision d’abandonner. Trop difficile, et j’ai mal aux cuisses ».
Laetitia : « Tous les coureurs que je vois sur le passage marchent tous, c’est dur pour tout le monde, ils veulent tous arrêter à la Fouly, je crois que l’on devrait en discuter avant que cela ne soit ferme.J’ai entendu un coach qui a raisonné ses deux coureurs pour qu’ils continuent car vous avez fait le plus dur, il ne reste qu’une seule grosse difficulté »
Moi de répondre : « Non mais je prends cette décision la tête froide, c’est irrévocable, je ne peux plus avancer. »
Arrivé à La Fouly, cela cogne dur et sous la tente du ravito c’est pire, une fournaise !
Je prends trois gorgées d’eau claire. Je m’assois sur un banc. Laetitia est près de moi. Je détache mon dossard. Je regarde rapidement le profil et je m’empresse d’aller le donner au bénévole derrière sa console d’ordinateur pour que l’on me désactive la puce. Il me dit qu’il en est à plus de 40 abandons sur ce ravito c’est l’hécatombe. Bon et bien je vais contribuer à augmenter le chiffre. C’est fait, on peut rentrer. C’est le déclic de soulagement.
Nous marchons avec Laetitia sur le bitume en direction de la voiture. Elle regarde le profil de la course pendant que je lis le SMS de mon frère me demandant ce qui se passe. Elle se retourne vers moi et me montre le profil en m’indiquant que cela monte tout doucement jusqu’au col des Fenêtre et du Grand St Bernard. Je prends le dossard, je rejette un coup d’œil, acquiesce et me rend compte que ce qui reste à courir ne cadre pas avec ce que j’extrapolais (beaucoup plus difficile dans ma représentation).
Au fond de moi commence à poindre mon regret d’avoir fait quelque chose d’irréversible et qui nécessitera du temps pour que je m’en remette. J’ai fait une grosse boulette, et tout devient paradoxalement plus clair. Arrivé à l’hôtel une heure après je gambade comme un agneau et mets à l’épreuve mes quadri. dans une pente. Verdict ? Je n’ai plus mal alors que j’aurais préféré être perclus de douleur…
ANALYSE
Et bien voilà. Quelle analyse en tirer? La décision d’abandonner est d’ordre multifacteurs. Je perçois plusieurs explications dont aucune individuellement ne peut expliquer que j’en sois arrivé là.
1/ Perception que mes quadriceps en descente me faisaient souffrir et ce qui cadrait en plus avec ma crainte préalable. A noter que cela n’est pas une blessure mais une douleur : grosse nuance.
2/ La chaleur : même si je ne puis dire en l’espèce que j’ai eu un vrai coup de chaleur. Mais cela a eu un impact.
3/ Laetitia m’attendait avec une voiture à La Fouly : une porte ouverte/libération à portée de main.
J’ai donc lâché prise, et abandonné. Un autre point important, l’envie d’aller jusqu’au bout m’avait quitté. C’est assez étrange, on s’entraîne pendant des mois, on a que cela en tête lorsque l’on chausse ses runnings tous les matins et puis finalement au moment de la course cet envie/désir d’aller au bout disparaît? Pourquoi?
Est-ce que la thèse du Gouverneur Central tient la route?
Rappelons le principe. Le cerveau va tout faire pour préserver l’intégrité physique d’un organisme. Il va empêcher par tout moyen que l’organisme n’aille « au-delà de ses limites ». Le seul contexte dans lequel le Gourverneur Central laisse l’organisme aller « au-delà de ses limites » c’est seulement lorsque justement la survie est en jeu (aller chasser, trouver un point d’eau, se sauver d’une situation extrême). Il est vrai que laisser l’organisme « se détruire à petit feu » pour une compétition sportive est d’un enjeu nul en terme de survie de l’espèce. Cela ne fait pas sens et pourrait expliquer pourquoi les signaux d’épuisement physique, lassitude, inhibitions, sont envoyés assez rapidement à la conscience pour que l’on mette la bride lors de la pratique de ce qui n’est que divertissement ou satisfaction de l’ego.
Un état modifié de conscience
« Ton pire ennemi c’est toi-même ».
Je l’avais constaté à maintes reprises lors des SaintéLyon. Au bout de plusieurs heures d’efforts, je n’ai pas les ressources mentales pour analyser froidement et objectivement un cas ou un problème posé. On perd toute lucidité à commencer par le simple processus cognitif du calcul mental. Toutes les ressources de l’organisme sont mobilisées à autre chose. C’est d’ailleurs dans ce type de contexte que l’aide d’un observateur externe (coach) peut être requis pour un sportif qui commence à dérailler et qui perd la foi. Le sportif a besoin d’une mise en perspective. Le fait de savoir que l’on perd toute lucidité n’est pas suffisant. Là j’analyse froidement ce qui s’est passé, bien assis confortablement sur mon siège devant un écran, mon organisme est en homéostasie. Tout me semble d’une grande clarté. Je vais en tirer des leçons pour le future. Est-ce suffisant pour prévenir un future dysfonctionnement dans un contexte similaire ? Et bien je ne le crois pas du tout. J’ai bien peur que « le Gouverneur Central » soit bien le plus fort et que si une situation similaire était susceptible de se reproduire l’envie d’abandonner serait toujours plus forte.
Mise en place de stratégies
1/ Prendre son temps avant de faire quelque chose d’irréversible et de rendre son dossard.
2/ Recueillir le feedback d’un observateur extérieur, seul capable d’avoir le recul et la lucidité d’esprit d’établir un diagnostic.
ÉPILOGUE
Il va encore me falloir du temps pour digérer cette blessure narcissique. Il faut que j’en prenne de la graine et faire en sorte de beaucoup mieux préparer les parades d’ordre psychologiques.
Je me suis déjà inscrit pour l’X-Alpine 2016.
Je ne l’ai pas mentionné mais le comité d’organisation de ce Trail est au top et qui plus est, s’avère être très ouvert et très sympathique. L’ambiance, l’organisation de ce #TVSB2015 est excellent. Et quant aux paysages…Pas besoin de vous faire une photo.
Voilà pourquoi on a envie d’en être une nouvelle fois. J’espère bien être X-Alpine cette fois.
Très intéressant comme analyse, comme toujours. Je peux comprendre et partager la frustration de « j’ai arrêté alors que j’aurais pu continuer, mais je m’en suis rendu compte trop tard ». Ces moments où le cerveau envoie des messages « mais qu’est-ce que je fous là à souffrir alors que je pourrai être en train de boire une cannette au bar de l’hôtel ». Finalement ce sont des sensations/émotions : rien de tout cela n’existe – enfin, disons que ce sont des signaux qui émergent dans notre conscience pour nous « aider » à prendre/rationaliser la décision que le cerveau calcule inconsciemment comme al meilleure par rapport à la situation. Cette lutte « à l’intérieur du cerveau » est compliquée et fascinante, parce que nous sommes dans l’illusion que la conscience est une entité autonome (moi, mes pensées, mes décisions) alors qu’elle est générée par le même cerveau qui celui qui fait toutes les analyses inconscientes qui font émerger les pensées conscientes. Donc ça fait un truc du genre :
– des capteurs dans ton organisme détectent une augmentation d’interleukine 6 dans ton sang, ou une baisse de glycémie, ou un gradient d’augmentation de ta température corporelle
– cette situation physico-chimique est analysée par ton cerveau en permanence et si effectivement il reçoit des signaux qu’il analyse comme dangereux pour ta survie, il réduit l’énergie envoyée aux muscles, fabrique des pensées négatives qui émergent dans ta conscience, déjà altérée par l’effort (est-ce aussi un signal pour te faire arrêter ? on peut imaginer que pour le chasseur qui va faire une hyperthermie parce qu’il court après une gazelle en plein cagnard, il faut mieux pour lui que ses capacités cognitives se mettent en rideau et qu’il perde la gazelle de vue ?)
– et là où ça se corse, c’est que ta conscience entre en conflit avec cette perception. « Non, je ne veux pas arrêter ! » Et je ne sais pas dans quelle mesure il est possible de refaire la boucle de rétroaction à l’envers (à moins de t’auto hypnotiser peut être ?). Quand tu dis « il est légitime de s’arrêter sur blessure », tu prends un parti conscient « oui c’est OK parce que les conséquences, 3 mois d’arrêt, ne valent pas de continuer ». Evidemment si Laetitia était en danger de mort au bout du trail tu réagirais différemment, même blessé !
– Alors je ne sais pas si il faut travailler sur sa capacité d’auto-persuasion (« tiens, enfoiré de cerveau, prends ça, je continue et je t’emmerde » ou réussir à se persuader que Laetitia va mourir dans des souffrances affreuses si tu ne fais pas les temps de passage), s’entrainer à gérer des états de conscience altérés (méditation …) ou tout simplement comme le conseille Matt Fitzgerald, entrainer le corps aux types d’effort pour que le cerveau ne « croie » pas que tu es en danger.
C’est quand même la première fois de ta vie que tu fais une course de ce type, il y a de quoi foutre les jetons à ton cerveau.
Et même moi qui suis un fondu au niveau alimentaire, j’ai un mauvais feeling avec le fait de ne boire que du coca. Tous les ultra-trailers bouffent du solide, de la protéine … le coca c’est du sucre un peu de caféine et de l’acide phosphorique (et du gaz carbonique). Comme sur une course comme ça on ne va pas très vite, tu as peut être fait des hypo réactionnelles ? Il faudrait avoir un capteur de glycémie en temps réel …
Et en conclusion :
– Si le dénivelé que tu as fait sur ce morceau de course est supérieur à celui de ton dernier trail, hé bien tu as quand même battu un record personnel
– Et sinon tu as fait une expérience qui te fait réfléchir sur ton corps, ta conscience et la manière dont tout ce bazar fonctionne plus ou moins en harmonie, ce qui est précieux et pas donné à tout le monde.
– Tes proches et les gens qui t’aiment trouveront tous que c’est un exploit même si tu t’es arrêté et le reste du monde s’en fout complètement. Il n’y a pas d’échec, il n’y a que du feed-back 🙂
Bises respectueuses 🙂
Suis tout bien synchro avec Philippe sur le coup… Un peu moins de coca trop acide et un peu plus de banane, protéine et autres fruits secs… On en cause…
En tout cas je reviens du même tupe de terrain, les pros m’ont dit que cette course est plus dure que la TDS par exemple
Hello l’ami Remi,
Merci d’avoir passé du temps avec moi au fil hier. Bon je suis sûr que tu es mûr pour une X-Alpine après tes parcours de reco. deux années de suite. C’est bon : ton Gouverneur Central sait désormais que ce n’est pas si terrible que ça !
Hello Phil,
Super ton feedback ! Merci.
Sur le cerveau : j’ai vraiment vécu une expérience fascinante. C’est juste incroyable à quel point le gouverneur central peut te mettre dans un état psychologique permettant d’assurer ton intégrité physique. En fait ce qui était inédit pour moi c’est que d’habitude les signaux sont des signaux physiologiques alors qu’en l’espèce j’étais dans un état psy. surréaliste pour arriver à en avoir vraiment rien à foutre de cette course alors que j’ai rêvé d’être finisher depuis des mois pendants des nuits (j’pousse un peu). Et c’est la première fois que je vivais un tel état (ou plutôt revirement de situation) de conscience pour quelque chose que je désirais très profondément.
Quant à la parade : effectivement j’ai dû mal à penser que la prochaine j’arriverai à lui mettre mon poing dans la tronche 😉 En fait c’est tellement plus fort que toi ! Donc oui, appliquer la méthode de MF c’est effectivement de lui apprendre que c’est possible petit à petit…
Excellente ta conclusion c’est tellement vrai. Mais zut alors, je ne suis pas le centre du monde ??? On m’aurait donc menti à ma naissance ? C’était pourtant comme l’a titré Romain Gary, la « Promesse de l’aube » que l’on m’avait faite 😉
Hello Phil,
Super ton feedback ! Merci.
Sur le cerveau : j’ai vraiment vécu une expérience fascinante. C’est juste incroyable à quel point le gouverneur central peut te mettre dans un état psychologique permettant d’assurer ton intégrité physique. En fait ce qui était inédit pour moi c’est que d’habitude les signaux sont des signaux physiologiques alors qu’en l’espèce j’étais dans un état psy. surréaliste pour arriver à en avoir vraiment rien à foutre de cette course alors que j’ai rêvé d’être finisher depuis des mois pendants des nuits (j’pousse un peu). Et c’est la première fois que je vivais un tel état (ou plutôt revirement de situation) de conscience pour quelque chose que je désirais très profondément.
Quant à la parade : effectivement j’ai dû mal à penser que la prochaine j’arriverai à lui mettre mon poing dans la tronche 😉 En fait c’est tellement plus fort que toi ! Donc oui, appliquer la méthode de MF c’est effectivement de lui apprendre que c’est possible petit à petit…
Excellente ta conclusion c’est tellement vrai. Mais zut alors, je ne suis pas le centre du monde ??? On m’aurait donc menti à ma naissance ? C’était pourtant comme l’a titré Romain Gary, la « Promesse de l’aube » que l’on m’avait faite 😉
L’entraînement ne permet pas de diminuer la douleur qui apparaît dans l’effort. Il nous apprend juste à mieux la supporter (citation librement pompée je néne is plus où) 🙂
Tu as choisi un bien gros morceau pour ton (premier?) trail de montagne. Mais au moins maintenant tu sais que les courbatures en courses finissent toujours par arriver. C’est le mur du traileur. Mais ce n’empêche pas d’avancer et ça te ne le savais pas avant la course…
Et tout ce coca… quelle hérésie !
Hyper sucré, acidifiant… 😦
De l’eau, du sel pour l’assimiler, des protéines très tôt dans la course, bicarbonate pour tamponner.
Bonne récup. Et bonne revanche !
Ouais… ben j’aime pas trop ta première citation. Non je pense que l’entraînement en l’espèce permet de ne pas avoir mal ou en tous de repousser le moment de la douleur. D’ailleurs les douleurs sur la X-Alpine sont arrivées plus tard que sur mon UTA (en prenant en compte le D- parcourus).
Sur le Coca là je n’arrête pas de recevoir des récriminations ;-)) OK OK je vais me pencher sur la question. Hey les amis si vous avez des papiers scientifiques à me montrer moi je suis preneur. J’ai commencé à faire quelque recherches et je m’aperçois quand même que les résultats ne sont pas très convergents sur ce qu’il faut manger lors d’un Ultra… C’est pas très net, clair. En dehors des recettes de Grand Mères jamais éprouvées sur un échantillon supérieur à N=10. Là je crois que c’est à chacun de se faire sa propre expérience et d’en tirer des conclusions que ne marcheront que pour lui.
Peut-être parce que la « nutrition » n’est pas (encore) une science suffisamment exacte et beaucoup trop subjective ?
Sans parler des adaptations nécessaires en fonctions des conditions météo, du niveau d’effort physique que l’on met.
Mon expérience me fait fuir le coca après m’être complètement bloqué la digestion 15′ après m’être régalé de 2 verres à un ravito sur le trail des passerelles (et ses 32° à l’ombre)
Au final je pense qu’il ne faut rien s’interdire, faire simple (=non transformé ?), mais rester très prudent sur les quantités et être ultra régulier ce qui est loin d’être simple…
Désolé de pas t’aider. bon courage pour la suite (qui est ?) 🙂
Malheureusement pas de suite très croustillante si ce n’est le marathon de Berlin que je ferai en mode touriste… Mais sur la nutrition je rejoins ton point de vue c’est une problématique assez spécifique (c’est à dire personnelle) et je ne pense pas que l’on puisse établir de grande vérités universelles (applicables à tous).
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Moi je crois que c’est un peu de tout ça. J’ai usé de ces trois « techniques » lors du GRP.
1) Entraînement + réflexion sur l’expérience acquise qui m’ont prouvé que je pouvais aller loin dans l’effort (notamment sur le vélo, sous la flotte)
2) beaucoup d’autohypnose dans les moments difficiles. Vous allez rire mais je chante en boucle une comptine de trois phrases pour mettre les ruminations de côté. C’est la technique du mantra.
3) Dans la dernière descente la pente était raide et j’avais vraiment mal aux orteils. J’ai croisé un gars qui m’a rappelé de mettre mon cerveau sur off, puis une momie avec des straps de partout qui descendait plus vite que moi, je me suis donc dit : « ta gueule, c’est la guerre, faut descendre au plus vite pour en finir » et ça a marché 😀
Je vais essayer de chercher quelques articles sur l’alimentation. C’est hypercompliqué d’avoir des travaux solides… dans les sciences du sport c’est toujours des effectifs minables, faut faire avec, mais je pense que l’on peut s’entrainer à manger solide lorsqu’on avance à des allures de trail long. Ca je l’ai appris sur ma reco de l’année dernière.
http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/17641599
http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/11125767
http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/18974721
http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/25566428
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